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La musique peut-elle changer un établissement ? JM Blanquer assure que oui. Et le spectacle musical monté par les élèves et les enseignants du collège Giacometti (Paris 14ème) lui donne raison. Deux années de suite des collégiens de 5 pays européens ont préparé ensemble une comédie musicale devenue un véritable film de qualité professionnelle. Ce projet pédagogique est devenu une grande aventure humaine liant définitivement enseignants et élèves grâce à la création artistique, transformant le climat de l’établissement. Ce projet sera présenté au 11ème Forum des enseignants innovants le 23 novembre.

Un projet hors norme

C’est une histoire européenne. Mais c’est aussi une histoire de création, d’éducation, d’endurance, de solidarité. Une histoire entre enseignants et non enseignants, entre profs et élèves, entre parents et éducateurs, entre français et européens. Une aventure humaine menée avec obstination, envers et contre tout, durant deux années par Lily Abboudi, professeure d’anglais au collège A Giacometti de Paris et ses collègues d’autres disciplines. Des moments de partage, dans l’exigence, qu’impose la création artistique, qui ont probablement marqué à jamais les participants.

Plantons le décor. Nous sommes en septembre 2016 et Lily Abboudi se lance dans un projet Erasmus avec 4 établissements européens correspondant aux langues étudiées dans le collège Giacometti : l’ICS Pino Puglisi de Palerme, The Duchess’s Community High School d’Alnwick (R-U), Le Lise Meitner Gymnasium de Böblingen (Allemagne) et l’IES Trayamar d’Algarrobo (Espagne).

De la rencontre à Paris des professeurs des 5 établissements nait l’idée d’une comédie musicale filmée. Il faut imaginer ce que ça veut dire pour les enseignants : écrire des chansons, créer les musiques, imaginer et répéter les chorégraphies, préparer un spectacle alors que des milliers de kilomètres séparent les élèves, réaliser, mixer, monter le film. Ce n’est plus un projet mais un Himalaya à gravir. Si l’Europe verse son écot , le budget est tout à fait insuffisant pour tout cela.

Une chaine européenne de solidarité

Et c’est finalement la première chance de ce projet. Car pour monter le projet ils vont partir à la chasse aux soutiens. Et ils vont bénéficier d’une incroyable chaine de solidarité qui ne doit rien au hasard. Qui va créer les chansons textes et musique ? Les enseignants, par exemple Xavier Hannecart, un autre professeur d’anglais du collège. Mais aussi un parent d’élève, Pascal Vaillant qui va aussi s’investir dans le scénario. La musique et la chorégraphie doivent beaucoup à Svetlana Moreva, une assistante d’éducation de l’établissement et à un ami russe. Piégé par cet élan créatif, Luc Porta accepte bénévolement la réalisation du film.

La seconde chance de ce projet c’est l’enthousiasme des élèves et des enseignants. X Hannecart et L Abboudi, bien sur, mais aussi Léonore Haas et Romain Sueur, professeurs de lettres, Marie Le Braz, professeure d’histoire-géographie.

Coté élèves 68 jeunes, venus de toutes les classes du collège, y compris de la segpa, ont donné de leur temps régulièrement, en plus des cours et pendant deux années pour monter le spectacle. Ils ont donné un remarquable exemple d’endurance et aussi ils ont su construire des passerelles entre les âges (de la 6ème à la 3ème) et les sections. Voilà pour la France. Mais le même élan se retrouve dans les établissements étrangers où des enseignants, les élèves se sont aussi beaucoup donnés.

Autour d’eux un grand élan de solidarité est apparu. Comme le budget est insuffisant, les parents français et des autres pays européens hébergent les jeunes. On a parfois dans la même maison anglaise des élèves de 4 pays qui dorment sous le même toit. Les parisiens, que l’on dit si peu accueillants, ouvrent leur porte. Des relations se créent entre les adultes des différents pays.

Cela permet de financer le tournage qui se fait dans chaque pays. A chaque fois ce sont de 50 à 80 jeunes qui voyagent, se rencontrent , travaillent ensemble, apprennent les chansons des uns des autres.

Ce qu’apporte la musique

On arrive à mai 2017 : premier spectacle à Paris lors de la fête de l’Europe. Un an plus tard, le 19 mai 2018 c’est la première projection du film « Le monde est nouveau », une comédie musicale en long métrage , qui sera projeté à nouveau le 3 juin au Gaumont Alésia de Paris. Les jeunes se sont débrouillés pour venir de toute l’Europe voir leur film à Paris.

« De mon expérience de professeur, je savais que la chanson est un moyen de briser la peur de s’exprimer des élèves. Mais dans ce projet c’est allé beaucoup plus loin. Les élèves des différents pays ont vécu des moments forts ensemble. Ils ont communiqué vraiment pour ce projet commun. Rien ne les a freinés, pas même les différences de langues », nous a dit Lily Abboudi. « Le barrage de la langue tout comme l’angoisse de parler ont été vaincus ».

Mais L Abboudi met aussi en avant la dimension humaniste du projet. « La langue sert à partager. Les élèves se sont faits des copains très différents d’eux et pourtant si proches maintenant. Ils continuent à se voir et à échanger ».

Elle souligne aussi la relation de confiance qui s’est crée entre les jeunes et les adultes. « Les élèves sont à l’aise avec moi », dit L Abboudi. « Ils ne sont plus bloqués, ils osent participer dans les cours. Pour moi c’est devenu impossible d’enseigner sans m’appuyer sur un projet ».

Un rayonnement sur l’établissement

Marie Guichet, principale du collège, souligne l’effet de ce projet sur le climat de l’établissement. « Il a rayonné sur l’établissement car il a entrainé plusieurs disciplines et plusieurs classes y compris la segpa. Des élèves se sont révélés à travers le théâtre et le chant. Cela a conforté les parents dans l’idée qu’ils inscrivaient leurs enfants dans un établissement où il se passe des choses, où on réalise un véritable épanouissement scolaire ».

Les effets de la musique sur le climat scolaire ont été récemment rappelés par JM Blanquer. Ils sont attestés. « La musique a un pouvoir transformationnel sur l’esprit humain. Sa pratique peut entrainer de profondes modifications psychologiques et neurophysiologiques. Les implications sociales de ces découvertes sont importantes tant pour le monde de la santé que pour celui de l’éducation, écrivait E Bigand, professeur de psychologie cognitive dans un numéro remarqué de la Revue de Sèvres.

Le 19 mai, tout le monde était sur un nuage pour la projection du film. Le plus dur va venir : comment prolonger cette extraordinaire aventure ?

François Jarraud

Le spectacle musical (avec les chansons)

Revue de Sèvres : Musique et éducation

Martial Gavaland au 6ème Forum des Enseignants Innovants