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Alors que depuis mardi 17 midi, la France vit sous confinement, la profession enseignante se réinvente. Faire classe à ses élèves à distance, avec des moyens techniques qui ne sont pas toujours au rendez-vous du côté des parents mais aussi du côté des profs, n’est vraiment pas évident. Pour certains, pourtant, c’est plus simple que pour d’autres. Ceux qui utilisent les outils numériques depuis longtemps n’ont pas, en plus du reste, à se familiariser avec celui-ci. Pour les autres, trouver une solution numérique en urgence, contacter les parents, leur transmettre un guide d’utilisation, voilà qui a occupé une bonne partie de ces deux derniers jours. Contrairement au second degré, rares sont les ENT proposés par les académies dans le premier degré, alors des solutions sont trouvées, des solutions pas toujours RGPD compatibles…. Mais comme l’a dit le président, nous sommes en guerre alors, à la guerre comme à la guerre…

La solidarité des collectifs de travail au rendez-vous

Sur les réseaux sociaux, l’entraide entre les enseignants se multiplie : partage de ressources en ligne, conseils d’emploi du temps à mettre en place… Beaucoup d’enseignants partagent leurs différentes productions. Comme @charivari1, connue sous le pseudo charivari à l’école, une adepte de twitter, qui a compilé des propositions de défis quotidiens à proposer aux élèves. Écrire un tautogramme, se déguiser et se prendre en photos, dessiner des rebus, écrire un texte sous contraintes… autant d’activités ludiques, que les élèves peuvent effectuer seuls ou en famille et qui permettent de garder le lien avec l’école.

Sur Facebook, ce sont aussi des collectifs d’enseignants qui s’échangent leurs supports numériques mais qui se soutiennent aussi moralement pour éviter l’isolement. Le groupe « Directeurs et directrices d’école : entraide et partage de ressources », par exemple, est le lieu où les directions d’école confient leur difficulté à faire vivre la continuité pédagogique mais aussi s’interrogent sur leurs obligations. Dans un autre, « PE maternelle », les propositions d’activités foisonnent. Comme cette enseignante qui propose à ses élèves un concours … de grimaces ! Une façon ludique et amusante de garder le lien avec les élèves. Dans « Le coin boulot des professeurs des écoles (PE) », les enseignants partagent leur plus grande inquiétude : quelles activités proposer à des élèves qui n’ont ni ordinateur ni même connexion internet et comment leur faire parvenir. Sophie est membre de plusieurs de ces groupes. Elle y recherche des activités pour ses petites sections. « Je suis à l’affut de puzzles interactifs, de comptines sur YouTube, de livres déjà filmés par les collègues… ». En échange, elle partage ses différentes productions. Forme de troc gratuit sans aucune obligation de contrepartie. Bref, les enseignants s’organisent, et les collectifs de travail, qui existaient déjà avant la crise, tournent à plein régime.

Tout pour éviter que cela devienne une « stage renforcé Fortnite »

Pour Bruce Demaugé-Bost, qui n’est pas un novice, les outils numériques ne manquent pas, ce qui l’inquiète c’est la proportion de ses élèves qui y iront accès. Il tient un blog depuis quelques années et avait aussi mis en place un ENT sur le portail Beneylu School. Un ENT qu’il avait dû mettre en standby en attendant l’autorisation officielle de RDGP compatibilité, c’est donc dans l’urgence qu’il l’a réactivé vendredi dernier. « Tous les élèves sont partis avec leurs codes d’accès ».

Enseignant d’une classe de cycle – CE2, CM1, CM2 – à l’école élémentaire Federico García Lorca de Vaulx-en-Velin (69) depuis bientôt 18 ans, pour son public, il le sait, les semaines à venir vont être particulièrement compliquées. Située en REP+, l’école est en bordure d’une cité HLM. Comment assurer le suivi d’élèves confinés à plusieurs dans des appartements souvent exigus, sans avoir forcément d’espace de travail dédié ? Telle est la problématique première de Bruce, et de bon nombre d’autres enseignants. Lorsque les élèves disposent d’une connexion internet, c’est souvent sur les téléphones des parents, voir même sur une console de jeux vidéo. Pas vraiment idéal pour une activité scolaire. Mardi, seulement une dizaine d’enfants sur les 23 que comptent sa classe s’étaient connectés. Alors Bruce multiplie les communications : mails, téléphone, twitter, blog ou encore ENT.

Tous les jours, il publie une fiche d’exercice sur son blog et sur l’ENT dont il envoie le lien par mail aux parents. Et dans ses mails, il relativise, rappelle que si les enfants ont des difficultés ce n’est pas grave. « Pas d’inquiétude si votre enfant ne parvient pas à trouver l’intégralité des réponses attendues : il s’agit simplement de parvenir à en faire le plus possible et à mémoriser certaines réponses » écrit-il. Il relaie l’info sur les différents canaux à sa disposition. Le soir, il publie la correction de l’exercice. Cette semaine, ce sera une fiche par jour d’école. La semaine prochaine, il faudra se renouveler, « il faut trouver une routine mais en même temps que ce ne soit pas trop ennuyeux. Je rajouterai des questionnaires sur l’émission c’est toujours pas sorcier, accessible sur le site de France 2 ». Pour garder le lien, Bruce a un atout dans sa manche : la classe a une lapine depuis une semaine et celle-ci a décidé de mettre bas le weekend dernier. « Je publie des photos, je raconte un peu le quotidien de ces lapereaux ». Un vrai bonheur pour l’enseignant qui se retrouve confiné avec six lapins. « Alors que tout le monde faisait des provisions de pâtes, moi ce sont des provisions de foin que je faisais… ».

Pour ses élèves dont les familles sont les plus éloignés de l’école, Bruce téléphonera régulièrement pour garder le contact… « et pour éviter que ces semaines deviennent un stage renforcé Fortnite ».

Les enseignants prouvent encore une fois la force de leur collectif, leur capacité à se réinventer mais aussi leur conscience professionnelle qui ne fait pas défaut en ces temps plus qu’improbables il y a quelques semaines.

Lilia Ben Hamouda

Sur le site de B Demaugé Bost

Le site de CHarivari