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« On a vu que la France n’avait vraiment pas à rougir en matière d’enseignement à distance ». Répondant à la question d’un député le 19 mai JM Blanquer a mis en avant la réponse française à la crise sanitaire, et particulièrement le CNED, comme une sorte de modèle pour les autres pays. Ce n’est pas l’avis de l’OCDE qui, partant de ses propres données, pointe surtout des insuffisances françaises. Et pose, à sa façon, la question des leçons à tirer de la crise portée par le Covid-19.

Qu’est ce qu’être adapté à la crise ?

Comment évaluer l’état de préparation d’un système éducatif à une crise aussi inattendue et brutale que la pandémie du Covid 19 ? L’OCDE utilise son enquête TALIS 2018 pour mettre en valeur les systèmes éducatifs les plus aptes à faire face à la crise. C’est à dire, pour l’OCDE, les Ecoles où les enseignants sont formés à l’utilisation des outils numériques, ouverts au travail collaboratif et au changement et attentifs aux attentes des parents. Quatre domaine où l’Ecole française est mal classée.

La France avant dernier

Selon Talis, nous sommes dans les dix derniers pour l’ouverture au changement. Concernant le téléenseignement, selon l’OCDE, seulement 45% des enseignants du secondaire français se disent aptes à enseigner avec le numérique contre 67% pour la moyenne de l’OCDE , ce qui nous met dans les 3 derniers pays. C’est pire pour le temps passé à communiquer avec les parents où seules les écoles belges font pire que nous. On est encore avant dernier pour la participation des enseignants au travail collaboratif juste derrière la république slovaque.

Voilà quatre domaines clés pour l’OCDE qui rendent l’Ecole française particulièrement vulnérable à la crise sanitaire. Or, pour l’OCDE, alors que les pays qui ont affronté en premier l’épidémie du Covid 19 (Singapour, la Corée du Sud, Hong Kong) affrontent une seconde vague, il est clair que l’impact de la crise sanitaire sur les systèmes éducatif sera durable et qu’il aura une influence longue sur les systèmes éducatifs. Ce qui amène l’OCDE à recommander de former davantage les enseignants aux usages pédagogiques du numérique et à développer la communication avec les parents pour une meilleure aide aux apprentissages des jeunes. L’OCDE demande aussi que soit encouragé le travail collaboratif entre enseignants.

L’extraordinaire résilience de l’Ecole

Evidemment les enseignants français et la société dans son ensemble n’ont pas la même vision de ce qui s’est passé depuis le 16 mars en France. Alors que l’Ecole était traversée par des conflits multiples, que le système éducatif était souvent présenté comme une machine immobile, tout le monde a pu constater la réactivité des enseignants. En quelques jours ils ont réussi à s’emparer des outils numériques, souvent ceux indiqués par les élèves, pour maintenir leur enseignement. Si moins de la moitié des enseignants déclaraient être capables d’enseigner à distance, presque 100% ont réussi à le faire en quelques jours. Si effectivement les enseignants français échangeaient peu avec les parents, voir se méfiaient d’eux, en quelques jours parents et enseignants ont compris qu’ils devaient travailler ensemble.

En fait l’Ecole française a fait preuve d’une capacité de résilience dont on ne la croyait pas capable. Ou, pour être précis, les enseignants français ont fait face à une situation inédite. Mais , et là on rejoindra l’OCDE, effectivement ils étaient peu préparés à le faire.

Adapter les enseignants ou le système?

Surtout, le système éducatif était peu préparé à cette crise. Si l’enseignement a été maintenu durant ces deux mois , si les enseignants en sont grandis, le système éducatif sort de la crise dans un état d’émiettement qu’il n’a jamais connu. Durant le confinement il a fallu des semaines pour que des consignes pédagogiques soient données. Les enseignants se sont trouvés seuls à accompagner avec leur matériel personnel, en utilisant souvent des outils privés, des élèves amenés eux aussi à se débrouiller comme ils pouvaient. Dans l’urgence, on a laissé les choses filer. Et les inégalités se sont creusées comme jamais entre les filières, entre les établissements et à l’intérieur même de chaque classe. Un pourcentage important de lycéens professionnels a décroché. On a dérégulé, rendant l’école facultative. Résultat : le taux de retour à l’école primaire , depuis le 11 mai, varie considérablement à l’intérieur du pays. On a vu reparaitre des écoles d’entreprises. Et on voit fleurir les services éducatifs privés. Avec le dispositif 2S2C on pourrait bientôt assister à la sortie de l’éducation nationale de pans entiers de l’éducation.

Le ministre a beau répéter depuis le début de la crise que « tout est prêt », il a sans cesse été pris au dépourvu. Ce qui a craqué dans cette crise ce ne sont pas les professeurs. C’est bien le pilotage. Voilà un cas non prévu par l’OCDE. La question du numérique comme outil éducatif, celle du lien avec les parents se posent en des termes nouveaux depuis mars. Mais pour la France, la plus urgente question, avant la formation des professeurs au numérique, c’est la reconstruction d’un système éducatif national basé sur le droit de tous à l’éducation.

FRançois Jarraud

OCDE Teaching in Focus n°32

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