Print Friendly, PDF & Email

« Depuis 4 heures on ne parle que du voile mais le mot n’est pas dans la loi ». S’il avait fallu démontrer le caractère islamophobe de la loi adoptée par le Sénat le 29 octobre, cette remarque de la sénatrice Esther Benbassa suffirait. Mais nul besoin de démonstration. Sans vergogne, au lendemain d’un attentat xénophobe, après des semaines de battage médiatique où le ministre de l’éducation nationale a eu sa part, le débat sur la proposition de loi déposée par les Républicains a plongé à de nombreuses reprises dans le caniveau xénophobe. La loi adoptée par le Sénat ne répond pourtant à aucune urgence ni même aucune demande des enseignants ou des directeurs d’école. Si elle était confirmée, elle ne ferait que compliquer leur tâche. Le Sénat a retrouvé le 29 octobre les échos de ses pires heures des années 1930.

Une proposition de loi de droite

« Nous devons faire très attention à ce que nous tous, ici, responsables politiques élus ou non, nous disons. Singulièrement lorsque nous parlons de religion, de toutes les religions… Dans une démocratie mûre comme la nôtre, dans une République sûre de ses principes, nous pourrions tous ensemble considérer qu’il n’y a qu’une seule communauté : la communauté nationale. Et à chaque fois que l’on pointe telle ou telle confession ou telle ou telle partie du peuple, on appauvrit ce qu’est la République ». Le moins que l’on puisse c’est que ces propos du premier ministre, applaudis par l’Assemblée nationale, étaient peu audibles au même moment, le 29 octobre, au Sénat.

Le Sénat devait se prononcer sur une proposition de loi déposée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio sur « la neutralité religieuse des personnes participant au service public de l’éducation ». Une proposition de loi déposée quelques jours après le rejet d’un amendement identique de la loi Blanquer.

Le texte tient en un article.  » Le troisième alinéa de l’article L. 1111 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes qui participent au service public de l’éducation sont également tenues de respecter ces valeurs. » Après le premier alinéa de l’article L. 14151 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « La même interdiction s’applique aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles et établissements publics locaux d’enseignement. » Il faudra cinq heures de débats au Sénat pour adopter cet article unique (complété d’un second étendant la loi à Wallis et Futuna). C’est que le débat s’est éloigné très vite de « la neutralité religieuse » pour véhiculer les pires amalgames entre mères en foulard et terroristes.

Au lendemain d’un attentat contre une mosquée

Depuis plusieurs semaines certains médias, comme le JDD ou Cnews, alimentaient une campagne montrant du doigt les musulmans. Le ministre de l’éducation nationale savait bien que cette proposition de loi était inscrite à l’agenda du Sénat. Cela ne l’a pas empêché de participer à cette campagne déclarant le voile « non souhaitable », présentant les écoles comme menacées par des parents musulmans. Pourtant on aurait pu s’attendre à davantage de retenue de la part du Sénat. Car le 28 octobre un attentat contre la mosquée de Bayonne fait deux blessés graves par balle.

Coincée entre les Macronistes et les Le Pénistes, la droite, majoritaire au Sénat, voyait peut-être dans ce texte un moyen de se renforcer pour les municipales. Adroitement, J Eustache Brinio, puis le rapporteur de la loi, Max Brisson (LR également et sénateur de Bayonne !) ont longuement cité des hommes politiques de gauche : Ferry, Zay, Briand et même Badinter sont utilisés pour justifier cette loi. J Eustache Brinio rappelle que la circulaire Chatel de 2012 n’a pas été abrogée même si les ministres ne l’ont pas appliquée.

Amalgames et écoeurements

Mais très vite la droite sort du débat d’idées pour travailler les amalgames. « Face aux grandes menaces pesant sur notre unité le législateur ne peut pas rester dans la passivité », affirme J Eustache Brinio. « Face aux extrémistes nous ne pouvons pas avoir la main tremblante », dit J Bascher (LR) assimilant mamans à foulard et terroristes. « C’est un bras de fer qui est lancé par ces femmes appuyées par un communautarisme islamiste » croit savoir P Pemezec (LR) tout en déclarant qu’il « préfère manger du poisson le vendredi que casher ou hallal ». « Le foulard est un emblème pour ceux qui veulent défier la république », affirme S Piednoir (LR). Le sénateur centriste JM Mizzon croit qu’il faut « protéger les enfants  » des mamans voilées. Michel Savin (LR) ne peut s’empêcher de parler du burkini. Finalement il n’y a plus de barrière entre les propos nauséabonds du sénateur JL Masson (NI), auteur d’amendements heureusement écartés, et ceux de certains élus de la droite et du centre.

Mais les dégats sont plus larges encore. Pour cette loi sur « la neutralité religieuse », le débat laisse libre court à tous les fantasmes sur les mamans voilées et les musulmans en général même chez des élus bien intentionnés. Au bout de 4 heures, la sénatrice Esther Benbassa relève qu’on ne parle que du voile, terme qui n’est pas dans la loi…

Au PS, Samia Ghali juge ce spectacle « peu digne » et en appelle au président de la République comme garant de la paix dans le pays. L Lafon (centriste) craint « que cette proposition de loi alimente le débat sans apporter la sérénité nécessaire ». A Karam (LREM) invite à « ne pas céder à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier ». C Mélot (indépendants) craint qu’en « les stigmatisant on enferme ces femmes dans le communautarisme ». Nassima Dindar, sénatrice de La Réunion (centriste), essaie de montrer la difficulté de faire le tri entre les types de voile existants à La Réunion. S Robert (PS) estime que la loi « crée un problème juridique et ne va pas favoriser les directeurs d’école ». P Ouzoulias (PC) cite Tertullien pour rappeler que le voile est d’abord chrétien. Il explique que les dispositions anti prosélytisme inclues dans la loi Blanquer rend cette loi inutile. « Cette proposition de loi nourrit la suspicion générale selon laquelle certains de nos concitoyens ne pourraient pleinement appartenir à la nation ».

Une loi pas souhaitable pour JM Blanquer…

Jean-Michel Blanquer n’est pas pour rien dans cette proposition de loi. IL avait écarté l’amendement demandant l’interdiction des signes religieux pour les accompagnatrices dans la loi Blanquer. Mais ensuite il s’est fait le chantre d’une laïcité de fermeture expliquant que des petites filles sont écartées de maternelle dans des familles musulmanes. Puis, après l’incident au conseil régional de Bourgogne il déclare que le voile « n’est pas souhaitable ». Et comme il s’obstine il est recadré par le premier ministre et à deux reprises par le président de la République.

Autant dire que ses propos étaient très attendus. JM Blanquer s’est prononcé contre la proposition de loi. « On n’est pas démuni avec le droit existant », dit -il rappelant que l’arret du conseil d’Etat permet aux directeurs d’écarter des parents prosélytes. « On doit envoyer aux enfants que leurs parents sont les bienvenus à l’école. C’est ainsi que l’on peut compter sur une contagion des idées de la République… On n’a pas besoin de grand débat pour nous épuiser mais de lutter contre le communautarisme et la radicalisation ». Pour lui, « la loi est contre productive par rapport à ces objectifs ». On mesure le chemin parcouru en quelques jours…

La démocratie et les différences

Finalement la proposition de loi est adoptée par 163 voix contre 114. Le sujet a divisé les partis. Chez les Républicains 130 sénateurs votent pour la loi, 3 contre et 10 s’abstiennent. Chez les centristes c’est 13 pour et 9 contre. Au RDSE 3 contre et 13 pour. Votent contre la loi le PS (56), LREM (23) et le PC (16).

C’est JM Blanquer qui tire la leçon de cette triste journée au Sénat. « Une définition commune est apparue. On est contre une société fragmentée. L’immense majorité des français est d’accord avec cela », dit-il. Pourtant la loi est bien un texte de division et alimenter ainsi le fantasme d’une société uniforme c’est jouer la division. S’il faut chercher et inlassablement construire le commun, il faut aussi savoir que la démocratie se nourrit des différences.

François Jarraud

Dossier législatif

Numéro gratuit du P’tit Libé sur la haine contre les musulmans

Voile : Le dernier combat du soldat Blanquer

La laïcité ne mode fermeture