Print Friendly, PDF & Email

Une semaine avant l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi Rilhac, la commission de l’éducation du Sénat publie un rapport, rédigé par Françoise Laborde et Max Brisson, qui plaide lui aussi pour la transformation de la fonction de directeur d’école en emploi fonctionnel. Très précis, le rapport est attentif aux réalités du terrain et même à certaines attentes des directeurs. Il aboutit pourtant à la même conclusion que la loi Rilhac : installer une autorité hiérarchique dans les écoles là où règne la petite république du conseil d’école. Une évolution qui a été rejetée par les professeurs des écoles lors d’une récente consultation ministérielle. Mais, comme dit F. Laborde, « il faut faire évoluer l’école de Jules Ferry ».

Un statu quo plus tenable

Ancienne directrice d’école, sénatrice PRG, Françoise Laborde a rédigé il y a quelques années un rapport sur le métier enseignant avec Max Brisson, inspecteur général et sénateur LR. Tous deux publient le 9 juin un rapport « sur la situation des directeurs d’école » qui tombe à pic pour soutenir la proposition de loi Rilhac.

Les deux sénateurs connaissent bien l’éducation et, même si leurs consultations sont très limitées, ils ont bien repéré des attentes des inspecteurs. « Le directeur d’école n’est pas le supérieur hiérarchique des autres enseignants ou professeurs des écoles. Ce dernier reste l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN). Le directeur d’école se trouve ainsi dans cette position ambiguë de responsable du fonctionnement de l’école pour de nombreux interlocuteurs », rappellent-ils. Cette situation résulte d’un choix fait par les fondateurs de l’école républicaine de mettre à la tête de l’école un conseil d’école et comme supérieur hiérarchique un inspecteur. Un autre élément de ce choix c’était d’installer avec l’école la République dans chaque commune et donc d’avoir une multitude de petites écoles. Aujourd’hui sur 44 900 écoles publiques, plus de 15 000 ont moins de 4 classes et 24 000 de 4 à 10 classes. Seulement 5000 écoles comptent 11 classes et plus.

Pour M Brisson et F Laborde, la crise sanitaire souligne le rôle des directeurs. Ils ont été à disposition tout le temps du confinement. Ils ont entretenu les contacts avec les parents et les professeurs, organisé le travail. On leur a même demandé de surveiller le travail des professeurs. Enfin lors du déconfinement ils ont eu à préparer la réouverture de leur école aussi bien en ce qui concerne l’application du protocole que l’organisation des services enseignants. « Conscient du travail important que représentait la réouverture des établissements scolaires, tant sur le plan organisationnel que dans les relations avec l’ensemble des partenaires dont les familles, la circulaire du 4 mai 2020 a déchargé provisoirement les directeurs d’école – s’ils le souhaitaient – de leur tâche d’enseignement », rappellent les auteurs. Ils rappellent aussi la crise profonde des directeurs , surchargés de travail, avec un risque réel de burnout comme l’a mis en évidence le suicide de C Renon.

Pour les auteurs « le statu quo n’est plus tenable » pour les directeurs mais « la mise en place d’un statut des directeurs n’est pas la solution ». « En effet, la création d’un cadre dédié – à laquelle sont opposés l’ensemble des syndicats et associations représentant les directeurs d’école pour la raison développée ci-après – empêcherait des allers-retours entre des postes de professeur des écoles et de directeur d’école ». Pour M Brisson, « les directeurs doivent rester des professeurs. L efait que les principaux des collèges ne retournent jamais en classe n’est pas une bonne idée ».

Emploi fonctionnel et décharges

Ils demandent donc « la création d’un emploi fonctionnel, qui doit s’accompagner d’une revalorisation du régime indemnitaire applicable aux directeurs d’école ». Pour M Brisson un emploi fonctionnel est bien « une fonction d’autorité ». « Il donne l’autorité à celui qui exerce la fonction ». Le rapport ne dit pas jusqu’où irait cette autorité.  » Une telle modification implique nécessairement une évolution de la relation entre les directeurs d’école et les inspecteurs de l’éducation nationale (IEN), afin d’entrer davantage dans une logique partenariale, de co-pilotage et de co-responsabilité », note le rapport.

Le rapport s’attache aussi aux conditions matérielles d’exercice. Il préconise de donner 11 jours de décharge pour les directeurs des écoles de 1 à 3 classe, de 4 à 7 classes un tiers de décharge plus un jour, de 8 à 12 classes une demi décharge et une décharge totale à partir de 13 classes. Cette proposition est un peu plus favorable que le système actuel pour les directeurs des petites écoles, les plus nombreux. Il demande aussi la « sanctuarisation » des jours de décharge « en concertation avec les Dasen », mais là les intéressés savent comment ça se termine souvent… Il ya deux idées intéressantes sur les décahrges : poser un jour sur les périodes les plus chargées et penser la demi décharge sur l’année scolaire plutot que sur la semaine.

Lors de la consultation sur les directeurs, la principale demande des directeurs était une aide administrative, supprimée par le gouvernement en 2017. Pour les rapporteurs le recours à nouveau à des services civiques n’est pas une bonne solution. Ils préconisent pour les écoles de 8 classes et plus une aide administrative sous la forme d’un contrat de droit public de 3 ans renouvelable une fois.

La similitude avec la proposition de loi Rilhac, qui arrivera à l’Assemblée le 17 juin, est flagrante. Comme la loi Rilhac , les rapporteurs optent pour donner aux directeurs un empli fonctionnel. Cela permet de leur confier une autorité hiérarchique sur les enseignants dont la limite sera fixée par la lettre de mission. Celle ci pourrait inclure l’évaluation des enseignants. Ces emplois fonctionnels dépendent des Dasen qui peuvent y mettre fin. C’est donc une façon d’installer une autorité hiérarchique dans l’école sans toucher au statut, un point clairement refusé par la majorité des enseignants.

Les différences entre le rapport et la proposition de loi portent sur le calendrier et les avantages liés à la fonction. La loi Rilhac propose une revalorisation des indemnités de fonction et un autre régime de décharge plus favorable aux grandes écoles. Mais ces points ne sont pas dans la loi, à l’exception de la décharge totale à partir de 8 classes, mais dans son exposé. La revalorisation des indemnités et les décharges dépendent du pouvoir réglementaire, c’est à dire du gouvernement et la loi ne peut pas statuer sur ces points. Ils sont mentionnés uniquement pour porter la loi auprès de l’opinion.

Emploi fonctionnel et regroupement des écoles

Un des points noirs du rapport et de la loi Rilhac c’est l’évolution des petites écoles. Historiquement la fonction de directeur pair de ses collègues est liée à la volonté de multiplier les petites écoles. Le débat sur la fonction de directeur, depuis le projet d’EPEP de F Fillon en 2004, est lié à l’idée de concentrer les écoles. Que voudrait dire un directeur qui serait chargé d’un emploi fonctionnel tout en étant un simple professeur des écoles toute la journée ? La révision de la fonction devrait s’accompagner d’une concentration des écoles pour donner à l’emploi fonctionnel son vrai cadre d’exercice.

L’idée de transformer les écoles en établissements publics de l’enseignement primaire (EPEP) avec un chef d’établissement vient de François Fillon, le ministre de l’éducation nationale qui a mis le pied à l’étrier de JM Blanquer. Il insère cette réforme dans la loi du 13 août 2004. Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ». F Fillon est remplacé par G de Robien qui tente de faire passer le décret d’application, ce qui occupe les années 2006-2007. Finalement le décret n’est pas publié. C’est l’époque où tous les syndicats d’enseignants s’opposent à la mesure.

En 2010, l’Institut Montaigne, un autre ami de JM Blanquer, relance le débat sur l’EPEP et une seconde tentative de glisser l’EPEP dans une loi échoue à son tour en 2011. Pourtant il n’y a déjà plus d’unanimité syndicale sur la question. La même année, un sondage publié par le Snuipp montre un net rejet des Epep par les enseignants avec la crainte de voir un échelon hiérarchique plus présent que les IEN peser sur les enseignants. Mais un an plus tard le Se Unsa publie un autre sondage qui montre une majorité de directeurs en faveur de l’Epep.

En 2015 le rapport Leloup et Caraglia, deux inspectrices générales, évoque l’EPEP comme solution aux dysfonctionnements des circonscriptions du 1er degré. Début mars 2017, la ministre publie des « engagements » en faveur des directeurs pour alléger leurs taches administratives. Ce qui revient à enterrer les Epep.

La question agite encore la campagne électorale des présidentielles de 2017. Plusieurs candidats se montrent favorables aux EPEP ou à l’intégration des écoles dans un réseau piloté par un collège. Jean-Michel Blanquer lui-même, dans son livre « L’école de demain », prend position en faveur des EPEP et de directeurs qui soient de véritables chefs d’établissement.

Un autre acteur n’a cessé de défendre l’idée de réduire fortement le nombre d’écoles et de mettre de vrais chefs d’établissement : la Cour des Comptes. Depuis 2010 elle a multiplié les recommandations en ce sens avec une grande constance. Ainsi en 2017, la Cour demandait :  » Dans le premier degré, associer les directeurs d’école à l’évaluation des enseignants par l’IEN ; donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité, dans certaines limites, de moduler la répartition annuelle des heures de service devant la classe en fonction des postes occupés et des besoins des élèves ».

Depuis 2017 les rapports se sont multipliés mais pas forcément en gardant l’idée d’EPEP. En août 2018, le rapport des députées Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac propose de créer un corps nouveau de directeurs d’école recrutés sur concours à qui seraient confiées des écoles de plus de 10 classes. Les autres seraient regroupées et confiées à la gestion des principaux de collège. En septembre 2018, c’est l’OCDE qui s’en mêle pour demander elle aussi un statut de directeur d’école , supérieur hiérarchique capable de gérer une école autonome. Puis en octobre 2018 c’est le rapport de Marie Blanche Mauhourat et Ariane Azéma qui invite à regrouper les écoles rurales et les collèges dans des « écoles du socle ».

Enfin la question est relancée par la loi Blanquer. Un amendement surprise de Mme Rilhac propose de confier la direction d’école à un personnel de direction sous autorité du principal de collège du secteur. Toutes les écoles seraient regroupées sous cette autorité en un seul établissement. L’amendement est combattu dans la rue par les enseignants. Les maires s’y opposent aussi. Finalement le ministre est obligé de retirer cet amendement de la loi Blanquer.

Le suicide de C Renon entraine l’ouverture d’un groupe de travail au ministère, d’une consultation des enseignants et d’une concertation syndicale. C’est au milieu de cette concertation que la proposition de loi Rilhac surgit avec un calendrier très rapide.

Une offensive ultra rapide pour imposer une autorité hiérarchique dans les écoles

Si le rapport Laborde Brisson a bien vu les difficultés et les attentes des directeurs, il n’est aps publié par hasard une semaine avant l’examen de la loi Rilhac. F Laborde et M Brisson disent qu’ils auraient préféré que la concertation avec les syndicats soit allée au bout. Mais de fait leur rapport soutient la loi Rilhac et étouffe la concertation.

Ce que F Fillon et L Chatel n’ont pas réussi à faire , leur enfant politique est en train de le réaliser avec le soutien de la majorité de l’Assemblée et du Sénat. Discutée en séance à l’Assemblée les 22 et 23 juin, présentée durant l’été et en plein état d’urgence sanitaire, la proposition de loi Rilhac ne devrait pas rencontrer de forte opposition au Sénat. Une nouvelle ère pourrait s’ouvrir pour les écoles dès la rentrée 2020.

François Jarraud

Le rapport Laborde Brisson

Leur précédent rapport sénatorial

La consultation après le suicide de C Renon

Blanquer veut changer le statut des directeurs (2018)

La loi Blanquer