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Psychologue scolaire, psychologue de l’éducation nationale… Deux appellations différentes pour le même métier ? Une reconnaissance institutionnelle de la spécificité de ce poste ? Sûrement. Auparavant, pour être psychologue scolaire, il fallait être professeur des écoles titulaire, être titulaire d’une licence de sciences de l’éducation et partir en formation pendant un an. Les psychologues scolaires du premier degré étaient rattachés au RASED (Réseau d’aides spécialisées aux enfants en difficulté), ceux du second degré étaient aussi conseillers d’orientation. Aujourd’hui, le psychologue scolaire ne passe plus par la case professeur des écoles. Il s’agit d’un nouveau corps de l’éducation nationale, harmonisé sur le premier et second degré. Mais dans les faits, que fait un psychologue scolaire ? Quelles sont ses missions ? Cécile Garonou, psychologue de l’éducation nationale en Seine-Saint-Denis nous en parle.

Devenir enseignante, c’est le rêve de petite fille de Cécile. En 1995, à 33 ans, elle saute le pas et passe le concours. Majore de sa promotion, issue d’un milieu modeste et provincial, elle choisit la Seine-Saint-Denis, « j’avais un fort besoin de me sentir utile, de permettre à des enfants de quartiers difficiles de bénéficier de cet ascenseur social que pouvait être l’école. Mais aussi un besoin d’apprendre de ce terrain qui s’est effectivement révélé très riche ». En 2005, Cécile ressent le besoin de changer de fonction, elle se lance et devient psychologue scolaire. « Je n’étais pas lasse de la classe, je m’étais formée à la pédagogie institutionnelle – classe coopérative qui utilise les techniques Freinet – et la pratiquais avec passion. Mais les sciences humaines et la psychologie en particulier m’intéressaient depuis longtemps, bien avant que je l’étudie, à la fois parce qu’elle permet une meilleure compréhension de l’humain, de son fonctionnement psychique, et de son rapport au monde et aux apprentissages, mais aussi et surtout pour sa dimension d’aide. Comprendre pour mieux aider… Son étude m’avait beaucoup apporté dans mon métier d’enseignante, mais j’avais besoin d’aller plus loin dans ma connaissance et dans ce que je pouvais apporter aux enfants et à leurs familles ».

Une journée type de psychologue scolaire ? Ca n’existe pas !

Lorsque l’on demande à Cécile de nous présenter une journée type, elle s’esclaffe ! « Les journées se suivent mais ne se ressemblent pas, tant les missions à mener sont nombreuses et variées ! C’est ce qui fait la richesse de ce métier ». Une psychologue de l’éducation nationale doit savoir s’adapter au pied levé. Sa journée, sa semaine, son année scolaire sont ponctués d’imprévus. « En cas d’urgence : une enfant va très mal, un événement traumatique… En cas d’absences d’enfants, d’enseignants, de parents. Une grande flexibilité de fonctionnement est indispensable, ainsi qu’une bonne organisation, souvent chronophage ». Et puis, les missions sont très larges. Elle en énonce une longue liste, pourtant non exhaustive. « Elles sont menées en direction des enfants qu’ils soient en difficulté ou en situation de handicap avec des observations en classe, des entretiens de suivi psychologique, des bilan psychologiques. En direction des familles, avec des entretiens d’anamnèse, de restitution de bilan, de suivi… En direction des enseignants lors de concertations, de restitution de bilan, des synthèses de situations individuelles d’enfants, de co-analyse ou encore de REE (Réunion d’Équipe Éducative). En direction des directeurs et directrices avec des points réguliers sur les situations, des signalements de difficultés, des problèmes d’équipe…. En direction des enseignants spécialisés des RASED lors des synthèses ou de croisement des regards, des enseignants Référents Handicap et des conseillères à la scolarisation lors d’entretiens, de REE de Réunion d’équipe de suivi de scolarisation (RESS). Et plus largement à tous les partenaires extérieurs à l’école du premier degré comme les psychologues du second degré, des partenaires de soin – CMPP, CMP, SESSAD, IME, pour des entretiens ou synthèses, des hôpitaux parisiens, des services sociaux, de l’ASE, des PMI… Nous participons aussi à diverses commissions comme celle d’orientation ou de maintien ». Toutefois, elle tempère. Malgré une liste de missions qui semble interminable, « c’est le travail avec les enfants, les familles, les enseignants et les services de soin qui est le plus fréquent ».

Une fonction spécifique devenue métier

Un métier. Pas une fonction comme pour les différents acteurs du premier degré. Le psychologue de l’éducation nationale, c’est un nouveau statut et ce depuis plus d’un an. Cécile est devenue Psychologue de l’EN option EDA, Éducation Développement et Apprentissages. « J’avoue ne pas avoir mesuré les avantages que ce nouveau statut apporte, mises à part les nouvelles conditions de mutations et le fait que mon métier est désormais inscrit sur ma fiche de paie. Il s’agit néanmoins d’une véritable reconnaissance. Les futurs psychologues EN n’auront pas la connaissance du milieu scolaire, cela peut être un frein, mais pas forcément… nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour en juger ». Elle reste toutefois inquiète du possible rattachement des psychologues scolaires au service de la médecine scolaire. « Nous exerçons notre métier dans le cadre d’un RASED, avec des enseignants spécialisés. Nous nous situons dans l’école certes, mais néanmoins dans un entre deux, rassurant pour les familles, qui nous permet d’être à distance, d’offrir un cadre de confidentialité et de ne pas dramatiser. La réponse à la grande difficulté scolaire est selon moi et avant tout pédagogique elle passe par des adaptations en classe, la différenciation. Puis le cas échéant par des aides RASED. Le médecin peut intervenir ensuite si nécessaire, mais ce n’est pas toujours le cas ».

Psy en Seine-Saint-Denis, plus compliqué qu’ailleurs ?

Cécile avoue avoir de plus en plus de mal à faire son métier. « Tout comme mes collègues du 93, je suis soumise à des calendriers EN intenables pour les orientations SEGPA, ULIS, IME, maintiens des enfants ayant un projet personnalisé de scolarisation (PPS) … qui concentrent une grande part de notre activité sur les quatre premiers mois de l’année. Non seulement ils nous mettent sous pression et nous épuisent, mais ils ne sont pas respectueux des rythmes des enfants, ne prennent pas en compte leurs possibilités de progrès et ne sont pas défendables face aux familles. Ce sont les délais administratifs qui priment sur l’intérêt des enfants et de leurs familles, c’est intolérable pour nous qui avons choisi de travailler dans la bienveillance, l’écoute, le respect… inhérents à notre fonction de psychologue. Les autres départements français ne vivent pas ce rythme effréné, pourquoi alors en Seine-Saint-Denis nous impose-t-on ce fonctionnement aberrant ? Dans ce département où le nombre d’enfants en situation de handicap est plus important, sans parler de la grande difficulté scolaire… ». Autre problème auquel sont confrontés les psychologues de l’éducation nationale, et surtout les familles, ce sont les déserts médicaux en Seine-Saint-Denis. Les délais d’attente pour accéder aux structures de soins y sont terriblement longs. « Lorsque à l’issue d’un travail au long cours, des mois, voire des années, les familles sont finalement prêtes pour un suivi extra-scolaire, elles se voient inscrites sur des listes d’attente de plusieurs mois et reviennent vers nous déboussolées et abattues … Que leur dire ? C’est décourageant… ».

Elle revient aussi sur la loi de 2005 concernant les enfants en situation de handicap. « C’était une loi humaniste et juste, mais elle s’est conjuguée quelques années plus tard à des suppressions de postes drastiques d’enseignants spécialisés des RASED. De nombreux enfants ont été privés d’aide au sein de l’école et le sont encore aujourd’hui. L’effet pervers de la loi de 2005 a été d’intégrer des enfants dans un dispositif MDPH alors que certains auraient bénéficié d’une aide RASED auparavant … Nous sommes obligés de travailler à l’envers, annoncer l’éventuel handicap, la constitution d’un dossier à la MDPH avec une demande de compensation alors que l’enfant n’a pas encore de soins extérieurs ».

Travailler dans l’école, pas toujours simple

Cécile a le sentiment d’avoir sa place au sein des équipes avec lesquelles elle travaille. « J’ai de l’expérience et je suis ancrée dans un secteur depuis plusieurs années, c’est très important pour assurer le lien aux familles, aux écoles et aux partenaires extérieurs ». Elle regrette, néanmoins, certains glissements qu’elle voit s’opérer dans les pratiques enseignantes. « Je constate de nombreux débordements, les cadres fluctuent et, ce qui relève de mes missions est parfois mené, à tort, par des enseignants. Ainsi, certains, inquiets pour leurs élèves, ou en difficulté pour mettre en place des adaptations, ou peu formés ou débutants, ou encore trop pressés, adressent des familles vers des services de soin, parfois plusieurs, sans qu’une réelle analyse de la difficulté ait pu être menée en concertation. Cela perturbe mon travail et les familles. D’autres s’inscrivent dans une surenchère de demande d’AVS (ndlr auxiliaire de vie scolaire pour enfant en situation de handicap), formulée directement aux parents, sans mentionner le nécessaire dossier à la MDPH (ndlr maison départementale des personnes handicapées)… Par ailleurs, un discours psychologisant se développe de plus en plus, lors des réunions par exemple. Les concepts psychologiques sont tant vulgarisés et dévoyés, que chacun se sent autorisé à les utiliser sans les comprendre réellement, voire en faisant des contre sens… Il existe certainement d’autres exemples où la place du psychologue EN est usurpée, il faut dire que malgré la longue liste de nos missions, la fonction du psychologue demeure très peu visible dans les circulaires… »

Cécile sera certainement encore psychologue de l’éducation nationale l’année prochaine, et encore celle d’après et celle d’après… Mais elle reconnaît ressentir une forme de lassitude. Son métier, elle l’aime et l’effectue très consciencieusement, ce qui l’oblige à faire de très nombreuses heures supplémentaires pour rencontrer les familles, analyser les entretiens qu’elle mène, rédiger des compte-rendu… Des heures non rémunérées bien évidemment… Alors, parfois elle s’interroge, « jusqu’à quand pourrai-je travailler ainsi ? C’est épuisant … »

Lilia Ben Hamouda