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Dans le village de Rians, dans le Cher, l’école a réouvert ses portes le 12 mai après les huit semaines de confinement. Une rentrée très progressive avec une petite dizaine d’enfants et des élèves qui viendront en classe une semaine sur deux, par groupe. L’autre semaine, ils continueront de travailler à la maison. L’enseignante de la classe à double niveau Grande section de maternelle et CP nous a accueillie hier, au deuxième jour de classe. Les 4 élèves de CP présents faisaient l’apprentissage des nouvelles règles : interdiction de circuler dans la classe, de se toucher, d’échanger ses stylos, de partager des jeux… Pour l’enseignante, c’est une autre vie de classe et une autre façon d’enseigner qu’il faut inventer.

En entrant dans la classe, Pauline adresse un grand sourire à la maîtresse : « J’ai perdu une dent, c’est pour ça que je suis un peu en retard. » Caroline Souchard, enseignante de la classe de Grande section-CP et aussi directrice de l’école de Rians, la félicite : « Tant mieux que ce soit après la confinement, comme ça, la petite souris pourra passer. » Pauline ajoute qu’elle a perdu d’autres dents pendant le confinement et que la petite souris était bien là…

En même temps, Caroline Souchard surveille les arrivées. Léo commence à enlever son manteau. « Non, Léo, on n’enlève plus le manteau à l’entrée, on va directement se laver les mains. Et comme Pauline est déjà au lavabo de la classe, tu prends l’autre chemin, avec les marques blanches au sol, et tu te laves les mains aux toilettes. Tu n’oublies pas de faire les animaux : le ver de terre, le serpent, le hérisson…, en te frottant les mains sur le dessus, entre les doigts. » Léo revient s’assoir à sa table. Comme ses camarades, il ne pourra plus en bouger d’ici la récréation de dix heures.

Marques au sol

Toute la classe a été reconfigurée pour répondre aux exigences sanitaires. Tous les jeux et autres matériels scolaires que les enfants se passaient de mains en mains ont été rangés dans un coin. Six petits bureaux individuels, tous séparés d’au moins un mètre, ont été disposés au centre de la salle, entourés de marques au sol indiquant aux enfants la limite à ne pas franchir. « Par chance, il restait un peu de place, explique l’enseignante, et j’ai pu ajouter un petit banc devant, avec des coussins, afin que les enfants puissent un peu bouger. »

Sur sa table, chaque élève a son matériel individuel : un cahier « Je suis en CP », des feuilles d’exercices photocopiées, un sachet avec des perles et des jetons, et dans le tiroir du bureau, ses fournitures – règle, colle, ciseaux, feutres… Les enfants ont été autorisés à apporter leur petite bouteille d’eau.

Faisselles

L’école de Rians, village de la Champagne berrichonne, célèbre pour ses produits laitiers – comme les faisselles Rians -, a réouvert le 11 mai et a accueilli ses premiers élèves le 12 mai : 13 sur 112 au total. Une grosse école pour une petite commune de 980 habitants, qui s’explique par une particularité : Rians compte plus d’emplois (1 100) que d’habitants, grâce à ses cinq entreprises industrielles florissantes, à commencer par les laiteries Triballat, fabricant des produits Rians.

Les 4 classes de l’école regroupent chacune deux niveaux – Petite et Moyenne sections, Grande section et CP, etc. La classe des Petites et Moyennes sections accueillait cette année 33 élèves… Il est prévu d’ouvrir une cinquième classe l’an prochain.

Après concertation avec la mairie, il a été décidé une reprise progressive. Pour tester la nouvelle organisation et pouvoir la perfectionner au fil des jours, mais aussi au vue des réticences des parents à renvoyer leurs enfants en classe. Beaucoup craignent de les exposer à une contamination et préfèrent attendre de connaître les conditions de la reprise. Le département, relativement peu touché, déplore 142 morts du Covid-19.

Alternance

A Rians, chaque classe va être divisée en deux groupes qui viendront une semaine en alternance à l’école. Caroline Souchard a commencé avec les CP. Le 18 mai, ce sont les grandes sections qui reviendront en classe tandis que les CP repartiront chez eux.

Une exception toutefois : la classe des Petite et Moyenne sections, pour qui les règles sanitaires seront particulièrement difficiles à faire respecter, ne reprendra que le 25 mai, avec les plus grands. D’ici là, l’enseignante accueille deux élèves « prioritaires » – un enfant d’enseignant et un petit frère d’élève – auxquels se joindront deux enfants de soignants à partir du 15 mai.

A l’occasion de cette rentrée, l’école, parmi les dernières dans la région aux quatre jours et demi, est repassée aux quatre jours. Elle devait le faire en septembre mais il a été décidé d’anticiper afin de simplifier l’organisation et de limiter le nettoyage des locaux. Certaines enseignantes regrettent déjà les cours du mercredi matin.

Dans le Cher, la rentrée s’est ainsi faite à petits pas. Quelque 3 000 écoliers – 12,5% du total – ont repris le 12 mai dans 180 écoles sur les 306, selon la direction académique départementale. Le 14 mai, 54 nouvelles écoles devaient suivre. Quelque 22 écoles devraient rester fermées jusqu’en septembre, les maires estimant ne pas avoir les moyens de réouvrir.

Parois en carton

Le maire de Rians, Christophe Drunat, professeur d’histoire-géographie en collège, reconnaît la difficulté – « 4 mètres carrés par élève, ça n’est pas simple » – mais il estime que « si l’on s’y met, c’est jouable ».

« Lorsque j’entends des maires dire que ça leur a coûté 10 000 euros, je ne comprends pas. Si je fais les comptes, on n’a pas dépensé plus de 2 000 euros : on a acheté de la solution hydroalcoolique, du produit virucide, des masques chirurgicaux et des visières, et enfin des séparateurs en carton pour la cantine. »

Il n’a pas fallu rajouter de personnel municipal. Il y avait un agent pour nettoyer les locaux. Il doit maintenant désinfecter à fond les classes le soir ainsi que les toilettes le midi. « Les enseignantes ont accepté de nettoyer au virucide les poignées de portes, les interrupteurs, les robinets. »

Le maire de Rians bénéficie d’une situation favorable par rapport à d’autres élus de petites communes. Il n’a pas de transport scolaire à sa charge. La commune a son école alors que d’autres, dont les écoles sont regroupées dans un RPI (regroupement pédagogique intercommunal), doivent décider à plusieurs, ce qui complique les choses. Rians dispose enfin dans l’Espace culturel où se trouve la cantine, d’une grande salle où les enfants pourront déjeuner, espacés. « J’ai déjà dit aux associations qu’elle serait inacessible jusqu’au 4 juillet. Priorité aux enfants. »

Nouveau son

Dans la classe de Caroline Souchard, les 4 élèves sont maintenant installés à leur bureau. L’enseignante revient d’abord sur les consignes sanitaires. « Vous avez compris pourquoi je porte un masque ? », « Vous savez ce que sont les gestes barrières ? »… Quatre mains se lèvent. « Ils ont été bien préparés par leurs parents, dès mardi, ça s’est très bien passé. »

Caroline Souchard en profite pour leur montrer la visière fournie par la mairie. Elle l’essaie devant eux : « Si l’un de vous tombe et que je doive m’approcher pour le soigner, je la mettrai. » Les enfants écoutent sans broncher. Plus rien ne semble devoir les surprendre…

On passe à la leçon du jour : le son « ill » que l’on trouve dans « fille » et qui peut s’écrire différemment. L’enseignante projette une vidéo du réseau Canopé. Les enfants suivent, concentrés.

Les autres CP restés chez eux reçoivent les mêmes exercices, avec parfois quelques adaptations. « On avait parlé que quelqu’un les prendrait en charge mais on ne le souhaite pas, car ce serait trop compliqué d’expliquer où on en est avec les élèves, ce que l’on veut faire, comment…Pour le CP, j’ai envoyé hier les devoirs pour jeudi et vendredi. Pour les Grandes sections, j’ai pu m’avancer. »

Étirements

« Qui veut prendre la souris ? » On enchaîne sur un exercice. Célia a levé la main la première. Caroline Souchard désinfecte la souris avant de lui passer. Il faut cliquer sur le mot qui va avec l’image.

Léo ne voit pas bien les lettres au tableau blanc. L’enseignante lui dit de s’avancer sur le banc devant son bureau. Mais attention à ne pas dépasser les marques au sol, le bureau de Melvine est tout prêt. Pauline a envie de bouger. Elle va aussi s’asseoir devant, sur son coussin, les yeux rivés sur les limites au sol.

« On va faire des étirements. » L’enseignante commence, les enfants l’imitent. Impossible de faire des parcours de motricité dans ces conditions. Léo éternue dans son bras. Caroline Souchard arrive avec son gel hydroalcoolique et lui en met dans la main.

On passe aux exercices photocopiées. Habituellement Caroline Souchard fait travailler en petits groupes, avec de l’entraide entre les enfants. C’est désormais impossible. « Ce matin, j’aurais fait des ateliers de manipulation, on perd en bienveillance et en coopération. C’est une autre pédagogie qu’il faut mettre en oeuvre, tout est à réinventer ». »

Récré décalée

Dix heures: l’heure de la récré. C’est un moment délicat et pourtant les élèves ne sont encore que 4… Ils doivent se laver les mains avant et après être allés aux toilettes sans se croiser. Puis ils doivent se placer dans le couloir sur les marques blanches, afin de respecter la distance d’un mètre qu’ils devront maintenir dans la cour. Interdiction de toucher aux portes. Seule l’enseignante les touche, un spray de virucide à la main pour les poignées.

Dans la cour, tous les jeux collectifs ont été condamnés. Caroline Souchard dispose des plots au sol. Les enfants vont avoir des tricyles et des trottinettes. Ils devront rouler et garder au moins un plot de distance. Au début, ça marche bien. Peu à peu, un garçon accélère et se rapproche d’un autre pour le doubler. Les filles bifurquent sur le côté, elles ont envie de se parler. La classe voisine, avec deux élèves, arrive dans la cour. Les enfants commencent à se regrouper.. La décision est vite prise. Désormais, les récrés seront décalées.

On avance en faisant, reconnaissent les uns et les autres. Cette rentrée toute en contraintes et en incertitudes est un vrai défi. A Rians, des enseignantes ont voulu le relever, pour leurs élèves.

Véronique Soulé