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Lundi 11 mai, les écoles rouvriront. JM. Blanquer en a décidé ainsi, « une question d’honneur » a-t-il dit. Mais les enseignantes et enseignants sont-ils prêts ? Outre les inquiétudes qu’ils ressentent et pour la grande majorité la volonté de revoir leurs élèves, c’est la communication ministérielle qu’ils déplorent. Aucun texte officiel et un protocole sanitaire qui a tardé à arriver dans les boites mail des directeurs et directrices. Les équipes pédagogiques doivent informer les parents au plus tard le 7 mai des modalités d’accueil de leurs enfants, elles ont donc deux jours pour organiser la « rentrée », une rentrée bien loin de toutes celles qu’ils ont connues jusqu’ici… Ils nous font part de leurs inquiétudes, et de leur colère pour certains.

« J’ai peur, pas peur de la maladie réellement, mais peur de ma responsabilité si un cluster voit le jour dans notre école »

Mélinda est directrice d’une école de douze classes en Seine-Saint-Denis. Depuis l’annonce de la réouverture des écoles, son humeur varie entre soulagement et sueurs froides. « J’ai tellement envie de revoir mes petits loups, et les collègues… Mais j’ai peur, pas peur de la maladie réellement, mais peur de ma responsabilité si un cluster voit le jour dans notre école ». Les élèves de son école font partie de ceux ciblés par le président, ceux pour qui confinement rime avec augmentation de la précarité, ceux pour qui un repas à la cantine en moins ça compte vraiment, ceux pour qui vivre avec papa, maman et les frères et sœurs sans avoir un espace à soi, c’est dur, c’est très dur. Alors la reprise elle y tient, mais pas à n’importe quel prix. « Je sais que nous devons y retourner, il le faut mais je veux qu’on prenne le temps de construire cela entre collègues et avec la collectivité ». Pour elle, l’idéal aurait été de laisser les équipes réfléchir à des conditions d’accueil, en fonction de leurs élèves mais aussi en fonction du bâti pour garantir le respect des gestes barrières. « Le protocole a été comme un coup de massue. J’ai l’impression que si je n’organise pas en amont les choses, ce sera de ma faute. Mais comment vérifier tout ce que l’on me demande ? Je n’ai aucune formation de sécurité. Et clairement, 15 élèves dans une salle de classe en respectant la distanciation et les couloirs de circulation, c’est impossible. Je demande à voir ! ».

« Du temps pour faire le deuil de l’école telle qu’on la connaît »

Du côté de Caroline, dans l’Aude, ce sont les gestes barrières qui sont intenables en maternelle. « Comment rester à distance d’enfants de trois-quatre ans ? Ne pas les consoler, ne pas les toucher et leur parler avec un masque. Je pense à eux, et ça me met en colère. On va les traumatiser ». Et puis Caroline est angoissée, elle le reconnaît aisément. « Honnêtement, je n’arrive pas à me projeter. Quand on me dit que je vais devoir reprendre la classe dans moins de dix jours, je n’arrive pas à y croire ». Ce qui effraie Caroline, ce sont les discours contraires de l’inspection de circonscription et du maire. Pour lui, l’ouverture de l’école est conditionnée à l’application du protocole. Pas le même son de cloche du côté IEN, pour qui c’est à l’équipe de faire en sorte que le protocole soit applicable, car l’école ouvrira. Une cacophonie à l’image de la communication gouvernementale de ces dernières semaines. « Mais le souci pour moi, c’est que rien n’est écrit, pas de circulaire. Le discours varie d’un IEN à un autre. Ce n’est pas normal ».

Et l’angoisse de Caroline est réelle, cela fait plusieurs nuits qu’elle n’arrive pas à fermer l’œil. « Cette nuit encore je me disais que tout cela ressemble à l’expérience de Milgram. On me demande de maltraiter les enfants ». Ce que demande Caroline, c’est du temps pour tout organiser mais aussi « pour faire le deuil de l’école telle qu’on la connaît ».

« Le protocole sanitaire décrédibilise la parole du ministère »

Marie est directrice d’une école RPI en Bretagne. Ce retour en classe, elle l’attend. Pourtant elle est en colère. « Ce document décrédibilise la parole du ministère, il commence par expliquer que la distanciation physique est essentielle dans tous les contextes et dans tous les espaces puis on nous dit qu’on peut mettre 16 personnes, un adulte et 15 enfants, dans une salle de classe d’une cinquantaine de mètres carrés tout en respectant la distanciation d’un mètre et en aménageant un couloir de circulation. C’est impossible. Je propose au ministre de nous envoyer un plan précis. Parce que ma collègue et moi, on a beau essayer, on ne fait tenir que 8 élèves dans nos classes ». Dans les plans qu’a faits Marie, 15 enfants cela revient à dire que les élèves doivent rester statiques, qu’ils ne peuvent même pas reculer leur chaise et qu’il n’y a pas de couloir de circulation. « Dans ma projection, avec un couloir de circulation qui respecte un mètre de distanciation, on peut mettre huit enfants par classe ». Marie évoque aussi sa responsabilité en cas de contamination. Responsabilité morale, « je n’accueillerai que 8 élèves par classe, je ne peux pas faire autrement, en espérant que je ne subisse pas trop de pression ». Mais aussi pénale, « s’il y a un foyer infectieux dans une école, ce sera très facile de tout remettre sur le directeur en évoquant un plan de classe qui ne respecte pas la distanciation d’un mètre ». La sécurité dans l’école étant de la responsabilité du directeur, ses inquiétudes sont légitimes. « Quand on a des consignes inapplicables, c’est très inquiétant ». La surveillance est aussi un point noir pour Marie, « on doit avoir sous les yeux de façon continue notre groupe d’élève, comment surveiller ceux dans la cour et ceux qui sont aux toilettes ? »

Pourtant, Marie est heureuse de retourner en classe, 75% des élèves seront présents. Sa collègue et elle ont organisé un emploi du temps permettant que les élèves viennent un jour sur deux. « On va faire des jeux, il existe pas mal de choses, des jeux collectifs où on peut respecter la distance. On a aussi prévu de se déguiser le premier jour afin de mettre un peu de gaieté dans tout ça. Ce n’est pas simple, mais on va rire, s’amuser. Ce sera différent mais on sera ensemble. On va apprendre à vivre avec le virus, on n’a pas le choix ». Pour Marie tout cela est possible parce que ses élèves sont en cycle trois, elle n’imagine pas cela en maternelle.

« J’ai envie de reprendre le cours de la vie et puis j’ai une sensation d’inachevé avec mes élèves. On s’est à peine dit au revoir »

Yasmeen est enseignante en CE1 en Seine-Saint-Denis. Elle a hâte de retourner à l’école, « J’ai envie de reprendre le cours de la vie et puis j’ai une sensation d’inachevé avec mes élèves. On s’est à peine dit au revoir ». Mais cet empressement, elle le tempère par la peur d’être contaminée et de contaminer ses proches. « Je ne sais pas trop comment on va pourvoir mettre en place le protocole et les mesures sanitaires ». Le maire de la commune a d’ailleurs décidé de décaler les ouvertures d’une semaine, tablant sur le 18 mai, afin de pouvoir garantir le nettoyage de toutes les écoles mais aussi de permettre le respect du protocole quant à la désinfection quotidienne. Titulaire d’une classe dédoublée, elle aura peu d’élèves selon ses premières estimations, les parents étant très inquiets. « Ça ne nous ferait pas de mal un peu d’énergie positive. Le virus est là, on n’a pas le choix. Est-ce qu’on doit vivre calfeutré jusqu’à ce qu’il y ait un vaccin ? Alors oui j’ai des appréhensions, mais je les dompte ».

Enseigner en maternelle et en élémentaire, pour beaucoup c’est un métier différent. A partir du 11 mai, il le sera d’autant plus. Faire respecter les gestes barrières à un enfant de trois ans, c’est un peu compliqué. Et si un enfant pleure, quoi faire ? Le laisser à un mètre et lui conseiller sa boîte de mouchoirs individuelle ? La maternelle est une école de contact, une école chaleureuse. Clairement, les choses vont changer, pas le choix. Mais si les enseignants demandent un peu de temps « pour faire le deuil » et construire ensemble les meilleures conditions du retour, est-ce vraiment trop demander ?

Lilia Ben Hamouda