Print Friendly, PDF & Email

Pardon les enfants, pardon… Vraiment dé-so-lés les écoliers ! En pleine épidémie de coronavirus, quand il a fallu soudainement fermer nos écoles mais continuer à travailler, on a pensé à tout, sauf à vous ! C’est bête comme chou. C’est un peu comme si, au moment de partir en vacances, on avait bouclé les valises, vérifié la pression des pneus, fait le plein d’essence, repéré l’itinéraire, préparé les sandwichs, rappelé le propriétaire de la location et là, paf : la boulette ! On vous a oubliés à la maison lors du départ ! En plus, on s’en est rendu compte après des centaines de kilomètres lors du premier arrêt sur l’autoroute. Et pas facile de faire demi-tour maintenant…

Tout avait pourtant bien commencé. Le jour de l’annonce de la fermeture de toutes les écoles, le Ministre de l’Éducation expliquait bien que ça n’avait jamais été envisagé et qu’il était contre. Eh bien, peu après, il affirmait qu’on était déjà prêts. C’est fort ça, non ? Abracadabra ! Ça s’appelle de la magie et vous êtes encore trop petits pour comprendre comment faire un tour de passe-passe juste avec une grosse ficelle.

Même nous, vos maîtres et maîtresses, nous ignorions que les écoles allaient fermer. Comme on a appris ça le jeudi soir en regardant la télé (bah oui, ça nous arrive aussi), nous n’avons eu que la journée du vendredi pour trouver les premières solutions, mais en faisant classe en « même temps » (ne cherche pas à savoir pourquoi je mets des guillemets dans cette lettre). C’est vous dire si nous étions prêts. Heureusement, il existait une solution miracle qui s’appelle « ma classe à la maison ». Bon, normalement, ta classe, c’est à l’école, et ta maison… bah à la maison (même si tu habites en appartement en vrai, désolé). Mais là, tu allais avoir école chez toi. Bon, forcément, ce n’est pas facile. Tu n’as peut-être pas d’ordinateur, pourtant il y a le Père Noël pour ça ! Ceci dit, il va lui falloir un bon attelage quand tu vois qu’à la Réunion par exemple, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Même si tu es équipé, cet ordinateur est peut-être le seul pour toute ta famille. Là il faut que tu persuades tes frères et sœurs qu’ils ont « classe à la télévision ». Mais ensuite, pas évident tout de même de se motiver tout seul, sans les camarades.

Après tu as peut-être reçu tout plein de travail de ton professeur. Comme le Président Macron a dit qu’on était « en guerre », on vous a un peu bombardés c’est vrai. Faut comprendre qu’on a si souvent entendu dire que les enseignants ne travaillent pas assez, qu’on est tout le temps en vacances, qu’on ne sait pas s’adapter, bref, tellement de choses Sibeth (si, si, ça s’écrit bien comme ça), qu’on s’est dit qu’on allait vous montrer de quoi nous étions capables quand on joue les « premiers de cordée » prêts à se dépasser. Mais on a encore mis « l’élève au centre » de l’angle mort de nos pensées. D’ailleurs, même quand on parle enfin des élèves, pour l’annulation des épreuves du bac ou du brevet, c’est toujours des plus grands, jamais des jeunes enfants.

Allez, revenons à vous, à toi justement. Tu me dis que tu as des soucis de connexion, de débit ? Là, tu copieras cent fois : « Je ne dois pas habiter une zone blanche ». Et pense à faire signer ta punition par tes parents ! Tiens, d’ailleurs, ils sont passés où ceux-là ? Ah, ils travaillent ! Mince, on l’avait presque oublié. Dans leur immense majorité, les parents sont au boulot ! On croyait qu’ils étaient tous à la maison, cadres hyper connectés, diplômés super équipés, disponibles et motivés à souhait ! Bon, tout ça, c’est quand même pas de notre faute à nous les profs. Sauf qu’on les a pas mal stressés tes parents avec tout ce qu’on leur a demandé de faire. Surtout quand vous êtes cinq sur l’ordinateur et qu’il faut imprimer, scanner, renvoyer et même parfois être évalué. Euh, ça ce n’était vraiment pas obligé mais il y a des professeurs zélés (ça ne veut pas dire qu’ils ont des ailes, même s’ils planent trop haut pour voir comment tu vis en vrai).

En réalité, on se doutait bien que la continuité pédagogique allait être compliquée. Autrement, il y aurait juste une maîtresse pour tous les CP de France, une autre pour tous les CE1, etc. Remarque, ça aurait fait un bon poisson d’avril ! Mais même à l’université ils ont du mal à travailler comme ça avec les étudiants, alors avec des écoliers ! Par contre, et c’est pour cela que je te demandais de bien vouloir nous excuser, il y a quelque chose qu’on a souvent oublié de vous demander : comment ça va ? Ça paraît idiot comme ça, mais ces trois mots étaient sans doute les plus importants dans ces moments-là. Comment ça va… dans ton cœur, dans ta tête, chez toi ? Comment ça va… dans ta famille ? Comment ça va… tes grands-parents ? Vous passez au travers de l’épidémie ? Comment ça va le travail de tes parents ? Ils y vont toujours, sont exposés, travaillent à la maison, sont au chômage technique ? Comment ça va quand tu entends depuis des semaines parler de la mort et de tous ces malades intubés ? de réanimations saturées ou d’hôpitaux qui vont craquer ? d’épidémie, de pandémie, de catastrophe sanitaire, d’hécatombes en Italie ? De cata aux USA ? de tous ces décès en Espagne et dans les EHPAD ? Non, vraiment on vous a oubliés. C’est dommage car nous aurions dû penser à vous protéger un peu plus au lieu de vous stresser avec tous ces devoirs à faire, tous ces exercices à exécuter.

Et le pire, c’est qu’on est des récidivistes (prends ton dictionnaire quand tu ne comprends pas). On ne vous a pas oubliés parce qu’on serait des méchants, des égoïstes, des pas curieux. On est plutôt gentils, attentifs et altruistes (dico !). On vous a oubliés parce qu’on fait ça à peu près toute l’année. On nous a appris à suivre des programmes, à établir des progressions, des programmations, à faire des fiches de préparation. On a le socle commun, des guides, des recommandations, des instructions, des injonctions. Alors pour beaucoup d’enseignants – pas tous, pas partout, pas tout le temps, heureusement – ça semble la seule manière de fonctionner. On a pris l’habitude d’accepter l’école comme elle est, la même qui nous a fait réussir. En plus, maintenant, la plupart du temps après la classe, on a le nez fourré dans des papiers, le projet d’école, les avenants, toutes les autorisations, les dossiers, les enquêtes, les attendus de fin d’année, les PPRE, les PAP, les PAI, le PPMS, les GEVASCO, Affelnet, ONDE, les ESS, LSUN, les fiches navettes, les PPRE-passerelle. C’est comme pour le télétravail à la maison : pour bien bosser, bah les mômes, vous nous dérangez ! Alors le plus simple c’est quand même que nous on enseigne et que vous, vous appreniez comme on vous dit de faire. C’est clair ? Même si ce n’est pas vraiment comme ça qu’on apprend…

Bien sûr, vous allez me dire qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à apprendre quelque chose, que c’est aussi idiot que de vous donner l’ordre d’aimer. Mais d’abord, on ne vous a rien demandé et ensuite, s’il fallait tenir compte des élèves, ça changerait trop de choses. Il faudrait vous demander de partager vos passions et réflexions. On devrait s’intéresser à toutes les questions que vous vous posez, à ce que vous faites en dehors, le sport, la musique. En classe vous pourriez débattre, montrer comment vous procédez dans vos résolutions, discuter, échanger, argumenter, raconter des moments de votre vie, apporter des objets, vos lectures, vos créations, faire des exposés. On pourrait essayer de faire un peu plus les choses pour de vrai : écrire à de vrais correspondants, ou pour un vrai journal, apprendre des chansons pour de vrais concerts, des poésies pour de vrais spectacles, faire de véritables sorties, de vraies rencontres, aller au contact de la vraie vie et pourquoi pas fabriquer, cuisiner, jardiner, expérimenter, créer, faire du théâtre, bricoler. Vous pourriez avoir plus de libertés, de responsabilités, d’autonomie comme choisir avec qui et dans quel ordre faire votre travail.

En classe, vous pourriez vous entraider, présenter des brevets de ce que vous savez faire, prévoir une réunion par semaine pour organiser le travail et gérer vos propositions, mettre une boîte aux lettres pour communiquer entre vous, instituer un permis de circulation dans l’école, un tableau de tutorat. Certains seraient en relation avec des classes à l’étranger, le collège voisin, une maison de retraite ou un centre pour adultes handicapés. Mais vous vous rendez compte du bazar que ça mettrait ? C’est comme découvrir que la Terre tourne autour du soleil ! Tout serait chamboulé, bouleversé. D’ailleurs, quand notre planète fait le tour du soleil, on appelle ça une « révolution », ce n’est pas pour rien. Comment ? Que dites-vous ? « Révolution » c’est aussi le titre du livre du Président de la République quand il était en campagne électorale ? Euh, là, vous allez trop loin. Parce que finalement, si je vous écoute,c’est toute l’école sous cloche qu’on va devoir sortir de son long confinement pédagogique. Mais finalement, c’est peut-être le bon moment. On pourrait profiter d’être enfermés pour trouver enfin comment se libérer !

Sylvain GRANDSERRE

Maître d’école de 29 CM1/CM2 en Normandie

Auteur de « Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! », Éditions ESF/ Magazine LA CLASSE

Entretien dans le Café