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Mais qu’est ce qui fait courir les profs ? Qu’est ce qui fait leur engagement ? Est-ce qu’on fait ce métier comme n’importe quel autre ? Après 20 ans de carrière, les profs ont-ils toujours l’envie et la patience de se mettre à hauteur d’enfant et de s’émerveiller avec elles et eux ? Autant de questions que se pose Lorine Carton Amor. Des questions qui semblent être des objets de recherche pour chercheurs en sciences de l’éducation ou encore en sociologie. Pourtant Lorine n’est pas chercheuse. Lorine, c’est une jeune documentariste, qui a été professeure des écoles pendant plus de trois ans et qui a décidé de faire le tour de la France, micro en main, pour donner la parole aux principaux intéressés, les profs et à leurs élèves. Ce sont eux les mieux placés pour répondre à ces questions.

Lorine habite entre Paris et Marseille. Documentariste et ex-enseignante, elle aime à dire que son parcours est traversé par la question du cinéma, de la pédagogie et de la transmission. « Après des études en histoire et en cinéma documentaire et des premières expériences professionnelles dans le monde de la culture, j’ai décidé de devenir institutrice, il y a 3 ans et demi ». Un choix professionnel qu’elle explique par une envie de se reconnecter à un métier plus concret, plus utile. Loin de l’éloigner de son art, le cinéma documentaire, son expérience professionnelle nourrit sa pratique artistique. « Comme le documentaire, être enseignante, participe de la même démarche : créer et investir des espaces où la parole peut émerger, des espaces de vie, vers une société démocratique et plus de résilience » explique-t-elle.

« L’école au pluriel, l’envie d’aller de recueillir des morceaux de vie »

C’est ainsi qu’elle se lance dans l’aventure en 2016. Enseignante contractuelle, elle se retrouve catapultée dans une classe de 28 élèves, sans formation, aucune. Un grand choc. Mais surtout, une « expérience incroyablement riche ». Instinctivement, elle se lance dans une méthode coopérative, sans noter les élèves et pratique les conseils d’enfants, « J’ai eu la chance d’être suivie par une formatrice incroyable, Isabelle, que je ne remercierai jamais assez, qui a compris mon envie d’enseigner de manière non frontale, dans la coopération. Elle m’a conseillée d’aller en observation dans les classes sur le temps que j’avais de libre puisque je travaillais à mi-temps ». Des observations qui lui ont beaucoup apporté et qui ont éveillé la documentariste qui sommeillais en elle.

C’est ainsi que nait le projet L’école au pluriel. « J’avais envie d’aller plus loin dans la rencontre. J’avais, lors de mes études, orienté mes projets autour du cinéma documentaire car je ressentais l’envie d’aller de recueillir des morceaux de vie du côté du réel, d’aller donner des espaces d’écoute et de récits à ceux qu’on entend peu, à qui on ne donne pas la parole ». Son projet prend forme, elle démissionne et se lance sur les routes de France. « J’avais envie de passer environ une semaine dans chaque classe et d’enregistrer avec mon micro la vie de la classe mais aussi de questionner les enseignants sur leur motivation, sur ce qui fait leur quotidien et le cœur de leur métier. Bref, je voulais leur donner la parole. Je voulais aussi sortir de l’image d’Épinal du prof super héros ou détracteur du système. Je voulais aller à la rencontre de personnes qui essayent sans se mettre sur le devant de la scène, de réfléchir ensemble, avec les enfants, à un meilleur monde pour celles et ceux qui seront les citoyens demain ».

Des portraits de profs qui travaillent en classe coopérative

Elle dresse, ainsi, le portrait d’une quinzaine de professeurs et professeures des écoles partout en France. Des profs qu’elle a choisis aussi, et surtout, pour leur pratique pédagogique coopérative. Des profs qui ont envie de faire communauté dans leur classe, des profs qui veulent faire des élèves des acteurs de leur quotidien mais aussi de leur avenir.

Idée intéressante mais pas très simple à mettre en place : comment les trouver ces profs ? « Grace au bouche à oreille en partie » explique-t-elle. « J’ai aussi surfé sur le net, dans des forums d’enseignants. J’ai contacté des groupes de travail comme les groupes départementaux Freinet, les groupes de pédagogie institutionnelle ou de l’association public Montessori. Mon idée n’était pas d’aller voir telle ou telle école privée, ou un projet particulier de pédagogie, mais bien d’aller observer des gens qui avaient envie que l’on se rencontre, qui avaient envie de partager leur pratique et leur parcours ».

Elle insiste sur un point, ses documentaires ne sont pas une promotion de tel ou tel mouvement. « Je n’ai jamais appartenu à aucun mouvement pédagogique, et je crois que c’est intéressant de ne pas forcément se figer dans telle ou telle pédagogie, en reniant tout ce qui est fait ailleurs par principe. Je suis proche de ce qui s’expérimente en pédagogie Freinet ou de la pédagogie institutionnelle mais je n’aime pas dire que si j’avais une classe et que j’utilisais ces outils, elle serait figée là-dedans. Je trouve que c’est un métier assez extraordinaire pour ça : il permet d’expérimenter, de tâtonner, d’essayer et de s’ajuster toujours. Et si les outils qu’on utilise de telle ou telle pédagogie ne fonctionnent plus avec nos élèves ou qu’il ne nous correspond plus, je crois qu’il faut pouvoir les remettre en question ou les mettre de côté pour essayer autre chose… »

Désireuse de montrer que la réalité de la classe diffère selon les territoires, son travail est loin d’être exhaustif. Il décrit le quotidien d’enseignants en milieu rural, en éducation prioritaire ou encore dans des écoles privées. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée dans la classe de Matthieu et Audrey à Toulouse. « Ils travaillent dans une école publique REP +. Ils ont mélangé leurs deux classes et travaillent ensemble depuis plus d’un an maintenant en triple niveau. Dans leur classe l’espace est aménagé selon différents pôles avec un espace français un espace maths, un espace vie pratique – cuisine, art, musique – et un espace vie collective pour l’arrivée en classe et le conseil. Ils travaillent avec des plans de travail et puisent leurs outils dans plusieurs pédagogies différentes. Leur posture face aux enfants est intéressante car ils se mettent toujours à leur hauteur et les considère véritablement dans leurs choix et leurs envies ». Elle part même avec eux en classe verte à Aulus les Bains dans les Pyrénées. Lors de ce séjour, elle digresse un peu du projet initial et compose avec les élèves des cartes postales sonores.

Des extraits de ses portraits sont disponibles sur son site http://lecoleaupluriel.org, qu’elle tient un peu comme un journal de bord. Elle y présente Matthieu et Audrey, mais aussi Laure et bien d’autres. En résidence d’artiste à Marseille, elle peaufine le montage d’une série documentaire autour de ces portraits de profs. Elle aimerait que leur diffusion soit l’occasion aussi pour des profs de se rencontrer, d’échanger. Un site à découvrir aussi sur sa page Facebook. Elle répond facilement aux sollicitations, alors n’hésitez pas !

Lilia Ben Hamouda

L’école au pluriel