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La nouvelle gestion publique (ou New Public Management) va t-elle profondément modifier le métier enseignant ? Avec l’arrivée de JM Blanquer, l’entrée du système éducatif dans la nouvelle gestion publique (ou New Public Management) s’accélère. On assiste à un développement des autonomies locales en lien avec une responsabilisation accrue des acteurs locaux. Avec la multiplication des évaluations, la question du statut des directeurs d’école, en débat en ce moment, est représentative de ce glissement d’une gestion collective de l’école vers un management imposant des normes et des contraintes. Education & sociétés consacre son dernier numéro (n°43) à l’analyse des effets de cette transformation sur le métier enseignant. Plusieurs articles en relativisent l’impact. Ainsi en Belgique francophone c’est un mode hybride qui se développe avec le Pacte d’excellence. En France,H Buisson Fenet et X Pons montre qu’on assiste là aussi à des combinaisons locales qui limitent l’application théorique. Finalement en pronant l’autonomie et la responsabilisation, la NGP se heurte au mode du réel , beaucoup plus complexe et nuancé.

Composition

Pour Farinaz Fassa-Recrosio et Pierre Bataille, qui coordonnent ce numéro d’Education et Sociétés, « en cours depuis plus de quatre décennies en Grande- Bretagne et aux États-Unis, la réorganisation actuelle des systèmes administratifs les dote d’instruments et de méthodes de management qui étaient l’apanage des entreprises du secteur privé. Si la culture des résultats, la mesure de la performance, la contractualisation et la redevabilité (ou reddition de compte) en sont les traits les plus marquants, elles doivent composer avec les anciennes manières de penser la gestion publique ».

C’est ce que montrent H Buisson Fenet et X Pons dans leur analyse fine de 6 lycées. Notons tout de suite qu’on aurait peut-être une autre analyse à partir de 6 écoles plutôt que lycées. Mais dans les 6 lycées analysés, force est de constater que les outils et normes imposés par la NGP aboutissent à des réalités fort différentes d’un établissement à l’autre. « Selon plusieurs travaux sociologiques, l’appel au pilotage par les résultats assurerait un renouveau de la régulation de contrôle sur la régulation autonome des groupes professionnels. L’investigation empirique invite à complexifier ce script », notent les auteurs. « Pour la plupart des chefs d’établissement interrogés cependant, l’appel à l’autonomie se décline en pratique par une responsabilité fortement encadrée, qui aboutit à un management empêché ».

« Pour le Lycée 4, les indicateurs font l’objet d’une présentation en conseil pédagogique et aux conseils d’administration. Loin d’apparaître comme des instruments de contrôle, ils fournissent un point de repère pour le pilotage –quantitatif (statistiques disponibles) ou qualitatif (projets pédagogiques dont les enseignants dits coordonnateurs font remonter les résultats). Pour le Lycée 5, l’usage des indicateurs de pilotage du secondaire se double d’autres mesures (du climat d’établissement par exemple) produites par la proviseure-adjointe sur la base de grilles renseignées par les enseignants et les élèves. À ces usages plus ou moins proactifs s’oppose, dans le Lycée 2, un usage minimaliste des statistiques : l’équipe de direction, convaincue de ne pas pouvoir bénéficier de marges d’action suffisantes, oppose un “prétendu savoir-expert” de l’évaluation, censé les outiller dans leur pilotage, à un savoir d’expérience plus modeste consistant à construire du compromis au quotidien et à “naviguer à vue plutôt qu’au GPS” ».

L’autonomie face aux représentations profesionnelles

En fait les injonctions à l’autonomie de gestion des chefs d’établissement se heurte aux usages et aux représentations professionnelles bien ancrées. « L’enquête donne à voir cependant qu’à travers les usages médians des nouveaux instruments d’action publique, il s’agit plus d’une mise en conformité par rapport aux pressions institutionnelles que de l’expression d’une volonté d’animation pédagogique de l’équipe éducative… Même si les chefs d’établissement se montrent préoccupés de résultats mesurables, ce “professionnalisme de responsabilisation” continue à entrer régulièrement en tension avec un “professionnalisme autorégulé et de nature critique chez les enseignants”. Par exemple, si les enseignants rencontrés expriment une vision plutôt positive du projet d’établissement (à la différence des indicateurs), les projets sont rarement soumis à une production collective ou à une consultation large ».

En général les enseignants adoptent comme projet d’établissement un texte qui n’est pas vraiment discuté et qui sera sans lien avec la gestion budgétaire. « Quant aux indicateurs de performance, ils ne sont pas ignorés et parfois même appréhendés dans le détail de leur méthode de calcul… Cependant, la plupart des enseignants interrogés n’établissent pas de lien concret entre leurs pratiques professionnelles et la connaissance de ces indicateurs de performance de base ».

H Buisson Fenet et X Pons parlent de « recompositions » (au pluriel) à l’oeuvre dans les établissements. « Se vivant toujours comme responsables, les professionnels en établissement, selon les situations, ne s’estiment pas toujours redevables pour autant ».

En Belgique un modèle hybride

C’est aussi vers la complexité que nous entrainent B Cattonar et V Dupriez dans leur analyse des évolutions en cours en Belgique francophone. Ils distinguent une double logique à l’oeuvre : un modèle qui vise à changer l’école à partir de ses professionnels et la responsabilisation des enseignants dans le cadre de la NGP.

Pour améliorer le fonctionnement du système éducatif la première voie utilisée a été d’appeler à une professionnalisation accrue des enseignants : renforcement de leur formation, promotion du travail en équipe, accent mis sur l’expertise pédagogique des enseignants.

En même temps des propositions sont faites pour personnaliser les carrières enseignantes en favorisant de nouvelles fonctions. Et là on passe dans la logique de la NGP. Les politiques imposent des référentiels , des évaluations et des outils pédagogiques standards. Une contractualisation des établissements est mise en place. ON se rend compte que l’évolution ressemble à celle de la France si ce n’est qu’un dispositif est prévu en cas de non atteinte des objectifs.

Cette nouvelle politique se traduit par la création de nouveaux emplois (coordonnateur, enseignant expérimenté, délégué aux contrat d’objectif) et une reconfiguration des emplois enseignants imposées par l’administration. Le corps enseignant éclate entre les enseignants de terrain et une élite administrative qui se multiplie.

Revenons à Farinaz Fassa-Recrosio et Pierre Bataille. Pour eux,  » La peinture livrée ici laisse percevoir que si la NGP marque les formes de carrière dans les diverses professions éducatives, leur mode de gestion ou les normes des différentes professionnalités, elle le fait de manière à chaque fois spécifique, ces distinctions se construisant au travers d’un jeu complexe qui inclut aussi les rapports de force entre des acteurs et des actrices ayant des caractéristiques sociodémographiques et des trajectoires différentes, des positionnements sociaux et politiques variés, vivant et travaillant dans des espaces sociaux et territoriaux particuliers, eux aussi parfois en conflit. »

F Jarraud

Education et sociétés, n°43 : Les professions éducatives à l’heure des réformes

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