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Pourquoi labelliser un établissement scolaire « école du bonheur » ? Yasmina Zozor, principale du Collège Saint-John Perse, aux Abymes (Guadeloupe) montre comment se met en place un projet de ce type. Surtout, elle explique pourquoi elle a voulu labelliser son établissement.  » Aucune de ces actions n’est en soi véritablement nouvelle, ni ne constitue un élément décisif pour changer la donne et effacer les difficultés qui peuvent être rencontrées à Saint-John Perse. En revanche, toutes ensemble, insérées dans un projet global, dans une logique de confiance et de mutualisation, elles devraient nous aider à transformer notre lieu de travail en un lieu de vie dans lequel chacun d’entre nous s’épanouira »

La labellisation des « écoles du bonheur » est destinée à promouvoir les initiatives qui améliorent le bien-être et la relation entre tous les acteurs (professeurs, cpe, administration élèves, parents, intervenants, avs, aed etc.) des écoles, collèges et lycées. Les dispositifs de bien-être mis en place au sein des établissements concernent les élèves, les enseignants et l’ensemble de la communauté scolaire autour de trois leviers essentiels à la réforme de notre école et du rétablissement de la confiance : celui des acteurs, des contenus et de l’organisation de la vie scolaire.

La labellisation est le fruit d’une collaboration entre l’institution (rectorats et ministères de l’éducation des différents pays concernés) et les travaux du laboratoire de recherche BONHEURS (université de Cergy). Le rôle de l’équipe de recherche consiste en particulier à expérimenter le processus de labellisation, de l’affiner et de mesurer ses effets. Dans cette perspective, la démarche est celle d’une contractualisation avec les ministères ou avec une ou plusieurs académies. C’est au titre de la conception et de l’évaluation des dispositifs par la recherche que le label est attribué. Il s’agit d’un label d’engagement dans un processus d’amélioration du bien-être de l’établissement. Le processus de labellisation a été pensé par des chercheurs et des professionnels de l’éducation (inspecteurs, personnels de direction, professeurs, CPE…). La démarche insiste sur le respect des besoins psychiques fondamentaux (sécurité, appartenance, justice, reconnaissance, autonomie, etc.) ainsi que des droits des élèves et des enseignants (respect de la dignité, égalité, liberté d’expression, etc.). Elle permet de proposer aux équipes un cadre de progrès pédagogique et éducatif structurant.

Le Collège Saint-John Perse Les Abymes Guadeloupe est un des premiers à obtenir le label. Yasmina Zozor, principale de ce collège, explique pourquoi elle a voulu labelliser son établissement.

Pourquoi avez-vous initié des dispositifs sur le bien-être dans votre établissement ?

Cette démarche de bien-être est une démarche que j’ai essayé d’apporter dans chaque établissement dans lequel j’ai travaillé, en Seine et Marne ou à Bagneux (92) en tant que principale, mais aussi au lycée Jardin d’Essai, en Guadeloupe, comme proviseure adjoint.

Je reste convaincue qu’un établissement qui se porte bien est d’abord un établissement où le personnel, quelle que soit sa fonction, son grade, sa catégorie, se sent bien, en sécurité, a le sentiment d’être respecté et à sa place, dans lequel il peut donner sa pleine mesure, dans le respect des missions de chacun. De nos jours, en effet, l’Ecole ne doit plus seulement transmettre des connaissances et apprendre le vivre ensemble mais surtout apprendre aux élèves à être responsables, autonomes, en un mot : citoyens, afin qu’ils puissent s’adapter à un monde en mutation permanente qui sera le leur.

J’ai été nommée principale en 2017, au collège Saint-John Perse situé sur la commune des Abymes en Guadeloupe. Dans un milieu urbain, dense, en pleine rénovation depuis 2009, il a une spécificité particulière : une très grande hétérogénéité des publics qui oblige la communauté à œuvrer pour une réelle inclusion.

Je me suis appuyée sur une équipe existante, volontaire, travaillant ensemble, autrement, pour amener chaque élève sur la voie de SA réussite et de SON excellence. L’essentiel étant, à mes yeux, de mettre en avant tous ceux qui, au-delà de l’élève, visent l’épanouissement de l’enfant.

Pouvez-vous présenter ces dispositifs, ses modalités, sa mise en oeuvre, ses bénéficiaires, ses visées ?

Les dispositifs mis en place à notre niveau visent et touchent tous les acteurs de la communauté scolaire. Ils existent dans la classe ou hors la classe. Portés par les acteurs de terrain, ils sont nécessaires pour que les élèves s’engagent avec plaisir dans les apprentissages.

Trop nombreux pour tous les présenter dans le cadre de cet article, ils reposent sur l’emploi de leviers divers parmi lesquels on peut citer : une organisation particulière des emplois du temps (pas de cours le jeudi après-midi), des personnels volontaires, des projets disciplinaires, transversaux et une recherche de financements et partenaires hors Education Nationale. Ainsi que sur une écoute des demandes des adultes (enseignants, agents, parents). A Saint-John Perse, cette demande a porté sur du temps, de la formation et de l’information.

Comment cela s’est traduit à la rentrée pour les équipes ?

Pour les enseignants, chaque rentrée est un nouveau départ qui demande un effort d’adaptation : nouvelles classes, nouveaux élèves, nouvel emploi du temps, nouvelles équipes et nouveaux collègues… Pour intégrer ces changements, il faut du temps. A cet effet, la rentrée des personnels s’est déroulée sur plusieurs jours afin que chacun puisse retrouver ses repères, échanger avec ses pairs et se réapproprier l’espace professionnel.

Pour les accompagner, face à un public qui change, nous organisons des formations sur site : conférences sur l’accueil des élèves dit « dys », formation autour de la gestion de classes, des groupes…, sur les techniques de la méditation de pleine conscience et la sophrologie pouvant être utilisées pour soi ou avec les élèves. Plébiscité par les équipes, l’expérience d’un atelier sophrologie pour souffler et se ressourcer, mis en place l’année précédente a été renouvelé.

Nos équipes ont aussi réfléchi à améliorer la prise en charge des élèves dans la classe et hors la classe dans les dispositifs tels que les devoirs faits, l’accompagnement personnalisé, l’accompagnement des élèves à besoins particuliers. Nous avons aussi mis en place un cadre commun autour des règles de vie au collège devant être connu et respecté par tous.

Une formation sur les risques psycho-sociaux a été organisée au collège avec l’aide du Rectorat afin de mieux comprendre les risques au travail et développer les compétences psycho-sociales. En participant à différents ateliers proposés, les adultes de l’établissement ont échangé sur leurs pratiques, appris à poser leur voix, gérer les conflits… Ce temps a été aussi un prétexte pour faire travailler ensemble des personnels qui restent parfois à l’écart : AESH, services civiques et assistants d’éducation et augmenter la cohésion et le sentiment d’appartenance à une équipe.

Tout membre de la communauté éducative : enseignant, PsyEN, infirmière, agent, assistante sociale, personnel administratif et/ou association de parents est force de proposition pour la mise en place d’actions au sein de l’établissement. Ces actions sont destinées aux membres de la communauté scolaire afin de répondre aux problématiques qui se posent au collège. En tant que Principale, je suis facilitateur de cette mise en place, j’accompagne, valorise et mets en avant les talents.

Comment cela s’est traduit à la rentrée pour les élèves ?

Certaines de nos actions visent à améliorer la prise en charge des besoins physiologiques des élèves : sport et petit-déjeuner avec les classes de 4ème.

D’autres concernent le développement de l’estime de soi grâce à des ateliers de sophrologie ou de gestion des émotions, pour apprendre à gérer le stress ou travailler sur l’affirmation de soi. Une psychologue sophrologue peut aussi nous accompagner sur des situations délicates.

Nos actions s’attachent à apaiser le climat scolaire : atelier de médiation par les pairs, semaine de l’apaisement relayée par les enseignants avec des sorties cohésion, ateliers carnaval, …

Développer un sentiment d’appartenance est aussi un axe important de la vie du collège au-travers d’ateliers artistiques et culturels avec la réalisation d’une peinture murale à l’entrée du collège accompagné par un artiste plasticien ou par l’action du Conseil de Vie Collégienne avec des projets d’amélioration du cadre de vie : plantations en famille, brigades vertes…

Transformer son environnement se fait par le bais de projets citoyens avec le Comité d’Education à la Santé et à la Citoyenneté : harcèlement, addictions, sécurité routière… Les partenaires extérieurs institutionnels : associations, police, parents, sont sollicités pour collaborer aux actions mais aussi des prestataires privés.

Ouvrir l’établissement sur le monde avec des partenaires privés oblige à monter des projets et à rechercher des financements extérieurs et permet aussi d’avoir un regard différent qui enrichit chaque action.

Toutes ces actions ne sont pas déconnectées de la classe. Bien au contraire, nous pensons que le bonheur doit aussi être dans la classe.

L’équipe d’enseignants au collège Saint-John Perse est une équipe stable. La mise en place de projets disciplinaires et/ou pluridisciplinaires comme le rallye maths-anglais avec les élèves de 5ème, le village international des langues ou encore the Voice, les voyages à Houston ou en Irlande participent à la dynamique de la vie de l’établissement et à la cohésion de la communauté.

Les élèves peuvent aussi être organisateurs, ils ont permis la venue des Kitticiens au collège. Ils ont élaboré le programme d’accueil, trouvé les familles et cherché les financements. Que de compétences transversales mises en oeuvre !

De nouveaux dispositifs ont été initiés cette année : l’aventure de la mini-entreprise AAA avec les élèves de troisième d’une classe projet a mis en avant une volonté de l’équipe pédagogique de la classe de donner du sens aux apprentissages, d’évaluer autrement autour d’un projet fédérateur, la création d’une entreprise au sein de l’établissement pour lutter contre l’obésité, manger sain et créer des recettes par les ados, pour les ados.

Les enseignants de langues ont ouvert leurs classes aux parents lors de la semaine académique des langues ; une évaluation des compétences langagières à l’oral s’est faite devant et avec les parents ; des séances de respiration ont lieu en début de cours dans certaines disciplines…

Certains abandonnent la salle de classe pour le préau ou pour aller faire cours dans les espaces verts.

Quels sont les impacts attendus ?

Aucune de ces actions n’est en soi véritablement nouvelle, ni ne constitue un élément décisif pour changer la donne et effacer les difficultés qui peuvent être rencontrées à Saint-John Perse. En revanche, toutes ensemble, insérées dans un projet global, dans une logique de confiance et de mutualisation, elles devraient nous aider à transformer notre lieu de travail en un lieu de vie dans lequel chacun d’entre nous s’épanouira et trouvera sa voie en se nourrissant et s’enrichissant des autres.

Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS

(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)