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Enseigner l’oral, ce n’est pas une mince affaire vous diront les professeurs des écoles. D’autant plus lorsque le français n’est ni la langue maternelle ni la langue parlée dans la vie quotidienne par les enfants comme c’est le cas dans les établissements français à l’étranger. Natifs du pays, enfants d’expatriés, bien souvent les élèves de ces établissements manient avec dextérité plusieurs langues, passant de la langue maternelle, à l’anglais, au français… Pour autant, enseigner l’oral et ses subtilités, que l’on perçoit bien souvent implicitement, n’est pas gagner. C’est pourquoi Jérôme Boruszewski, enseignant en classe de CE2 au Lycée français international d’Amman en Jordanie (LFIA), s’est lancé dans un projet de réalisation de fictions radiophoniques pour travailler l’oral, la compréhension, l’expression, l’écoute et la confiance en soi. Un projet qui ravit ses élèves.

Jérôme est tout jeune dans le métier d’enseignant, cela fait trois ans qu’il a eu le concours de professeur des écoles. Sa carrière professionnelle, c’est dans le journalisme radiophonique qu’il l’a mené – fonction qu’il continue d’exercer en parallèle. « J’exerce le métier de correspondant à l’étranger depuis quatorze ans. J’ai quitté la France en 2007, j’ai alors couvert l’actualité au Cambodge pendant plus de cinq ans, puis en Birmanie et maintenant en Jordanie. J’ai découvert l’enseignement en donnant des formations à des adultes en écoles de journalisme. Et je me rends compte aujourd’hui que la radio est tout aussi enrichissante avec des petits de 9 ans ».

Des enfants polyglottes

Comme une grande majorité des lycées français à l’étranger (du réseau AEFE ou MLF), le Lycée français international d’Amman accueille enfants et adolescents, de la petite section de maternelle à la terminale, environ 750 pour celui-ci. Les 27 élèves de Jérôme sont tous d’horizons différents, les enfants français y sont minoritaires. « Ils viennent de Jordanie, du Liban, d’Italie, des Etats-Unis, de Russie ou encore du Royaume-Uni – et j’ai sans doute oublié quelques pays. Certains ont des parents eux-mêmes originaires de différents pays. Les enfants sont donc souvent polyglottes. Ils entretiennent cette ouverture aux langues étrangères en étudiant, dans notre école, l’arabe et l’anglais, cinq heures par semaine. J’entends différentes langues dans la cour de récréation. Je ne comprends pas toujours tout ce que disent les enfants mais je trouve cela amusant ».

Le français, même s’il est enseigné transversalement, reste donc pour la grande majorité, une langue étrangère. Un casse-tête pour les enseignants français qui ont pour habitude d’enseigner à des élèves dont la langue principale, la langue de socialisation – même lorsque ce n’est pas la langue maternelle – est le français. On parle bien souvent d’un bain d’immersion pour les primo arrivants et pour ceux dont les parents parlent une autre langue. Pour eux, il suffit de quelques mois, voire moins, pour qu’ils s’imprègnent de la langue. Challenge autrement compliqué lorsque l’on ne parle le français que lorsque l’on est en classe.

« La radio pouvait aider mes élèves »

Pour Jérôme, riche de sa double casquette et de son expertise radiophonique, utiliser le support radio était une évidence. « Lorsque j’ai pris en main cette classe de 27 élèves, cela est apparu comme une nécessité : les occasions de s’exprimer en français dans la classe et d’entendre d’autres voix que celle du maître ne sont finalement pas si fréquentes que cela dans un groupe aussi nombreux. Je sentais que la radio, parce qu’elle est intime, parce qu’elle permet de s’exprimer calmement loin du regard des autres, pouvait aider mes élèves ».

Jérôme se lance donc dans la réalisation de fictions radiophoniques courtes, de 6 à 8 minutes, qu’il a écrites, sur mesure, pour un public qu’il connaissait bien. Ses objectifs couvrent autant la maîtrise de la langue que la confiance en soi. « Je souhaitais travailler les inférences, développer les compétences d’écoute et de compréhension, et améliorer l’expression orale et la clarté des propos de mes élèves. J’ai très vite compris que la radio permettait à certains enfants de développer aussi leur confiance en eux. Certains élèves timides ont du mal à trouver leur place dans un groupe de 27 et ils se sentent plus à l’aise face à un ordinateur avec un micro accroché au tee-shirt que face à 26 camarades. C’est là que l’on se rend compte que l’environnement joue énormément dans la pratique et l’apprentissage de l’oral ».

Des kilomètres d’enregistrement

Pour réaliser ses fictions radiophoniques, Jérôme a pu compter sur ses proches mais aussi sur les lycéens de l’option théâtre du LFIA. Le travail d’écriture, d’enregistrement, de montage et de mixage a été très important mais s’est avéré largement payant. « Le résultat m’a comblé : les élèves ont tout de suite accroché et les petits CE2 avaient tous le doigt levé lorsque je choisissais ceux qui allaient s’isoler une vingtaine de minutes pour écouter les histoires et répondre à des questions préenregistrées. Les histoires, mystérieuses, fantastiques, très sonores, sont spécialement écrites pour un support sonore, elles ne peuvent pas se transcrire à l’écrit. J’ai enregistré toutes les réponses des enfants. J’ai emmagasiné des kilomètres et des kilomètres de travaux oraux. Je les écoutais le soir, j’enregistrais à nouveau des questions complémentaires, je corrigeais les travaux de la veille. Et j’ai rassemblé tout ce matériel sonore dans un documentaire intitulé Apprendre les yeux fermés et diffusé fin mai dans Le Labo sur Espace 2, une émission qui s’intéresse aux expériences radiophoniques ». Sa première fiction a beaucoup surpris ses élèves qui s’attendaient à de longs dialogues mais comme l’a si bien dit cette élève, c’est « une histoire qui ne parle pas beaucoup ». « Elle voulait dire par là que les dialogues étaient peu nombreux et que toute l’histoire reposait sur des bruits, des sons et sur les impressions qu’ils créent dans l’imaginaire des enfants. Je crois qu’ils n’avaient jamais entendu quelque chose de semblable ». Parents, enseignants et direction du lycée ont tout de suite soutenu le projet. A la diffusion du documentaire, beaucoup de parents ont envoyé de petits messages à Jérôme, expliquant que cette expérience originale avait aidé leurs enfants dans l’apprentissage de l’oral.

Lors du confinement, car comme presque sur tout le globe la Jordanie s’est aussi confinée, Jérôme en a profité pour écrire et enregistrer de nouvelles histoires. Et ce n’est que le début de l’aventure selon lui. « La radio offre de fantastiques possibilités pour travailler l’oral à l’école. Je suis avantagé car je travaille dans ce média depuis vingt ans et J’imagine qu’il n’est pas simple de se lancer pour les collègues qui ne maîtrisent pas les outils. Comme je suis passionné, je vais continuer l’expérience et proposer prochainement, en podcast professionnel, des ressources pédagogiques que je vais mettre au point afin que des collègues puissent les réutiliser dans leurs classes s’ils le souhaitent ».

Lilia Ben Hamouda

Si vous êtes tentés, Jérôme partage dès à présent ses fictions, pour cela il suffit de le contacter par mail, jerome.boruszewski@gmail.com.

Apprendre les yeux fermés sur RTS