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Comment « faire de la difficulté pédagogique le point de départ de l’élaboration d’une séance » ? Professeure de français au collège Jean-Jacques Rousseau à Labastide Saint-Pierre (82), Alexia Bonnet-Motycka a mené en ce sens une activité autour d’une célèbre page de Marcel Proust. Dans un 1er temps, les élèves de 3ème écoutent le début du texte lu par l’enseignante et partagent leurs impressions. Ils sont ensuite invités à sentir une tasse de thé et à goûter une madeleine pour écrire sur les sensations et souvenirs qui s’y attachent. Puis la suite du texte est distribuée : elle donne lieu à un écrit de travail et un débat de compréhension. Quelques jours plus tard, les élèves font émerger les souvenirs du travail mené, analysent certains extraits pour « goûter au style proustien », rédigent une synthèse sur l’écriture du souvenir. Le dispositif veut varier les entrées dans le texte pour en favoriser une expérience et une appropriation plus personnelles. Eclairages de l’enseignante …

« Enseigner la lecture peut avoir quelque chose de paradoxal pour les professeurs de français : si les textes littéraires sont les supports d’une activité plaisante pour les lecteurs que nous sommes, ils représentent souvent des objets d’apprentissage résistants pour nos élèves. Ce constat est le point de départ de l’élaboration de cette séance : il s’agit de faire acquérir aux élèves des démarches pour s’approprier personnellement la lecture d’un texte patrimonial.

Le texte extrait d’A la Recherche du temps perdu est étudié dans le cadre de la première séquence à partir des questionnements « Se chercher, se construire : Se raconter, se représenter » et « Regarder le monde, inventer des mondes : Visions poétiques du monde ». J’avais déjà étudié ce texte avec d’autres classes de 3èmeles années précédentes mais je cherchais une nouvelle modalité pédagogique en lien avec la question du souvenir afin de lire le texte de Marcel Proust en écho avec une expérience de lecture vécue en classe. J’ai alors imaginé une activité d’écriture autour des sensations à partir de la lecture du texte : la madeleine et le thé se sont révélés être d’excellents embrayeurs d’écriture. Je ne m’attendais pas à ce que cela éveille autant de souvenirs chez les élèves : cela a facilité l’appropriation du texte par identification. De plus, en se confrontant à l’activité d’écriture de description de l’odeur du thé, du goût de la madeleine et de la tentative de restitution de cette expérience, les élèves ont été particulièrement sensibles au style proustien.

L’analyse du texte s’est construite autour de cette comparaison entre leurs propres productions et le texte, de commentaires à partir de la lecture à voix haute de certains extraits, de l’interprétation des effets suscités et de la façon dont la langue était utilisée pour les créer. Les activités d’écriture (écrits de travail, écrits rédactionnels), de lecture (compréhension de texte, lecture à voix haute) et orales (débat de compréhension, échanges oraux autour des impressions et des hypothèses de lecture) ont été au service de la compréhension et de l’appropriation personnelle du texte. Les élèves ont ainsi pu découvrir ou réinvestir des approches diverses d’un même texte.

Le bilan de la séance a été rédigé de façon personnelle par chaque élève : j’ai constaté que l’essentiel du texte avait été compris par une majorité d’élèves sans que cela n’ait rien enlevé rien au fait que chacun avait retenu quelque chose de différent de cette séance. Les commentaires ont été variés et j’ai été particulièrement surprise lorsqu’une élève a conclu son bilan par une mise en abyme en posant la question suivante : « de quoi me souviendrai-je en mangeant une madeleine dans dix ans ? »

Je retiens de cette expérience que l’on gagne à partager avec les élèves des textes que nous apprécions pour leur qualité littéraire malgré leur apparente résistance et qu’il peut être intéressant de faire de la difficulté pédagogique le point de départ de l’élaboration d’une séance. »

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Présentation du travail d’appropriation du texte de Proust

Présentation d’un travail d’appropriation d’une œuvre de Bazin