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Professeure certifiée en anglais, Nicole Vaitylingon, est aussi certifiée en techniques de yoga et de relaxation dans l’éducation. Depuis six ans, elle porte le projet « Sur le chemin de la liberté » au collège Raizet, situé dans la commune des Abymes , à la périphérie de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Elle explore le champ des possibles en matière de bien-être des élèves, des personnels et des parents dans cet établissement labellisé « école du bonheur »

Pourquoi avez-vous initié des dispositifs sur le bien-être dans cet établissement ?

Il y a une quarantaine d’années, notre collège était le meilleur de la Guadeloupe. Aujourd’hui plus de 50% des 701 élèves que nous accueillons sont boursiers, issus de familles mono-parentales, dont beaucoup d’origine étrangère, souvent touchés par une situation socio-économique précaire, génératrice de tension, d’insécurité et de violence.

Notre intérêt pour la question du bien-être est donc né de la difficulté croissante que nous rencontrons, à faire apprendre nos d’élèves et à leur apprendre à apprendre. Ils ont du mal à entrer dans les apprentissages, et à respecter les règles du vivre ensemble. La didactique et la pédagogie ne semblent plus suffire, car les élèves souvent en surcharge émotionnelle, ont développé d’efficaces stratégies de résistance.

Que faire dès lors, pour les rendre plus calmes, attentifs, concentrés, heureux, sécures, avec un regard positif sur eux-mêmes, épanouis dans leur relation à l’autre, respectueux des règles et impliqués dans leurs apprentissages?

Face à cette problématique, nous avons, avec l’aval du Chef d’établissement, Suzy Same, élaboré un projet que nous avons appelé : « Sur le chemin de la Liberté » qui cherche à prendre en compte les besoins des élèves, certes, mais aussi ceux des personnels et des parents. Depuis, il s’est inscrit dans la culture de notre établissement, grâce aux efforts de tous et en particulier à ceux de la CPE, C. Rodomond, la professeure de lettres, C. Bulin, et la coordonnatrice ULIS, S. Noirtin.

Comment a été mis en oeuvre ce dispositif ?

Le cœur du dispositif est le développement personnel et la gestion du stress de l’élève, pour qui l’Ecole peut être anxiogène.

Il se déroule de la façon suivante : à l’aide d’une grille de repérage, les personnels signalent les élèves des quatre niveaux, en voie de décrochage. Plus de 150 élèves de la 6e à la 3e sont pris en charge chaque année. Ils sont confiés par petits groupes d’une douzaine à un professionnel qui crée un espace de parole. Puis, progressivement, il amène chaque élève à se découvrir dans ses différentes dimensions, lui apprend à mieux se connaître, à identifier ses émotions pour ensuite lui apprendre à les gérer. Les élèves ont pu, ainsi, expérimenter différentes techniques : coaching, Gestalt, programmation neurolinguistique (PNL), percussion corporelle.

A l’issue de ces séances, certains élèves sont pris en charge par l’équipe médico-psycho -sociale ou par un psychologue en exercice libéral et par l’art thérapeute. D’autres participent à des ateliers d’expression musicale, plastique, littéraire, dramatique, d’improvisation théâtrale, de jeux du cirque, acrobatie, jonglerie, canithérapie, de cultures urbaines, avec pour objectif de libérer les ressentis négatifs.

En classe, et en accompagnement personnalisé, les techniques de yoga et de relaxation dans l’éducation sont dispensées par deux enseignantes formées au yoga du RYE. D’autres font écouter de la musique relaxante, pratiquent de courtes pauses respiratoires, suivent les instructions de bandes sonores ou de manuels spécialisés, pour le retour au calme. Des ateliers de coloriage de mandalas sont organisés pendant la pause méridienne par le foyer socio-éducatif et la vie scolaire.

Dans le cadre de la préparation aux examens, tous les élèves de 3eme, bénéficient des interventions de deux spécialistes en gestion du stress secondées par des enseignantes de yoga du RYE et de la méthode Vittoz, dans le cadre du projet. Par ailleurs, l’accueil en musique et la sortie sereine ont été initiés, les espaces verts entretenus avec amour et soin par le jardinier, pour rendre plus « habitable » notre établissement bien vétuste.

Il faut souligner que le dispositif s’inscrit dans les quatre parcours : Santé et en particulier santé mentale, avec la gestion du stress – Avenir avec la prise de conscience des enjeux de l’école, un jalon vers la formation professionnelle – Education Artistique Culturelle à travers de nombreuses actions dont Collège au cinéma – Citoyen avec les nombreux projets et invités dans le cadre de la Journée Internationale de la Non-Violence. D’autres projets menés par les équipes contribuent au développement du Numérique, à l’Education à l’altérité : campagnes solidaires, voyage, croisière, E.Twinning, émissions avec la Radio interschool … , car il s’agit pour nous de former tant le citoyen attaché aux valeurs de la République, que le citoyen du monde, dans sa dimension Universelle.

En outre, plusieurs formations in situ, sont organisées chaque année à l’attention du personnel en communication non-violente, gestions du stress, sur le sens de l’Ecole, les adolescents, de même qu’un cours hebdomadaire de yoga.

Quant au parent, il est accompagné dans sa mission d’éducation : des réunions d’information, des entretiens, des rencontres et un cours de sophrologie qui est à reconduire, ponctuent l’ année.

Quels sont les impacts attendus ?

En nous intéressant à la dimension émotionnelle de l’élève, nous cherchons avant tout à préparer son mental à être plus réceptif aux apprentissages, car il s’agit bien de l’amener progressivement à maitriser les différents domaines du socle et à obtenir le DNB ou le CFG. Partant de l’hypothèse qu’une fois, libéré des tensions cérébrales et corporelles, qui l’empêchent d’ accéder à son essence véritable d’être intelligent, talentueux, créatif, capable de réussite, il changera son regard sur lui-même, sur l’école, redonnera du sens à ses apprentissages et au vivre ensemble, pour enfin s’inscrire dans un projet professionnel, voire un projet de vie. En ayant amélioré son estime de soi et la confiance en soi, il sera plus apaisé, plus motivé, plus concentré, plus altruiste dans sa relation à l’autre. C’est aussi lui permettre d’accéder à un espace illimité en lui apprenant à se reconnecter à lui-même.

Le personnel, une fois sensibilisé et formé, sera amené à s’interroger sur lui-même, à revisiter sa pratique, à adopter une posture bienveillante et empathique, tout en gardant rigueur et éthique professionnelles.

En aidant le parent à s’apaiser, à gagner en confiance quant à l’avenir de son enfant, il sera sans doute plus à son écoute, et pourra mieux l’assister dans son développement.

Des évaluations sont menées tant au niveau qualitatif que quantitatif, dans le cadre du dispositif et même si elles doivent être renforcées, elles nous renseignent déjà sur les effets positifs de cette expérimentation sur nos élèves. Cependant que, beaucoup reste à faire…

Par le biais du projet « Sur le chemin de la liberté », classé au TOP 30 des projets innovants, au niveau national en Mars 2017, Grand Prix Académique de l’Innovation la même année, les équipes cherchent à contribuer, au bonheur des membres de la communauté scolaire. La route est encore longue, mais avec le soutien de nos partenaires : Associations de parents d’élèves, Rectorat, Politique de la Ville, Agence Régionale de Santé (ARS), Contrat Local de Santé, Comité d’agglomération Cap Excellence, Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, CGET/DJSCS, Fondation de France, Association Recherche sur le Yoga dans l’Education, Ambassade de l’Inde à Paris, Air Caraïbes, nous cheminons, comme une barque sur la mer, vers notre destination….

Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils

Directrice du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)

Université de Cergy-Pontoise