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Le 6 mars dernier, le gouvernement annonce la fermeture de tous les établissements de l’Oise en raison de l’épidémie de coronavirus. Une information que les directeurs de ce département découvrent comme le reste des Français, lors de la conférence de presse relayée par les médias. Comment se sont-ils organisés ? Comment font-ils vivre la continuité pédagogique qui ne devrait pas poser de problème selon le ministre de l’Éducation Nationale ? Le Café pédagogique a rencontré Stéphanie, Mireille, Axel et Jonathan (des pseudonymes NDLR), directeurs ou directrices d’école. Ils nous disent comment ils vivent la situation…

Stéphanie est directrice d’une petite école primaire de trois classes en milieu rural. La fermeture de son école, elle l’a appris par les médias. « J’ai appris par le ministre, à la télévision, que les écoles de l’Oise fermaient pour quinze jours. C’est à 22h30 que mon IEN m’a transmis un mail pour m’alerter ». Tout comme pour les enseignants, les inspecteurs et inspectrices ont dû s’organiser, un peu au pied levé sans aucune préparation. Mails et appels téléphoniques ont donc rythmé le weekend. C’est ensuite auprès des enseignants que les directeurs se sont faits le relais. Ils ont dû répondre à toutes les inquiétudes et interrogations de leurs collègues « alors même qu’on ne savait pas grand-chose » explique Jonathan.

Informer toutes les familles coûte que coûte

Vint ensuite le moment d’informer les familles, ou du moins de les contacter pour expliquer la situation. Pour certains, ce fut plus simple que pour d’autres. Comme pour Jonathan, directeur d’une école élémentaire de douze classes en éducation prioritaire, « Cela fait trois ans que nous utilisons l’application Klassroom. Nous voulions que les parents entrent un peu à l’école et c’était une solution, même si cette entrée est virtuelle. C’est devenu un incontournable dans notre école, tous les collègues l’utilisent ». Pour lui donc pas de problèmes pour informer les familles. Il a posté un message dans chaque classe virtuelle de l’application dès qu’il a eu confirmation officielle de son IEN, le samedi matin. « J’ai dû téléphoner à une vingtaine de parents car j’ai vu qu’ils n’avaient pas lu le message ».

Pour Alex, ce fut plus laborieux. Pas d’application, des mails pas toujours renseignés par les familles et des numéros de téléphone qui ne fonctionnent pas à tous les coups. Ce jeune directeur a passé la journée de dimanche dans l’école afin de pointer toutes les coordonnées des parents. « J’ai fini par avoir les 108 familles. Elles avaient toutes eu l’information par les médias mais s’inquiétaient. Certaines m’ont même demandé si la ville mettrait en place le service minimum comme lors des grèves. Il a donc fallu expliquer et rassurer les parents, qui pour certains ne savaient pas comment ils allaient s’organiser pour aller travailler. Inquiétudes que partagent une grande majorité des familles de l’Oise ». Dans leurs petites écoles, Stéphanie et Mireille ont dû faire appel aux services de la mairie, au réseau de parents et même à « radio ragots » comme se plait à dire Stéphanie. « J’ai demandé les coordonnées de parents à la boulangère ou encore à des nounous que je connais ». Tous dénoncent la charge de travail qui leur est tombée dessus sans qu’ils n’aient jamais été préparés ou formés à cela. « Tout le weekend, j’ai guetté ma boîte mail pour avoir des informations, j’ai tenu mes collègues informés par sms et téléphone. J’ai prévenu toutes les familles. Nous, directeurs, avons dû gérer tout cela en urgence, dans la précipitation alors que nous ne sommes même pas chefs d’établissement. Et puis, on nous demande d’utiliser nos ordinateurs, nos téléphones, nos connexions personnelles… Je ne connais pas beaucoup d’entreprises qui se permettent ce genre de chose », s’agace l’un d’entre eux.

La classe à la maison vs la continuité pédagogique

Lundi matin, tous étaient à l’école sur demande de leur hiérarchie afin de s’assurer qu’aucun élève ne se présente. Ils devaient aussi être joignables par mail et par téléphone sur leurs horaires de travail. Certains ont choisi de rentrer chez eux, d’autres ont décidé de rester à l’école. Ils ont eu des réunions, sous forme de visioconférence, lors desquelles il leur a été expliqué comment créer des comptes sur le portail du CNED, comment créer des listes de diffusion ou quels types d’activités ils devaient proposer à leurs élèves. Là encore, il y a de grandes disparités dans les directives des inspecteurs. Pour Stéphanie, « notre inspectrice a vraiment été bienveillante. Elle nous a beaucoup écoutés et rassurés. Elle nous a rappelé qu’il s’agissait de continuité pédagogique et non de la classe à la maison et que c’était à nous d’imaginer les dispositifs à mettre en place. Nous ne sommes pas obligés d’utiliser le portail du CNED « La classe à la maison » et restons libres pédagogiquement ». Une bienveillance que n’a pas rencontré Alex dont l’IEN a été beaucoup plus directif et injonctif. Selon ce dernier, chaque élève doit pouvoir avoir accès à sa classe virtuelle avant la fin de la semaine, « il ne faut pas qu’il y ait de rupture dans la scolarité des élèves » … Un vœu honorable mais pas évident à mettre en place… Pour la maternelle ? Encore plus compliqué ! Comment faire classe avec des petits bouts de moins de six ans ?

Alors que le ministre de la rue de Grenelle affirme que l’école est prête à offrir à tous les élèves une continuité pédagogique avec des dispositifs de type la classe à la maison, force est de constater que cela sera bien difficile. Alors oui, rassurer, expliquer et informer, c’est ce que font depuis plusieurs jours les directeurs des écoles fermées, mais enseigner et assurer la continuité des apprentissages semblent bien utopiques….

Lilia Ben Hamouda