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Avec plus de 3000 cas et une centaine de décès, l’Italie vient de décider, le 4 mars, de fermer tous les établissements scolaires et toutes les écoles du pays jusqu’au 15 mars. La France est pour le moment nettement moins touchée que l’Italie avec 285 cas et 4 décès. Mais en France aussi le nombre de cas s’accélère et monte en flèche. Peut-on en arriver à fermer nous aussi les écoles ? Pourquoi le faire ? Comment s’y préparer ?

L’école premier lieu de transmission du virus

A partir de quand la fermeture des écoles et établissements scolaires s’impose t-elle ? Cette question difficile a fait l’objet d’une étude approfondie par le Haut Conseil de la Santé publique en 2012. Après la pandémie de 2009, il est apparu qu’il fallait y voir clair pour se préparer au prochain épisode. Ce rapport rend compte des études existantes à l’époque et des observations sur les politiques menées face aux épidémies grippales.

Ce que montre l’étude c’est que les enfants sont bien des auxiliaires très actifs de la pandémie. « Les enfants jouent un rôle particulièrement important dans la transmission de la grippe ; ils sont plus réceptifs à l’infection que les adultes, sont responsables de plus de cas secondaires dans les foyers que les adultes, ont un portage viral plus important et prolongé, « maîtrisent » beaucoup moins leurs sécrétions respiratoires, et sont en contact étroit avec les autres enfants à l’école, favorisant ainsi les transmission », écrit le HCSP. « L’école constitue une zone d’amplification de la grippe ». Même si les enfants sont peu atteints par le virus dans l’épisode actuel, ils gardent toute leurs capacités à le propager. Rappelons nous que le premier mort français du coronavirus est un enseignant et qu’il n’a pas été infecté par le virus dans les zones à risque à l’étranger. Les enseignants sont donc directement sur le front de la pandémie et on verra qu’il faut en tirer les conséquences.

Fermer les écoles, est-ce efficace ?

Fermer toutes les écoles est-il efficace ? Il y a d’autres réponses, la plus efficace étant la vaccination. Mais on ne peut pas l’attendre avant plusieurs mois. L’utilisation large des antiviraux ne freine l’épidémie qu’à son tout début. « Les stratégies reposant sur des mesures (de fermeture) autour des cas identifiées sont intéressantes en début de pandémie pour retarder la diffusion du virus sur le territoire mais deviennent insuffisantes quand cette circulation est avérée », estime le HCSP. Fermer quelques établissements (une centaine aujourd’hui) convient au début de la pandémie mais n’apporte pas de réponse efficace quand la pandémie est vraiment partie.

Ce qu’on peut attendre d’une fermeture générale « à l’italienne » c’est de gagner du temps et peut-être de diminuer le nombre de malades. Ce que montre l’étude du HCSP c’est que « l’impact de la fermeture des écoles ne concerne pas que les enfants d’âge scolaire : 66 % des cas évités sont hors du groupe d’âge scolaire (qui représente 20 % de la population) ». Fermer les écoles c’est diminuer le risque de propagation dans l’ensemble de la population. Du moins si cette fermeture est bien menée.

Quand faut-il fermer ?

« La décision de fermeture, son mode et sa durée sont à décider en fonction de la gravité de la pandémie, de sa phase (freinage ou atténuation) et des objectifs à atteindre », estime le HCSP. Inutile de fermer si la transmission et la gravité de la maladie sont faibles. Il faut par contre le faire si les deux sont forts. Ou estimer selon le risque si on est entre ces deux situations.

Quand faut-il fermer les écoles ? Là dessus aucun modèle clair ne s’impose. Certaines fermetures n’ont eu aucun effet, comme celle de 1957 en France ou aux Etats-Unis en 2009. D’autres ont eu de grands effets positifs (Etats-Unis face à la grippe espagnole en 1917). Selon une étude américaine, « une fermeture avant que 1 % de la population ne soit atteinte serait optimale ». Difficile d’en dire plus puisqu’aucun modèle ne s’est imposé. Mais selon le HCSP, « il n’existe aucune règle, aucun algorithme permettant de déterminer avec certitude à l’avance les critères de fermeture et de réouverture des établissements scolaires ». La décision devra être prise au bon moment pour être efficace sans avoir la certitude du bon choix. Il faudra donc des gouvernants bien informés, bien conseillés et habiles…

Car la fermeture a un coût très important quand il s’agit d’une fermeture complète. Pas tant du fait du coût des antiviraux que de celui des journées de travail perdues. Le pourcentage de parents obligés de s’arrêter de travailler est important et le cout total peut être élevé (jusqu’à 6% de PIB dans une des études). Ce coût s’ajoute aux autres effets économiques négatifs de la pandémie. Les foyers sont aussi inégaux devant ce problème, les plus défavorisés ayant le plus de difficulté à s’arrêter pour garder les enfants.

A quelles conditions la fermeture est-elle efficace ?

La fermeture pour être efficace doit être préparée. L’étude du HCSP montre par exemple qu’il faut prévoir d’occuper les scolaires. La fermeture des écoles n’est efficace que si on évite que les enfants se regroupent en dehors de l’école. Car il est bien difficile de maintenir les enfants enfermés à la maison s’ils n’ont rien à faire. Les études montrent qu’ils peuvent relancer l’épidémie dans des lieux inattendus (magasins, parcs par exemple). Il faut donc occuper les enfants ce qui est la raison la plus importante pour mettre en place un enseignement à distance.

En 2009, Luc Chatel avait annoncé « la continuité pédagogique ». Le ministère avait prévu la diffusion sur France Culture de 288 heures d’émission éducatives et sur France 5 de 264 heures de cours, soit 5h30 par jour, 4 jours par semaine durant 12 semaines. « Pour les collèges et les lycées, des enseignants référents assureront des permanences dans l’établissement », disait le ministère. « Ils seront en contact avec les élèves et assureront le relais avec les enseignants. Enfin « l’académie en ligne » proposera des cours pour tous les niveaux sur Internet ».

En 2020, le ministre estime que « nous sommes préparés ». Il mise sur son propre « plan de continuité » qui s’appuie sur une plateforme du Cned, « Ma classe à la maison ». En supposant que la plateforme puisse fonctionner avec 12 millions de scolaires, l’existence d’une plateforme ne suffit pas à faire de l’enseignement à distance.

En supposant que tous les parents disposent d’un ordinateur ou d’une tablette et d’un accès Internet, ce qui n’est pas le cas (mais personne ne leur propose de solution à l’éducation nationale !), encore faut-il que les professeurs et les élèves en maitrisent l’usage. Aussi bien le maniement que la maitrise de situations d’enseignement à distance.

Des mesures préparatoires

Aujourd’hui la très grande majorité des enseignants a au mieux entendu parler de l’existence de cette plateforme. La première urgence serait de la faire découvrir aux élèves et aux enseignants avant la fermeture. Et d’avoir un minimum de formation pour eux. A défaut on risque de se retrouver avec les solutions de 2009 : émissions de radio et de télévision scolaire, ressources pédagogiques brutes de l’académie en ligne. Pas sur que l’on retienne à la maison les élèves avec ça !

On devrait aussi dès maintenant évaluer les risques pour les enseignants. Il y a les risques liés aux personnes ayant déjà des pathologies que l’exposition au coronavirus peut fortement aggravées. Il n’est pas normal que les rectorats fassent prendre des risques vitaux à des enseignants. Le Snes Fsu demande des autorisations d’absence pour ces agents.

Mais il y a aussi le risque que les enseignants soient malades pendant la fermeture des classes. Ils semble que le virus se déclare davantage chez les adultes. Sans leurs enseignants la « continuité pédagogique » n’empêchera pas les jeunes de sortir. Or pas grand chose n’est fait pour limiter les risques dans les établissements. Certaines collectivités locales ont livré du savon et des lingettes. Mais il n’y a encore ni masques, ni les nettoyages nécessaires.

Alors que le ministre multiplie les interventions pour dire que tout est prêt, sur le terrain rien ne l’est. S’il fallait aujourd’hui adopter une décision à l’italienne, la fameuse « continuité pédagogique » ne concernerait qu’une petite minorité des élèves. Aujourd’hui, suite à beaucoup d’imprévoyance, aucune catégorie de la population ne semble même avoir les protections de base nécessaires.

Il est possible que le coronavirus de 2020 n’amène pas de crise grave, comme celui de 2009 a eu la gentillesse de faire. Mais la reconduction de ces crises pandémiques fait qu’on n’échappera pas à une épidémie grave. qu’un vrai programme doit être mis en place dans le système scolaire avec les moyens nécessaires.

François Jarraud

Le rapport du HCSP

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