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Cela ne date pas d’hier, car la place des oraux a beaucoup varié dans le temps; et c’est tout à fait significatif des valorisations ou modalités d’évolution de notre système éducatif, souvent peu réfléchies. Même si on se limite à la période récente, cela donne le tournis.

Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer a rappelé dans son intervention de jeudi que le coeur de sa réforme du nouveau baccalauréat résidait dans la place nouvelle dévolue à l’oral. Depuis des mois, il avait annoncé sa détermination pour qu’il y ait une épreuve terminale d’oral de francais à la fin de la classe de première en arguant que les évaluations en contrôle continu de l’oral de français étaient de fait peu présentes en cours d’année (contrairement à celles de l’écrit de français, ce qui ouvrait la possibilité effective d’évaluer cet écrit à partir des notes en contrôle continu). En raison des fortes oppositions rencontrées et dans le cadre gouvernemental, le ministre de l’Education nationale a dû renoncer à ce que l’épreuve orale de français ait lieu en cette fin d’année scolaire (sans que l’on sache vraiment à partir de quoi l’oral de français va être effectivement évalué, compte-tenu de ce que le ministre a toujours soutenu jusqu’alors).

Par ailleurs, les épreuves d’oral qui relèvent de son domaine de compétence ne sont finalement maintenues que pour les candidats aux concours de recrutement de professeurs dont les écrits ont eu lieu avant le confinement (soit environ 80000 candidats, dont les agrégatifs de langues vivantes ou régionales). Pour les autres, soit plus des deux tiers des candidats au professorat (dont les candidats à des concours de langues vivantes ou régionales autres que l’agrégation) aucun oral! Dur, pour un ministre qui se prévalait de rehausser le sérieux et la place de l’oral dans l’Ecole.

Si l’on suit la longue saga de la place de l’oral dans le baccalauréat, on peut constater que cela  »ballotte  » depuis longtemps. Lorsque le baccalauréat est créé en 1808, l’évaluation des candidats repose sur une seule épreuve, un grand oral qui dure une demi-heure au moins, trois quarts d’heure au plus. En 1840, une épreuve écrite est instituée. En 1852, on ajoute une composition latine. En 1864, on rajoute en sus une composition française sur un sujet de philosophie.

Au cours des années, les épreuves écrites et orales prennent de plus en plus d’ampleur, tant et si bien que les décrets d’avril et juillet 1874 scindent en deux le baccalauréat es lettres (le principal des baccalauréats). À l’écrit de la première partie (passée en » rhétorique », c’est à dire en première), une version et une composition latines ; à l’oral, des explications d’auteurs grecs, latins, français et des interrogations sur la rhétorique et la littérature, l’histoire, la géographie. À l’écrit de la deuxième partie (passée en terminale), une composition de philosophie et la traduction d’un texte de langue étrangère ; à l’oral, des interrogations sur la philosophie, les mathématiques, les sciences physiques et naturelles, une langue vivante, l’histoire et la géographie. On tient là l’architecture foncière du baccalauréat tel qu’il va être jusqu’aux années 1960, à la réserve près qu’à partir de 1927 il y a deux sessions : une en juin, et une en septembre (durant laquelle les élèves qui avaient échoué devaient tout repasser, écrits et oraux).. Au total,  »l’oral » est alors largement présent, même si on n’y est guère préparé (en particulier pour ce qui concerne les types d’épreuves ad hoc et leurs évaluations, une constante historique de l’Ecole française…).

Durant la période gaullienne (où l’on passe de 10% d’une classe d’âge obtenant un baccalauréat général en 1959 à 20% en 1969), on mulitiplie les tentatives pour  »simplifier » l’organisation du baccalauréat. Et la place des  »oraux » est  »ballottée » à tout va. Dès 1959, on supprime l’oral sauf pour les langues vivantes. En 1960, la seconde session de rattrapage disparaît, mais on la remplace par un oral de rattrapage qui a lieu sur le champ pour les élèves qui ont obtenu au moins 7/20. En 1965, on rétablit la session de rattrapage en septembre, avec un écrit et un oral. En 1967, on décide de supprimer à nouveau la session de septembre, mais on rétablit l’oral de rattrapage. En 1969 : création de l’épreuve par anticipation de français en classe de première. Désormais, les élèves de première passent une épreuve orale et écrite en français. C’est cette configuration qui a prévalu jusqu’à l’aurore de la nouvelle configuration du lycée et du baccalauréat initiée par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer.

Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y a jamais eu de réflexion de fond générale concernant l’opportunité et la légitimité des places et fonctions respectives des épreuves orales ou écrites comme le montrent les  »ballottages » multiples qui ont eu lieu au cours de la longue histoire du baccalauréat; Ce qui explique sans doute que se font jour des  »légitimations » d’après coup, le plus souvent très conjoncturelles et ad hoc. Le contexte actuel, par ses fortes remises en cause de fait s’il dure, pourra-t-il être porteur d’une réflexion de fond générale? Ou la  »force des choses » et les  »commodités » successives et passagères l’emporteront-elles comme souvent? Si l’on en juge par les décisions et les diatribes actuelle, c’est mal engagé.

Claude Lelievre