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Pour beaucoup d’enseignants, lundi c’est le baptême du feu avec un retour à l’école. Après deux mois de fermeture des écoles, les équipes se sont retrouvées lundi 11 mai pour préparer l’accueil des élèves. Même si seulement dix à trente pour cent des effectifs sont attendus, la réouverture des écoles se passe dans des conditions fort différentes d’un endroit à l’autre. Comme en témoigne ce tour des écoles….

Comment corriger sans risque les cahiers ?

Nathalie Lagouge est directrice depuis vingt ans, dont dix à l’école élémentaire Romain Rolland d’Evreux. Des pré-rentrées, elle en a fait un paquet mais celle-ci est bien loin de ressembler à ce qu’elle a connu jusqu’ici : pas de bises pour fêter les retrouvailles, des collègues à un mètre de distance les uns des autres et des masques qui cachent la moitié des visages. Les enseignants portent leurs masques personnels puisque ceux livrés ne comptabilisent que les journées devant élèves…

La matinée, c’était formation. Une formation à distance délivrée par un médecin et une infirmière, « On n’a rien appris, cela portait sur les gestes barrières, et après plus de deux mois de cette crise, on les connait les gestes barrières ! ».

Ce n’est pas le premier retour à l’école pour Nathalie, comme pour beaucoup de ses collègues directeurs, il a fallu se rendre sur les lieux auparavant pour rédiger le protocole sanitaire adapté aux locaux. Mais malgré les heures qu’elle et son équipe ont passé à y réfléchir, il faudra sûrement changer pas mal de choses.

Comme pour le lavage des mains. « Dès mardi, nous accueillerons 40 élèves, soit 20% de l’effectif total. Nous avons deux points d’eau. Six lavages par jour, c’est jouable mais ça va prendre beaucoup de temps. A partir du 25, ce sera 60 élèves. Mais on sait que cela va monter en puissance d’ici les prochaines semaines. Le lavage des mains six fois par jour sera impossible à tenir. On va sûrement alterner avec des gels hydroalcooliques ».

La correction des cahiers est aussi un sujet d’inquiétude, faut-il se désinfecter les mains après chaque cahier ? Les laisser reposer ? « On se dit qu’on va voir à l’usage. On modifiera le protocole au fil de l’eau ».

En maternelle : une forme de maltraitance

Aurélie, professeure des écoles en Seine-et-Marne, a toujours adoré enseigner en maternelle, surtout en petite section car « j’aime voir les enfants apprendre à avoir confiance en nous, apprendre à grandir avec nous ». Alors son métier, elle a beaucoup de mal à s’y projeter aujourd’hui. Dans son école, ce sera 10% des élèves, soit 16 élèves qui seront accueillis, répartis en deux groupes.

Beaucoup trop selon Aurélie. « Pour moi, ce sera une forme de maltraitance. Ils vont être déboussolés, nos masques ne vont pas aider et comment faire si un enfant a un chagrin, comment on le console ? » Autant de questions auxquelles ni elle ni ses dix collègues n’arrivent à répondre. « Pour la première journée, ça va, c’est la mise en place. C’est vraiment pour après que j’ai peur, que je m’inquiète… »

En CP : « Je suis prête »

Noémie exerce en Bretagne depuis dix ans. Cette année, elle a une classe de CP dédoublé et cette rentrée, elle l’appréhende mais elle la ravit aussi. Avec sa collègue de même niveau, elles ont pensé à tout. Seulement 7 CP reprendront mardi et le premier jour elles seront là toutes les deux pour les accueillir et les rassurer. Ensuite elles alterneront présence et distanciel.

« Nous allons mettre chaque enfant sur une table et il aura une table de matériel rien que pour lui à côté, comme une sorte de desserte. Nous allons y mettre beaucoup de matériel de manipulation : lettres, calepins des nombres, abaques, dés… Il y aura des jouets également, Kaplas, Légos, petites voitures…, une mini bibliothèque et leur matériel individuel. Tous les élèves seront face au tableau et nous allons retirer le coin regroupement avec les bancs. Pour la récréation, chacun aura une boîte de craies, une corde, un cerceau ».

Et quand on lui demande comment elle réagira si un enfant se met à pleurer, elle répond qu’elle le consolera. « Si un enfant pleure parce qu’il s’est fait mal ou s’est disputé avec un camarade, je ferai comme d’habitude, je l’écouterai, je le consolerai, d’un peu plus loin qu’avant c’est tout. Si un enfant pleure parce qu’il a le blues, et bien, je ferai de même. Mais je ne pense pas que ça arrivera. Les CP seront contents d’être là. Certains de mes élèves ne sont pas sortis de leur appartement depuis le début du confinement. Les parents n’ont pas utilisé l’autorisation de sortie d’une heure, jamais. Donc même si ce ne sera pas comme avant, avec ma collègue, on a prévu plein d’activités supers et nous sommes très motivées. On va chanter, on va danser, on va jouer ». Et elle conclue, « malgré le virus, malgré la peur, le beau soleil breton nous donne du baume au cœur. Je mettrai ma blouse, mon masque, j’ai lu le protocole sanitaire entièrement deux fois. Je suis prête ».

L’école rouvre sans élèves jusqu’en juin…

Marianne Del Ponte est enseignante dans une petite école RPI de Seine-et-Marne, à Aubepierre- Ozouer-Le-Repos. La rentrée sera le 2 juin au mieux, en septembre au pire. Pourtant leur IEN a exigé que les équipes soient dans les écoles les 11 et 12 mai afin de se projeter dans la future rentrée, quelqu’en soit la date.

Dans sa classe de CM1/CM2, et selon un sondage qu’elle a fait auprès des parents, seulement un enfant serait revenu, si le transport et la cantines étaient assurés, 8 ne savaient pas et 9 ont répondu par la négative. Mais l’inquiétude de Marianne, c’est du côté des élèves qu’elle se porte. « C’est dur pour les élèves. On essaie de palier cela par les visio que l’on fait, mais certains souffrent du manque d’école. Je pense particulièrement à mes CM, qui partiront peut-être au collège sans nous revoir. Ils ne pourront pas non plus aller en classe de mer ni faire la rando des hameaux, rituel local, pour dire au revoir à tous ni même la boom de fin d’année ».

Les enseignants et les enseignantes font face, s’adaptent. Les inégalités de gestion d’une ville à l’autre, d’un inspecteur ou une inspectrice à l’autre ne rassurent pas. Les jours et les semaines à venir permettront de mieux appréhender la vraie rentrée, celle de septembre qui sera sans doute elle aussi bien différente des précédentes. Mais ce qui compte pour les enseignants c’est qu’ils vont retrouver ceux pour qui ils ont choisi ce métier : leurs élèves. Et cela, cela n’a pas de prix.

Lilia Ben Hamouda