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Pisa : La France dans la moyenne et la stabilité

Ce pays est formidable : on peut y mener des politiques éducatives radicalement opposées et avoir des résultats stables. Mais peut-être ceci explique t’il cela ? Toujours est-il que les résultats de Pisa 2018 sont clairs : la France se situe dans la moyenne des pays de l’Ocde pour la lecture, les maths et les sciences. Ses résultats sont stables par rapport à Pisa 2015. L’éclatement du système éducatif entre une minorité très forte et une minorité très faible est toujours là. Mais le fossé ne s’élargit plus. Est-ce un succès ou notre incapacité à réduire le fossé est-il un échec ?

« Il n’y a pas de catastrophe », dit-on à l’Ocde. En effet, les résultats de Pisa 2018 montrent une grande stabilité par rapport à Pisa 2015. Les résultats de la France se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE, et même un peu au dessus de la moyenne. En compréhension de l’écrit, l’épreuve phare de ce Pisa 2018, la France a 493 points, soit mieux que la moyenne de l’Ocde(487 points). Elle est au même niveau que l’Allemagne, le Portugal ou la République tchèque. En maths, la France obtient 495 points, légèrement au dessus du niveau de l’OCDE (489 points). On est au même niveau que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Australie. En sciences, dernier domaine évalué, on obtient 493 points contre 489 pour la moyenne Ocde. Dans ces 3 domaines le score de 2018 est stable depuis 2003 en lecture et maths, 2000 pour les sciences. Tout au plus relève t-on une légère baisse de niveau des meilleurs élèves en sciences. Globalement la baisse des résultats qui était apparue sur la première décennie est enrayée, y compris en maths. C’est la bonne nouvelle de ce Pisa 2018

Le pays des inégalités sociales de réussite scolaire

La mauvaise nouvelle c’est que pour autant les inégalités sont toujours là. D’abord inégalités scolaires. Comme en 2015 on compte environ 20% d’élèves en grande difficulté contre 10% de jeunes très performants. C’est un peu moins de jeunes ne difficulté que la moyenne de l’OCDE mais des pays comme le Royaume Uni ou l’Irlande en ont nettement moins. Le quart des élèves français les plus faibles sont au niveau de la Turquie quand le quart le plus fort se hisse à celui de la Finlande ou du Canada.

Surtout ce qui caractérise la France c’est le lien entre inégalité scolaire et sociale.  » La France est l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique et la performance dans PISA est le plus fort avec une différence de 107 points entre les élèves issus d’un milieu favorisé et ceux issus d’un milieu défavorisé. Cette différence est nettement supérieure à celle observée en moyenne dans les pays de l’OCDE (89 points) », écrit l’OCDE. 107 points c’est presque trois années de scolarité d’écart. Seuls Israël ou le Luxembourg font pire. Et là il n’y a pas de progrès : en 2009, dernière année où l’évaluation majeure portait sur la lecture, l’écart était de 110 points (et de 87 pour l’OCDE). Ce qui est valable en lecture se produit aussi en maths ou en sciences.

 » Environ 20 % des élèves favorisés, mais seulement 2 % des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en compréhension de l’écrit en France (au niveau 5 ou 6) pour des proportions respectives de 17 % et 3 % en moyenne dans les pays de l’OCDE », écrit l’Organisation.

Pisa montre aussi une plus forte concentration des élèves défavorisés dans les mêmes établissements. Cela tient à l’existence de quartiers de relégation sociale. Mais aussi à l’organisation du système éducatif. Les élèves les plus faibles, souvent défavorisés, sont scolarisés davantage en lycée professionnel qu’en lycée général et technologique. Entre LP et LGT il y a un écart moyen de 100 points.

Le poids des inégalités sociales se lit aussi dans l’orientation des élèves.  » De nombreux élèves de 15 ans, en particulier ceux issus de milieu défavorisé, ont des ambitions moins élevées que ce à quoi on pourrait s’attendre compte tenu de leurs résultats scolaires. En France, un élève défavorisé sur cinq ayant de bons résultats ne prévoit pas terminer ses études supérieures – alors que cette proportion est très faible parmi les élèves favorisés », dit l’OCDE.

Inégalité ethnique

Pisa montre aussi le poids des inégalités ethniques. La France est l’un des pays où l’on trouve une forte proportion d’élèves immigrés issus d’un milieu socio-économique défavorisé. Près d’un élève immigré sur deux en France est issu d’un milieu défavorisé (contre trois sur huit en moyenne dans les pays de l’OCDE). L’écart moyen en compréhension de l’écrit dans PISA 2018 entre les élèves issus de l’immigration et élèves non-immigrés en France est de 52 points en faveur des élèves autochtones (différence moyenne OCDE : 41 points). La différence est plus marquée chez les élèves immigrés de première génération qui ont obtenu 77 points de moins que les élèves autochtones (différence moyenne OCDE : 54 points). Les élèves immigrés de deuxième génération ont obtenu 49 points de moins que les élèves non-immigrés (différence moyenne de l’OCDE : 29 points) (France : autochtones 502 points, 2de génération 461, 1ère génération 425. Ocde : 494, 465 et 440).

Inégalité de genre

Si les filles obtiennent de meilleurs résultats en compréhension de l’écrit que les garçons (25 points) , cet écart est un peu plus faible en France que dans la moyenne Ocde (30 points). L’écart en maths entre filles et garçons, cette fois au bénéfice des garçons, s’est réduit depuis 2009 passant de 10 à 6 points. Il est de 5 points dans l’OCDE. Cette inégalité se renforce pour l’orientation : à niveau égal les filles ont deux fois moins l’intention de poursuivre des études d’ingénieurs ou dans les TIC.

Quel bilan ?

« Le maintien des inégalités sociales n’est pas une fatalité », affirme l’OCDE. L’OCDE cite en exemple le Portugal où le Royaume Uni où la croissance de la pauvreté ne s’est pas accompagnée d’un fort écart de niveau scolaire. Pour ce dernier pays, souvent cité en exemple par l’OCDE, il faut quand même préciser qu’un pourcentage important des jeunes n’est pas évalué dans Pisa et que la grande majorité des jeunes de 15 ans sont scolarisés dans une classe supérieure à celle des jeunes Français.

Il y a des pays qui arrivent à avoir de très bonnes performances scolaires et un haut niveau d’équité sociale : le Canada, la Finlande, la Corée du Sud par exemple.

En France on notera que l’Ecole a réussi à maintenir le niveau scolaire malgré une hausse importante de la pauvreté dans le pays. En 2004 on comptait 12.7% de la population sous l taux de pauvreté d’après le Bilan social de l’Insee. En 2017 c’est 14.1%. Près de 3 millions de jeunes sont pauvres. Malgré cette dégradation de la situation sociale, malgré une ségrégation sociale beaucoup plus marquée que dans d’autres pays, l’Ecole a réussi à stopper la chute des résultats et maintenir le niveau. Il faut saluer la performance. La Cour des comptes l’a fait pour l’éducation prioritaire.

Les recommandations de l’OCDE

L’OCDE croit dans la mixité sociale. « Il faut éviter de créer des établissements scolaires très défavorisés » dit l’Organisation. « La plupart des pays qui allient équité et performance scolaire sont des pays où les écarts entre établissements sont faibles ». On sait que cela dépend de la ségrégation urbaine mais aussi de l’organisation du système éducatif (par exemple des lycées professionnels à part). L’OCDE souligne les effets indirects qui sont créés comme la difficulté à recruter des enseignants expérimentés. Elle est plutôt contre la labellisation éducation prioritaire, qui pourrait être remise en question prochainement en France. Pour l’OCDE la réforme très libérale menée en Suède a creusé les écarts entre établissements et finalement fait baisser le niveau général.

L’OCDE demande aussi un « grand chantier du métier enseignant » qui devrait rendre le métier attractif. Il faut parler salaire mais aussi formation initiale et continue et temps de travail. Comprenez que pour l’OCDE il fait probablement l’augmenter. L’OCDE croit aussi que renforcer l’autonomie des établissements va dans le bon sens. Même si cela veut dire augmenter l’autorité des chefs d’établissement. Cette demande l’OCDE l’avait déjà faite au moment de la publication de Talis 2018.

Enfin l’Organisation invite à renforcer le primaire : « les inégalités commencent dès le premier âge », dit-elle. Elle souhaite que la France établisse davantage de continuité entre la garde des petits enfants et l’école comme cela existe dans d’autres pays (où les personnels de maternelle ne sont pas des enseignants).

A qui doit-on ces résultats ?

Et là on passe tout naturellement vers les responsables de cette relative bonne nouvelle des résultats de Pisa. Renforcer le primaire c’est ce que font les gouvernements depuis 2012, même si ce n’est pas de la même façon. L’impact des dédoublements et des mesures Blanquer ne se verra dans Pisa que dans 10 ans. Les élèves évalués dans Pisa 2018 sont entrés en primaire avec les programmes de 2008 et ont très peu connu les nouveaux programmes du collège. Pour autant leurs résultats sont comparables à ceux des enfants des programmes de 2002 et des anciens programmes du collège.

Dans certains pays, Pisa a poussé des gouvernements à des réformes d’ampleur avec des résultats visibles dès 6 ans et nettement au bout de 10 ans. On connait l’exemple de l’Allemagne où le Pisa Choc a eu de l’effet même sur un système éducatif totalement décentralisé. En France on sait qu’il y a une forte pesanteur et que les changements pédagogiques prennent du temps. Ils ne prennent d’autant plus que les enseignants voient les réformes défiler et se contredire. Une réelle amélioration du système éducatif nécessiterait de la continuité. Mais est-ce compatible avec des politiques qui gouvernent au jour le jour à l’affut du coup médiatique ? JM Blanquer commentera le 3 décembre à l’OCDE les résultats de Pisa.

François Jarraud

Dans Talis 2018