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Imaginé dans le cadre de la réouverture des établissements scolaires, le nouveau dispositif 2S2C fait réagir les professeurs d’EPS. Pour Bruno Cremonesi, secrétaire national du SNEP FSU, le syndicat très majoritaire en EPS, ce « cheval de Troie » vise à  » remplacer l’EPS par les clubs sportifs ». Selon lui,  » Le ministère a déjà pris des mesures pour pérenniser ce type de dispositif ».

Comment définiriez vous le 2S2C ?

Le 2S2C, est un acronyme composé de Sport, Santé, Culture, Civisme. Des groupes d’élèves dans le primaire mais aussi dans le secondaire pourraient donc être inscrits à ce dispositif mis en œuvre conjointement par l’Etat, les collectivités territoriales, les associations et les clubs. L’idée générale est de permettre, sur le temps scolaire, de réaliser des activités sportives et culturelles. L’idée peut sembler généreuse mais ne nous trompons pas, il habille d’une autre façon un aménagement des rythmes scolaires, école le matin et sport l’après-midi. JM. Blanquer profite de la complexité de la situation pour instaurer la confusion dans le temps scolaire entre les disciplines obligatoires de la responsabilité de l’Etat et des dispositifs encadrés par des intervenants extérieurs. Il tente de faire de ce 2S2C une alternative à l’organisation de l’école actuelle et finalement à renvoyer tout ce qui ne constitue pas pour lui les « fondamentaux », « lire, écrire, compter, respecter autrui » .

Quelles pourraient être les conséquences dans les établissements ?

Ce fonctionnement met nécessairement en tension l’utilisation des installations sportives. Les villes de Rennes et Bordeaux ont déjà envoyé des courriers pour réserver l’usage des installations au profit des 2S2C conformément à une directive du ministère des sports. En effet dans le guide du ministère des sports il est précisé : « Les équipements sportifs couverts ne rouvriront pas avant le 2 juin 2020, au moins sauf pour les sportifs de haut niveau, les sportifs professionnels et les scolaires accueillis dans le cadre du programme sport santé civisme et culture ». Le 2S2C se met donc en place au détriment de l’EPS pour le bénéfice de quelques élèves volontaires.

C’est une attaque frontale contre la discipline EPS ?

Nous sommes face à une volonté de remplacer l’EPS par les clubs sportifs. Après avoir fragilisé le mouvement sportif, le gouvernement utilise cette période pour avancer dans des projets qui génèrent des conflits. Le SNEP-FSU a d’ailleurs réagi à la tribune des sportifs publiée dans « Le Parisien » en proposant de relancer un mouvement de démocratisation de l’accès aux pratiques sportives et de mettre en place dès que possible des états généraux du sport pour réaliser un plan d’urgence du développement du sport en France.

Comment les parents d’élèves doivent-ils interpréter pour la santé de leurs enfants l’idée qu’ils ne peuvent pas faire d’EPS à l’école dans les installations sportives mais que, par contre, ils pourront faire du sport l’après-midi encadrés par d’autres acteurs que leurs enseignants ?

Qui peut penser que ce dispositif est construit dans l’intérêt des élèves ? J.M. Blanquer cherche à faire des économies et a trouvé ici le moyen de décharger l’Éducation Nationale d’un poids qu’il juge trop élevé. Et la ministre des sports a trouvé le moyen de relancer les activités des clubs et associations sportives.

Est-ce pour répondre au contexte sanitaire ou cela revient-il au dispositif « cours le matin sport l’après-midi » déjà proposé par le passé ?

Jean-Michel Blanquer et Roxana Maracineanu avaient déjà présenté ce projet en février 2020 dans une interview pour le journal 20minutes : « Les après-midi des élèves pourraient être libérés pour la pratique sportive ». La crise sanitaire est une excuse pour faire passer ce projet en force !

Il n’est pas le premier à le faire, la droite parlait, pour l’EPS, d’une discipline de vie sociale qui devrait être sous la responsabilité des municipalités. Chaque fois qu’un tel dispositif a été mis en avant, cela a toujours été pour réduire les enseignements scolaires, notamment EPS et éducation artistique, au profit d’offres extra-scolaires à la charge des collectivités territoriales ou des familles. Nous retrouvons régulièrement dans l’histoire des tentatives pour faire sortir de l’école, c’est-à-dire d’un temps obligatoire pour tous, les activités physiques sportives et artistiques.

Mais en quoi faire du sport l’après midi rélève selon vous d’une orientation de l’Ecole?

La question de fond est de savoir ce qui relève de l’école et du service public d’éducation et ce qui relève de l’extra-scolaire ou du périscolaire c’est-à-dire ce qui est obligatoire pour tous et toutes et le reste. En plus de l’obligation, le service public doit garantir le droit et l’égalité sur le territoire.

Une bascule vers les collectivités territoriales, les clubs, les fédérations… générerait des inégalités territoriales. Les offres étant loin d’être égales suivant les lieux d’exercice. Pour les pratiques physiques, ces temps dépendent des éducateurs du mouvement sportif disponibles, avec une disparité de formation et sans avoir un projet éducatif, des savoirs communs.

Nous devons être attentifs. Le ministère a déjà pris des mesures pour pérenniser ce type de dispositif. Il pense à un futur déjà présent. La seule façon de préparer le jour d’après et de ne pas laisser le présent se dégrader est de garantir ici et maintenant dans le cadre de l’école des enseignements et non une garderie.

Le Ministre vante pourtant la qualité des enseignants d’EPS et le dynamisme de l’UNSS dans sa réponse au rapport de la cour des comptes…

Posons-nous la question : pourquoi vouloir créer un dispositif de plus ? En plus de l’EPS, il existe des options, des sections sportives, du sport scolaire. Ce plus est déjà possible pour les élèves mais ils ne concernent pas tous les élèves. Dans le même temps où le ministère n’a de cesse de dire qu’il souhaite développer le sport, il ne fait rien pour valoriser la discipline EPS que cela soit au bac ou au DNB. Il s’engouffre dès qu’il le peut pour faire entrer les clubs dans l’école. Dans tous les pays européens cela s’est traduit par une baisse des horaires obligatoires.

Pour suivre cette question de très près dans l’association Européenne de l’éducation physique et sportive, si notre pays continue à avoir une bonne qualité de l’EPS, c’est parce que nous avons su à la fois travailler à une formation didactique des enseignants d’EPS sur les APSA (Activités Physiques Sportives et Artistiques) et que nous avons résisté aux volontés d’offrir à d’autres ce temps d’enseignement..

La discipline EPS n’est-elle pas coincée entre d’un côté son ancrage culturel sportif et de l’autre côté une vision hygiéniste du corps santé ?

Effectivement, il est temps que l’on se questionne aussi sur le glissement de notre discipline. Les lobbyistes de la santé et « de la conversion des corps », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Gilles Vieille Marchiset, veulent transformer le profs d’EPS en manager de la santé et du bien-être coupé de la culture sportive et artistique.

Depuis le début de l’année le mouvement sportif ne cesse de dénoncer la dégradation du sport pour tous dans les subventions, dans la gestion des cadres techniques. Le ministère essaie aujourd’hui de panser les maux qu’il a lui-même créés.

Nous devons travailler à de nouvelles alliances avec le mouvement sportif pour créer un réel élan de démocratisation du sport en France. J’avais essayé d’interpeller le mouvement sportif à ce sujet dans la perspective de l’élan de 2024 et des annonces mensongères du gouvernement visant à créer une génération de sportifs et de sportives. Notre discipline EPS obligatoire pour tous et toutes reste encore le seul moyen de résister aux inégalités d’accès à la culture sportive.

Propos recueillis par Antoine Maurice

Communiqué Snep Fsu

Tribune : L’EPS menacée d’un retour en arrière ?

Snep : Le sport d’après et quelle EPS d’après

Article sur Médiapart