Print Friendly, PDF & Email

Pourquoi les enfants de profs réussissent-ils mieux leurs études ? Parce que leur parents refont la classe à la maison. Ou parce qu’ils ont davantage de temps pour suivre leurs enfants. Ou encore parce qu’ils connaissent les bonnes filières. Tous ces clichés sont balayés par Guillemette Faure, qui signe avec Luise Tourret un nouveau livre (Pourquoi les enfants de profs réussissent mieux éditions Les arènes). Pour elle, les enseignants ont des recettes qui peuvent être communiquées aux autres parents. Basé sur de nombreuses rencontres d’enfants de profs (on apprend qu’Edouard Philippe en est un) mais aussi sur des travaux sérieux, comme la thèse d’Annie Lasne, ce livre va au delà des apparences pour mettre en avant un rapport à l’école et à l’autorité qui fondent la réussite des enfants de profs. Ces secrets sont-ils aisément transmissibles ? Pas sur… Guillemette Faure fait le point avec nous.

Le métier d’enseignant est très décrié. Alors pourquoi s’intéresser aux enfants de profs ?

C’est parti d’un échange avec N Loiseau, à l’époque directrice de l’ENA, qui me dit que la moitié de ses élèves a un parent prof. C’est intéressant de voir que les enfants de profs font mieux que ceux des cadres supérieurs et qu’au final c’est la dernière catégorie des classes moyennes pour qui l’ascenseur social fonctionne malgré des ressources financières très limitées.

Pourtant les parents enseignants n’ont pas le réflexe d’offrir un séjour linguistique aux Etats-Unis à leur enfant ou de contourner la carte scolaire pour obtenir le « bon » établissement. Plutôt que de parler de délit d’initié, il faut se dire qu’ils ont un savoir de parent qui pourrait bénéficier aux autres parents pas profs. C’est tout l’objet du livre.

Bien sur les profs sont très différents les uns des autres et il y a des enfants de profs qui ne réussissent pas à l’école. Mais quand on échange avec les profs on se rend compte que sur des points précis, comme les devoirs, les vacances ou la relation aux enseignants, ils admettent avoir des spécificités.

Les enfants de profs aussi reconnaissent ces particularités. Edouard Philippe, fils de prof, en parle dans son livre. Fille d’instit, je me souviens d’avoir vu mes parents travailler à la maison et c’est plus facile pour se mettre à faire ses devoirs. J’ai découvert que les profs ne critiquent pas les enseignants de leurs enfants devant eux. Il y a aussi une gestion du temps, plus poreux que dans les autres familles. Les enseignants ne fracturent pas le temps entre le scolaire et les loisirs où on décompresse. Il y aussi un autre rapport aux notes des enfants. Dans la plupart des familles, la lecture des notes est une fin de séquence. Chez les enseignants c’est un point de départ.

La réussite des enfants d’enseignants n’est -elle pas simplement liée au capital culturel de leurs parents ?

Probablement en partie. Mais on voit que c’est aussi une affaire d’attitude par rapport à la connaissance. Le professeur de maternelle ne connait rien du programme de biologie de S. Mais il a une attitude par rapport à l’éducation qui aide son enfant.

Dans votre livre vous montrez que finalement ce que défendent les parents enseignants ce sont des valeurs traditionnelles : le travail , la persévérance. Ce sont des valeurs communes…

La curiosité c’est aussi une valeur traditionnelle ou commune ? L’autonomie ? Par exemple les enseignants ne s’affolent pas devant les résultats scolaires de leurs enfants alors que dans les milieux privilégiés il y aune véritable hystérie et des stratégies fines en matière d’éducation. Les enseignants sont plus détendus sur les questions d’éducation.

Est-ce que vous ne sous estimez pas un double délit d’initié : savoir choisir les bons établissements et bien connaitre les implicites de l’école ?

On montre bien dans le livre que quand le professeur dit en classe « il faut revoir telle chose » pour la plupart des parents il manque le mode d’emploi. Un des premiers lecteurs enseignants du livre m’a dit qu’il avait maintenant envie de débattre avec ses collègues sur ce qu’ils pensent de ce que savent les parents. Savoir apprendre une leçon par exemple oui ça reste un délit d’initié. Quand on est enseignant on finit par oublier que dans les autres familles ça se passe différemment. Dans le livre on soulève des ambiguïtés dans les consignes. Par exemple les profs disent aux parents qu’il faut laisser l’enfant faire ses devoirs seuls mais chez eux cette autonomie est relative.

J’ai l’impression qu’il n’y a davantage de délit d’initié sur les filières que les établissements. Les parents enseignants savent choisir les bonnes options plutôt que le bon établissement. Annie Lasne , dans sa thèse, compare les parents professeurs et cadres sur leurs critères de choix des établissements. Les cadres supérieurs choisissent en fonction de la réputation et de la fréquentation de l’établissement, les enseignants en fonction des options et du contenu pédagogique.

Dans le livre, vous mettez l’accent sur la qualité du lien avec l’école. Tous les parents doivent le renforcer.

Quand l’école se fait à porte close cela pénalise qui ? Pour les enfants d’enseignants l’école est moins fermée. Cela ouvre des discussions intéressantes.

Qu’est ce que votre livre peut apprendre aux enseignants ?

Le livre peut déjà mettre en valeur les ambiguïtés soulevées plus haut entre les consignes données par l’école et ce qui est reçu par les parents. C’est un encouragement à donner des modes d’emploi plus explicites.

Si les profs ont ces avantages on relève que malgré tout ils ne souhaitent pas que leur enfant soit enseignant. N’y a-t-il pas une contradiction ?

Les enfants d’enseignants disent tous que leurs parents ont eu une vie d’abnégation. C’est lié au statut des enseignants dans la société. Mais les enseignants ne poussent pas non plus leurs enfants vers les écoles de commerce par exemple. C’est sans doute à cause du coût de ces études. Mais c’est aussi pour une question de valeurs.

Pour le livre on a cherché qui était enfant d’enseignant. On en a repéré beaucoup dans des profils très variés. On les cite dans le livre. Ils disent spontanément ce que ça leur a apporté d’avoir des parents enseignants.

Propos recueillis par François Jarraud

Guillemette Faure et Louise Tourret, Pourquoi les enfants de profs réussissent mieux. Editions Les arènes. ISBN 978-2-7112-0148-8