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Alors que plusieurs lycées sont en grève parce que les enseignants ne disposent pas des manuels scolaires ou des outils numériques équivalents, les Régions de France ont plaidé « non coupable » le 4 septembre face à « l’explosion des charges » générée par les décisions ministérielles. Pour l’orientation, confiée aux régions par l’Etat, les ambitions régionales vont mettre du temps à se concrétiser dans les établissements. Les régions veulent aussi défendre les CFA mis en danger par la loi avenir professionnel. Les réformes réalisées au pas de charge par le gouvernement pèsent sur les budgets régionaux. Sur le terrain elles pourraient bien se traduire par une année blanche dans les lycées.

La question des manuels scolaires

« Vous n’aurez pas de manuels à la rentrée ». La phrase est devenue un classique des journées de rentrée en lycée cette année. En imposant la réforme des programmes pour deux années (2de et 1ère) en 2019, JM Blanquer a déjà soumis les éditeurs à un défi énorme pour sortir les ouvrages pour la rentrée. Pour autant cela ne règle pas tout. Second défi : il faut imprimer les manuels à plusieurs millions d’exemplaires et les transporter jusqu’aux établissements ou les libraires.

Mais avant que les manuels arrivent en salle de classe il y a aussi l’étape Régions. « En lycée les supports c’est le trou noir en matière de responsabilité publique », explique François Bonneau, président délégué de Régions de France qui est aussi à la tête de la région Centre. Si la loi a mis à la charge des communes les manuels du primaire et de l’Etat ceux du collège, elle ne dit rien pour les manuels des lycées. En fait les régions ont toutes pris en charge totalement ou partiellement le cout des manuels.

De 750 000 € à 6.5 millions

Mais cette année elles ont du mal, confie F Bonneau. « La réforme du lycée amène pour cette rentrée le changement des manuels en 2de et en 1ère. Puis ce sera le lycée professionnel et en 2020 la terminale ». « C’est un poids considérable » assure t-il. Il parle « d’explosion des charges » pour les régions. Pour sa région Centre le coût des manuels est passé de 750 000 € à 2.5 à 3 millions. Au niveau national France régions estime le coût des manuels à 300 millions.

Cela pour les versions papiers. Mais il faut aussi compter avec les versions numériques. « Dans ma région avec les licences correspondant aux manuels, le matériel, les infrastructures, on arrive à 6.5 millions », assure F Bonneau. Une somme qu’il compare aux 750 000 euros de 2018. Les régions sont conscientes des problèmes pédagogiques posés par l’arrivée massive du numérique dans une partie des régions mais « la pédagogie n’est pas de la responsabilité des régions ». Quant aux infrastructures, le très haut débit sera installé partout mais d’ici 2025…

Ces dépenses en plus il faut les faire dans le cadre de l’accord passé avec l’Etat à Cahors qui limite la hausse des dépenses régionales à 1.2% en 2019. « On n’est pas certains que tous ces surcoûts seront exclus de Cahors », dit F Bonneau. Le ministre ne s’est engagé verbalement que pour les manuels.

Kamel Chibli, président de la commission éducation de l’association des régions, craint aussi les hausses de frais des transports scolaires : la réforme des lycées a bouleversé les emplois du temps des lycées

L’orientation en pleine mutation

« On va relever le défi de la représentation du monde de demain par les jeunes », affirme F Bonneau. Le second grand chantier de l’année c’est la réforme de l’orientation avec la prise en charge de l’orientation scolaire par les régions cette année. Pour lui le vrai défi c’est de « connecter le monde de l’économie et celui de l’éducation ».

Les directions régionales Onisep vont etre transférées aux régions d’ici décembre. Régions France pense avoir signé des conventions avec tous les rectorats en novembre. Elles produiront l’information métiers destinées aux élèves. Les régions fourniront les supports et les partenaires pour les heures destinés à l’orientation dans les établissements. « Les chefs d’établissement sauront qui mobiliser pour la séquence d’un professeur principal ou à qui faire appel pour monter un forum dans l’établissement », explique F Bonneau. Les régions feront l’interface entre les établissements et les entreprises qui seront mobilisées pour ces interventions.

« On a des moyens limités », explique F Bonneau. Là aussi le cadre fixé à Cahors pèse sur les régions. Elles pensent embaucher quelques directeurs de CIO, en plus d’une partie du personnel Dronisep, pour les aider et s’appuyer sur les branches professionnelles ou les chambres de commerce.

L’apprentissage face aux inégalités territoriales

Troisième chantier régional : l’apprentissage. « On tient à ce que l’apprentissage se développe », affirme F Bonneau. Les régions ont du mérite puisque l’Etat leur a retiré cette compétence pour la confier aux branches professionnelles. Ce qui reste aux régions c’est la carte des formations professionnelles.

« On ne veut pas voir resurgir d’opposition violente entre lycée professionnel et apprentissage », assure F Bonneau. « Il faut une complémentarité ». Pour les régions c’est une position « pragmatique ». « Il faut abandonner une approche idéologique d’opposition pour servir l’intérêt des jeunes » , assure F Bonneau. Pour les régions la mixité des parcours est un moyen de maintenir des formations dans la proximité. Problème : là aussi l’Etat a coupé le nerf de la guerre. Les régions ne disposent que de 180 millions pour les dépenses d’investissement, qui seront répartis en fonction des dépenses des années 2017-2019. Pour les dépenses de fonctionnement des CFA, celles qui permettront aux petits CFA de tenir le coût alors que la loi Avenir professionnel les finance au contrat, les régions ne disposeront que de 138 millions. Elles en demandaient 250.

Essuyer les plâtres

Ces trois chantiers finalement démontrent bien ce qu’est la décentralisation à la française : les régions sont des collectivités ayant des compétences mais elles sont tellement imbriquées avec celles de l’Etat que les régions sont prisonnières du cadre fixé par l’Etat, particulièrement du cadre budgétaire.

Pour les enseignants et les établissements, on mesure à quel point 2019-2020 va être une année où établissements et acteurs locaux vont essuyer les plâtres. Les réformes sont décrétées mais rien n’est prêt à cette rentrée. Il faudra encore des semaines et probablement des mois pour que les manuels scolaires papier et numériques soient dans les mains des élèves. Le dispositif d’orientation ne sera probablement pas prêt au moment où les lycéens devront faire leurs choix de spécialité et dans Parcoursup.

Les ruptures culturelles s’additionnent

D’autres décisions semblent aller bien vite. La mixité des parcours et même des publics en lycée professionnel va poser beaucoup de problèmes aux enseignants. Elle est quand même imposée au nom du pragmatisme par les régions mais aussi par le ministère. L’entrée des entreprises dans les établissements pour les formations à l’orientation, la redéfinition de l’information des Dronisep dans cet esprit ce n’est pas rien non plus en terme de rupture culturelle pour le monde enseignant. Sans parler des problèmes matériels de débit et d’installations, le passage au tout numérique imposé pour des raisons budgétaires mais non accompagné sur le plan pédagogique aussi. L’Etat impose ses conceptions. Les régions courent derrière. Et le monde de l’Ecole subit.

François Jarraud

L’Etat et les régions affichent leur accord

L’accord de Cahors

Le vademecum sur la réforme de la voie professionnelle