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« Quand l’État ne fait pas son travail, pourquoi continuons-nous de le faire à sa place ? » Professeur des écoles Sylvain Grandserre invite les enseignants à faire la grève du zèle quand l’institution dérape. Cette tribune témoigne aussi à sa façon du climat qui règne, deux années après la nomination de JM Blanquer, dans les écoles.  » Nous sommes aujourd’hui victimes de toutes ces aberrations technocratiques mais serons demain coupables de ne pas nous battre pour y remédier… Pour faire respecter l’École, sachons d’abord nous faire respecter ! »

Depuis des années, nous, Professeurs des Écoles, sommes la variable d’ajustement du ministère pour masquer et compenser les dysfonctionnements récurrents du système scolaire. Notre hiérarchie, parfois si tatillonne, n’a que faire des conditions réelles dans lesquelles nous tentons chaque jour de mener à bien notre mission. En moyenne, nous avons plus d’élèves que dans les autres pays de l’OCDE, faisons plus d’heures de classe mais pour une rémunération bien moindre. Or, entre nos plaintes individuelles et la nécessité d’une réponse collective, le découragement et la culpabilisation ont creusé un large fossé. Pourtant, les choses pourraient se passer autrement avec un peu de courage et plus de solidarité. La question est simple : quand l’État ne fait pas son travail, pourquoi continuons-nous de le faire à sa place ? Si rien ne change d’ici là, voici quelques propositions à mettre en œuvre dès la rentrée de septembre 2020. Elles ne coûtent rien, sinon l’effort de sortir d’années de fatalisme et de résignation. Que chaque équipe en discute, adapte selon sa situation, invente, propose à son tour et diffuse. Sortons d’une soumission que notre renoncement collectif engendre. Pour faire respecter l’École, sachons d’abord nous faire respecter !

Situation 1 : votre collègue absent(e) n’est pas remplacé(e) ?

Toute votre école s’arrête ! Fin des cours. A la place, jeux, films, lecture, dessin, récréations. Communication à l’IEN et aux familles avec les coordonnées de l’inspection. Accueillir toute une journée des élèves d’une autre classe, souvent d’un autre niveau, désorganise toute l’école et culpabilise la personne absente. Si le ministère n’est pas content, qu’il créée les postes nécessaires. Des milliers de petites écoles ont été fermées en prétendant que ça irait mieux ensuite, or le problème est toujours le même.

Situation 2 : vos animations pédagogiques sont imposées sans autres choix ?

Faites juste acte de présence ! Cartable fermé sur le bureau, bras croisés. Aucune participation, pas de prise de notes. Stop au mépris ! Nous avons été recrutés comme cadres, sur concours, à bac +5. La moindre des choses serait de recenser en amont nos besoins, envies et difficultés et non de nous imposer uniquement des formations inadaptées de français et de mathématiques. Tenir compte des questions des enseignants faisait déjà partie des recommandations de Ferdinand Buisson en 1880 !

Situation 3 : votre école n’a pas de RASED ou de médecine scolaire ?

L’école suspend toutes les procédures ! PPRE, PAP, PAI, GEVASCO. Nos élèves ont d’abord besoin d’aides humaines, plus que de cette paperasserie qui sert surtout de cache-misère et donne l’illusion d’une prise en charge quand la loi de 2005 peine encore à être mise en œuvre. Renvoyez les parents demandeurs vers les équipes de circonscription en fournissant les coordonnées téléphoniques et électroniques de l’inspection.

Situation n°4 : votre nombre d’heures de rendez-vous explose ?

Fixez alors tous vos rendez-vous sur le temps des APC ! De nombreuses tâches débordent déjà sur notre temps personnel : concertations, équipes éducatives, réunions, échanges avec d’autres professionnels, lecture ou rédaction de bilans, appels, courriels, enquêtes, sans parler des actions pour la coopérative scolaire le soir ou le week-end. Stop au bénévolat ! Ce sont des heures de travail qui doivent être comptabilisées comme telles. Pareille demande n’est vraiment rien à l’heure où sont distribuées des primes annuelles de 50.000 € aux directeurs académiques !

Situation n°5 : votre direction d’école ne bénéficie pas des décharges réglementaires prévues ?

Suspendez alors la communication de l’école. Message automatique d’absence sur la messagerie mail, renvoi des appels vers le répondeur. Le ministère doit respecter les règles qu’il fixe et impose lui-même.

D’autres réponses aux manquements constatés sont à inventer et diffuser. Les sujets de discorde sont nombreux : livrets numériques, direction d’école, AESH, programmes scolaires, procédures de sécurité (PPMS et autres), évaluations nationales, rythmes scolaires, management, protocoles de passage… C’est notre trop grande passivité qui a rendu cela possible. On le voit actuellement avec la réforme des retraites dont les promesses fumeuses n’engagent que ceux qui y croient. Alors qu’on nous reproche parfois d’être si nombreux, comment pouvons-nous être si faibles ? Aucune amélioration ne viendra sans notre engagement et notre volonté de changement ! Nous sommes aujourd’hui victimes de toutes ces aberrations technocratiques mais serons demain coupables de ne pas nous battre pour y remédier. La balle est dans notre camp. Courage ! En avant !

Sylvain Grandserre

Maître d’école en Normandie

Une tribune en 2018