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L’été 2019 des professeur.es de français en lycée s’annonce studieux. « To do list » : s’approprier les nouveaux programmes, (re)lire les œuvres imposées, construire des progressions et des séquences, mettre à jour les compétences et connaissances dans l’enseignement de la langue, fabriquer les cours, imaginer des démarches d’appropriation des œuvres. Sans doute pour concilier des aspirations contradictoires, faute d’avoir su choisir totalement entre les « anciens » et les « modernes », les programmes empilent les contenus et les attentes au risque de désorienter, voire de s’avérer irréalisables. D’où le défi : comment ne pas se faire écraser par l’ampleur des tâches à prévoir ? comment y laisser du jeu, c’est-à-dire y ménager un peu de souplesse, de liberté, de plaisir, de cohérence et de sens ? Diverses ressources livrent d’ores et déjà quelques éclairages et ouvrent des horizons…

A Nancy : éclairages et recommandations

Le site de l’académie de Nancy propose des documents intéressants pour donner à comprendre la lettre et l’esprit des nouveaux programmes. Certaines ambiguïtés sont partiellement levées : un parcours est « un groupement de textes permettant de situer l’œuvre dans son contexte historique et générique » ; à l’écrit la dissertation est « en rapport avec l’une des œuvres du programme ET son parcours associé ». En première, cette imbrication forte invite-t-elle les enseignant.es à concevoir d’emblée une problématisation de l’étude de l’œuvre autour de la thématique du parcours associé ? Certains points de vigilance sont aussi formulés : comment satisfaire tout à la fois « les ambitions littéraires réaffirmées et la nécessité d’augmenter la place de l’étude de la langue » ? quelles stratégies déployer pour conduire les lycéens vers « une lecture effective des œuvres » ? comment contextualiser « pour ouvrir le sens de l’œuvre et donner une image dynamique, non dogmatique, de l’histoire littéraire » ?

On trouve dans ces documents de l’inspection des recommandations fortes. Sur l’enseignement de la langue : il faudrait lui accorder « 25% du temps » de travail, « soit 1h/ semaine ou 4X 1⁄4 d’heure à chaque heure de cours par exemple pour installer un rituel, ou 2 X 1⁄2 heure deux fois par semaine ». Sur l’histoire littéraire : « Ne pas confondre légende et vérité́ est indispensable. La consultation des archives est nécessaire. S’interroger sur le story telling de l’histoire littéraire. Ne pas transformer les auteurs en héros, les dates en repères. Les mouvements, les écoles qui se succèdent et s’opposent n’existent pas, parler plutôt d’héritages, de veines, de transmissions, d’influence, de nuances. Se méfier de la présentation de l’histoire littéraire dans les manuels. Lire les spécialistes d’un auteur et d’une période est indispensable. » Enfin, si on envisage que les nouveaux programmes cherchent à « faire lire » davantage les élèves, il est impératif de favoriser leur implication dans la lecture : cela suppose de les reconnaitre comme « sujets lecteurs », d’accueillir et de valoriser leur sensibilité, leur réception, leur interprétation ; cela suppose de stimuler l’expression autour des œuvres (carnet de lecture, écrits d’appropriation, blog, enregistrement audio ou vidéo, débat interprétatif, écriture collaborative sur pad).

Le site propose aussi des exemples précis. Quelques exemples de questions pour éveiller le sujet lecteur : « Ce texte a-t-il produit en vous des images, des sons ou d’autres sensations? Si oui, lesquel(le)s ? Vous renvoie-t-il à des réalités connues? Si oui, lesquelles? Ce texte a-t-il suscité en vous des associations d’idées, des souvenirs personnels? A quels moments ? Quelles associations? Quels souvenirs ? Ce texte vous a-t-il évoqué d’autres livres? des films? des tableaux ou photos? Si oui lesquels? A propos de quels passages ? Certaines expressions, certains passages, certains faits vous ont-ils touché ? Si oui, lesquels ? Pourquoi ? Avez-vous partagé les attitudes, pensées, valeurs de certains personnages ou de l’auteur ? Etes-vous rebuté par certains aspects ? Le texte vous laisse-t-il indifférent ? » A découvrir encore : une approche grammaticale d’un extrait de « la Bête humaine », un travail sur la proposition subordonnée relative à travers le caviardage d’un texte de Musset, des exemples de progressions en seconde, des pistes pour une séquence en première autour de Beaumarchais …

A Grenoble : documents et exemples

La page Lettres de l’académie de Grenoble publie aussi des ressources autour des nouveaux programmes de français au lycée. Une présentation générale, particulièrement claire, souligne combien il s’agit de faire de la lecture « la pierre angulaire » du français au lycée, ce qui implique d’« enseigner la compréhension du sens des textes », d’« enseigner la lecture des œuvres intégrales longues et soutenir la motivation. Des possibles mises en œuvre sont proposées par des enseignant.es de l’académie : progression en 2nde, séquences autour de l’œuvre intégrale (Maupassant, Foenkinos), parcours sur « le sonnet, entre ordre et désordres », pratique de lecture différenciée sur une pièce de Michalik, formes d’écrits d’appropriation autour de différents genres littéraires (une affiche pour une pièce de théâtre, un diaporama à destination d’un producteur de cinéma pour une adaptation d’un roman, une nouvelle édition d’un recueil poétique avec couverture, préface, restructuration), pistes pour la mise en œuvre et l’évaluation formative de carnets de lecture, ateliers sur la langue …

A Créteil : partage collaboratif de ressources

Un padlet collaboratif vient prolonger dans l’académie de Créteil les formations autour des nouveaux programmes. Outre les textes officiels sont mis à disposition des supports pour l’étude de la langue, la présentation d’écrits d’appropriation par les élèves de Françoise Cahen autour d’œuvres de Marivaux, Maupassant ou Céline, des propositions autour des fan-fictions, des bandes annonces de livres ou des book-trailers, une piste pour « éviter la platitude » dans l’explication linéaire par un dévoilement progressif du texte sur le tableau numérique interactif, des activités de Pierre Gallois sur les fables de La Fontaine (les élèves se les approprient en choisissant les fables qu’ils aimeraient étudier, en partageant leur mise en voix sur Padlet, en explicitant leurs sélections et intentions) et sur « Les Fleurs du Mal » (les élèves entrent dans l’œuvre par l’écriture créative et la comparaison avec des tableaux)… Le mur collaboratif est amené à s’enrichir.

A Rennes : écrits numériques d’appropriation

L’écriture d’appropriation est une recommandation forte, et nouvelle, pour favoriser l’engagement des élèves dans une lecture personnelle, sensible et réfléchie. Sur le site i-voix de lycéen.nes de l’Iroise à Brest, de nombreux exemples peuvent inspirer des pratiques diverses en la matière : réécritures poétiques par couper-coller, substitution ou dilatation, caviardage ; pastiches et inspirations diverses ; réécriture du dénouement du « Père Goriot » pour éprouver et expliciter le dilemme moral du personnage ; création de mémo-monologues d’un personnage de théâtre enregistrés sur son smartphone ; mises en voix, en photos ou en vidéos des textes ; enluminures de romans de ou sur la Renaissance ; tombeaux numériques réalisés sur des personnages de roman pour en fixer la mémoire ; faux agendas ou journaux intimes d’écrivains ou de personnages ; transposition d’œuvres via SMS ou sur les réseaux sociaux ; articles de presse variés autour des livres abordés ; fakes littéraires insolites ; images animées emmêlant texte de l’auteur et texte de l’élève … Ces modalités de lecture active et différenciée, par la publication en ligne, transforment l’expérience personnelle d’appropriation des œuvres en projet collectif de classe.

On conclura en ajoutant un ultime point de vigilance : veiller à ce que les épreuves du baccalauréat ne régissent pas les pratiques de classe en les sclérosant. Pour que la disparition à l’écrit de l’écriture d’invention n’entraîne pas la fin des pratiques créatives de la littérature. Pour que la question de grammaire à l’oral ne limite pas le travail sur la langue à des cours et exercices de repérage notionnel. Pour que l’entretien sur une œuvre ne conduise pas les élèves à n’en lire qu’une. Pour que margé l’absence du carnet de lecture obligatoire à l’oral, les écrits d’appropriation trouvent enfin leur juste reconnaissance.

Jean-Michel Le Baut

Sur le site Lettres Nancy

Sur le site Lettres Grenoble

Un padlet à Créteil

Ecrits numériques d’appropriation dans l’académie de Rennes