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 » La formation des enseignants n’intègre pas les résultats de recherche sur les obstacles que rencontrent les élèves de milieux socioéconomiques défavorisés », explique Elisabeth Bautier, professeure à Paris 8 équipe Escol. Si nos résultats ne progressent pas dans Pisa, cela tient aux exercices de Pisa si particuliers par rapport aux exercices scolaires français. Mais la difficulté principale tient au fait que le système éducatif français continue de s’adresser aux enfants des familles favorisées.

Une formation sourde au cas des défavorisés

Rien de très nouveau, en particulier, pas de réduction des écarts de performances entre les élèves des différents milieux sociaux, les problèmes de compréhension des items les plus complexes continuent de peser sur les résultats d’une partie des élèves. Ces résultats continuent de mettre en évidence que les élèves des milieux socio-économiques favorisés (terminologie du PISA) bénéficient des situations d’apprentissage et d’activités scolaires plus que les autres, et certains mêmes beaucoup plus, quand des élèves d’autres milieux au contraire voient leurs difficultés s’accroître. Depuis 2000, peu de différences réelles dans les résultats, ce qui montre que malgré les résultats des recherches sur la façon dont les élèves interprètent et ce faisant réussissent ou non, les épreuves, comme sur les pistes d’enseignement ainsi ouvertes, peu de changement dans l’enseignement de la compréhension, et la rédaction des écrits dont ces résultats dépendent, n’a été réellement mis en œuvre.

La formation des enseignants n’intègre pas les résultats de recherche sur les obstacles que rencontrent les élèves de milieux socioéconomiques défavorisés, trop d’implicite dans les documents de travail, trop de sollicitations de dispositions non enseignées, trop d’évidence de la part des enseignants quant à ce que les élèves peuvent apprendre dans les seules mises en situation de travail. Là où au contraire, il faudrait de l’enseignant et de l’apprentissage de ce qui s’appelle comprendre un texte et qui n’est pas réductible à la compréhension linéaire des phrases.

Apprendre à comprendre

Il s’agit aujourd’hui dans ce qui est évalué par les items complexes du Pisa comme dans ce qui est demandé dans bien des situations ordinaire de construire des significations (c’est cela comprendre) en mobilisant les éléments du texte, mais aussi des textes et documents divers, comme en histoire, en géographie, en sciences, mais qui de plus sont, dans les épreuves PISA c’est le cas, à mettre en relation avec des connaissances du monde Cette circulation entre les domaines à mobiliser n’est pas ou très rarement enseignée. Pourtant, cet enseignement serait d’autant plus nécessaire que nombre d’élèves de milieux socioéconomiques défavorisés réagissent soit seulement avec leur opinion et leurs expériences affectives, soit construisent la signification des textes avec quelques éléments lexicaux privilégiés sans tenir compte de la globalité du texte, de sa construction, des éléments syntaxiques et morphologiques.

Très souvent, trop souvent encore l’accent est mis sur la compréhension linéaire, la centration sur la recherche d’informations (qui, quoi, quand, où) -les élèves français sont maintenant bons dans ce domaine- et non sur la compréhension des buts du texte, de son argumentation, des phénomènes et processus que le texte travaille (comment, pourquoi). De plus, la compréhension des textes documentaires aux cycles 2 et 3 reste très peu travaillée, la compréhension étant davantage construite à partir de la lecture de textes narratifs. Même si le travail sur les implicites et les inférences, qui sont très présents dans la plupart des textes, fait maintenant plus souvent l’objet de l’attention enseignante, il est encore trop souvent pensé en termes d’exercices d’application ponctuels plus que comme permettant la construction de la signification générale d’un texte.

Des difficultés propres à Pisa

De plus, les documents auxquels les élèves sont confrontés dans les items PISA de compréhension sont le plus souvent des documents que les élèves n’ont pas appris à lire et comprendre dans leur finalité et qui est non réductible au sens de chaque partie ou élément du document. Il s’agit de documents que nous avons appelés « composite » car composés d’une pluralité de systèmes sémiotiques (photos, images, schémas, diagrammes, dessins, textes non linéaires), d’énonciations différentes, de genres textuels différents dont les élèves ne sont pas familiers et dans lesquels il est nécessaire de circuler dans une lecture de mises en relation diverses qui n’a rien de linéaire. Cette activité très particulière et qui est souvent nécessaire dans la compréhension des ressources numériques, n’est que rarement considérée comme un véritable obstacle, elle est proposée comme activité aux élèves en supposant au contraire que tous identifient pourquoi ces différents éléments hétérogènes sont présentés plus ou moins spontanément, quels problème ou phénomène ils permettent de poser ou de comprendre. Ce n’est évidemment pas le cas.

Un déficit en écrit

Mais il est également nécessaire de ne pas oublier que la compréhension est aussi en partie évaluée via l’écrit produit par les élèves (en dehors des QCM), en particulier des écrits de commentaires des documents, d’expression d’avis et de rédaction de textes prenant en considération les documents fournis tout en construisant un nouveau point de vue (et non une opinion) en croisant sa propre expression avec les données des documents. Or, la pratique de l’écrit est actuellement très insuffisamment travaillée, voire évitée en classe ou réduite à des tâches dans lesquelles il s’agit de compléter des phrases avec des mots des textes, ou au mieux identifier les phrases pertinentes des textes et ce, justement avec les élèves qui rencontrent de grandes difficultés à l’écrit. Pourtant, ces élèves n’ont justement le plus souvent que l’école pour développer cette pratique fondamentale dans les apprentissages des savoirs scolaires et n’ont que le cadre scolaire pour développer les habitudes de pensée et de raisonnement, d’argumentation qui sous-tendent les activités auxquelles ils sont confrontés. Cette absence ou très faible pratique systématique et accompagnée de l’écrit pour réfléchir, argumenter, rédiger avec l’oral pluriel de la classe, et l’écrit des documents est extrêmement pénalisante pour une grande partie des élèves. Les échanges oraux dans la classe, aujourd’hui très valorisés, ne permettent pas de construire les dispositions particulièrement et travaillées dans l’écrit, qui sont sollicitées dans les épreuves de validation qui supposent tout à la fois de tenir compte précisément des éléments proposés tout en écrivant avec sa propre voix. Activité très complexe source de grandes difficultés.

Etayer

On peut ajouter ici qu’il y a sans doute en formation trop de préconisations concernant la nécessité de permettre aux élèves de « construire eux-mêmes » des savoirs, des apprentissages avec l’idée que les mises en situation, les activités proposées suffisent. Ce n’est pas le cas, les résultats le montrent. Ces mises en situation de travail dans la classe, si elles permettent la mise au travail des élèves n’aboutissent pas aux apprentissages prévus. Pour qu’ils y parviennent, il serait nécessaire que les élèves soient accompagnés par un étayage serré de la part de l’enseignant, que les situations soient plus contraignantes pour permettre de construire les apprentissages et les médiations intermédiaires et d’identifier les enjeux cognitifs des activités.

C’est dans ce domaine que se construit une grande partie de l ’écart social des résultats des élèves. Sans doute, le type d’élève qui sous tend implicitement les préconisations pédagogiques, et même souvent didactiques, reste-t-il le plus souvent celui des élèves des milieux favorisés. Ces élèves sont familiers des habitudes langagières et cognitives qui sont sollicitées par les situations scolaires (et celles du PISA), elles ont été pour eux construites en dehors de l’école et en accompagnement de ce que l’école justement sollicite (habitudes de lectures complexes, de compréhension, de fréquentation d’usages variés du langage et de l’écrit, des écrits, d’un questionnement fréquent de documents divers, mais aussi de questionnements de ce qui les entoure).

Les épreuves du PISA aggravent sans doute les difficultés des élèves car, même si évaluer les compétences en littératie à mobiliser dans la vie quotidienne est sans doute aujourd’hui pertinent, la recherche, la compréhension, l’usage d’informations dans des documents très complexes non scolaires pour la plupart et même présentés souvent sous forme numériques pour répondre à un problème (plus qu’une question) ne font pas l’objet d’un enseignement spécifique, sauf dans de très rares cas. S’il ne s’agit certainement pas d’entraîner les élèves à répondre aux items du PISA, il s’agit en revanche de leur permettre d’acquérir les dispositions langagières, linguistiques et cognitives de cette construction difficile que représente l’identification des éléments épars dans des documents, éléments susceptibles par leur mise en relation de permettre de répondre à des problèmes posés en classe et d’écrire le texte correspondant, c’est le cas de nombreux situations auxquelles sont confrontés les élèves, comme celles dites des « problèmes complexes » en mathématiques, par exemple.

Sans un accent porté sur ces « nouveaux » usages littératiés, nécessaires pour pouvoir comprendre et s’intégrer dans le monde contemporain, mais de plus en plus complexes et éloignés au demeurant des pratiques ordinaires d’une grande partie de la population, les écarts vont continuer de se creuser entre les différentes populations d’élèves.

Élisabeth Bautier,

équipe Circeft Escol, université Paris 8

Apprendre par le langage