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« Harakiri de la majorité sur sa propre loi »  » Cette loi sert-elle à quelque chose ? » « On nous a roulé dans la farine ! » A l’issue de la première séance de l’Assemblée nationale consacrée à la proposition de loi sur les directeurs d’école déposée par C Rilhac (LREM), le 24 juin, la loi a été adoptée mais vidée de ses principaux points. L’emploi fonctionnel de direction disparait. Et avec lui les décharges et rémunérations promises. Après une série d’escamotages sans précédent, tout est remis dans les mains du pouvoir réglementaire du ministre. JM Blanquer promet des textes réglementaires sur la fonction de directeur dans deux semaines avec application à la rentrée 2020.

Escamotages

On pourrait croire qu’une question comme celle des directeurs d’école pourrait faire l’objet de négociations avec la profession suivies d’un véritable débat aboutissant à une loi nette et transparente. Il n’en est rien. On aura vécu le 24 juin une suite de manœuvres avec comme seul objectif d’escamoter la négociation avec la profession et le débat parlementaire. Et finalement aboutir à imposer la toute puissance du ministre de l’éducation.

Le premier escamotage a commencé avec le dépôt de la proposition de loi Rilhac le 12 mai. Moins d’un an après l’échec de l’amendement Rilhac qui confiait les directions d’école au principal de collège et regroupait les écoles, la question réapparait en pleine crise sanitaire. L’amendement avait été rejeté sous la pression des maires et des enseignants. Le ministre a peut-être pensé que la situation lui permettait de faire passer la loi.

Le second escamotage est celui de la négociation avec les syndicats. Après le suicide de C Renon, le ministre a du accepter une négociation qui a commencé en janvier et s’est continuée en février avant d’être interrompue par le confinement. Une consultation ministérielle a largement donné tort à la création d’un statut et montré que les directeurs veulent surtout de l’aide administrative et des décharges. En accordant une priorité absolue à la proposition de loi Rilhac, comme si elle correspondait à une urgence, celle-ci passe au Parlement avant même que la troisième réunion de négociations ait lieu. La calendrier compte aussi : en faisant adopter la loi début juillet le ministre pense couper court à toute mobilisation.

Car l’éventuelle opposition syndicale obsède la majorité. Toute cette mécanique estivale le montre. Il y a le souvenir cuisant de la loi Blanquer. Il sera aussi beaucoup question des syndicats et des stylos rouges lors du débat du 24 juin. La majorité tente de minimiser le fait que tous les syndicats sauf un sont hostiles au statut hiérarchique de directeur. Au moins une députée LREM, Mme Bagarry, dira avoir été convaincue par les Stylos rouges.

Le troisième escamotage est vécu en direct par les députés le 24 juin. L’opposition se plaint de la façon dont a été préparé le travail de la commission juste avant la séance. Du coup il découvre en séance les amendements de C Rilhac qui déshabillent le texte de ses points principaux et rendent caducs leurs amendements.

L’emploi fonctionnel disparait au profit de la délégation de compétences

Un amendement de C Rilhac (234) supprime la définition de la direction comme « un emploi fonctionnel ». Le directeur reste un professeur des écoles nommé directeur. En apparence rien ne change. Si ce n’est qu’un autre amendement Rilhac (211) précise que le directeur « bénéficie d’une délégation de compétences de l’autorité académique pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige. Il n’exerce pas d’autorité hiérarchique sur les enseignants de son école ».

La loi abandonne donc l’idée d’emploi fonctionnel pour la remplacer par une délégation de compétences. Il y a quand même une contradiction dans les termes de l’article. Car le directeur a une délégation de compétences délivrée par l’inspecteur. Ce qui en fait de facto un supérieur hiérarchique. Cela veut dire que dans ces compétences il a la même autorité que l’inspecteur. Et la loi ne précise pas le contenu de la délégation. Il sera fixé par le ministre.

JM Blanquer s’est d’ailleurs exprimé en termes assez clairs sur la question d ‘autorité. « Il faut un ministre de l’éducation. Le ministre doit donner des consignes. Il est souhaitable qu’elles soient respectées ». Apparemment ce sera la tache du directeur. C Rilhac défend la rédaction de l’article 1 qui dit que le directeur « entérine les décisions prises » par le conseil d’école en expliquant « qu’une fois que le directeur entérine une décision personne ne peut s’y opposer ». En fait cela laisse un droit de véto au directeur. D’après l’article 2, « il participe à l’encadrement du système éducatif ».

Le régime des décharges retiré de la loi

Le deuxième abandon de C Rilhac n’est pas des moindres :il s’agit des décharges. L’article 2 imposait une décharge complète au directeur d’une école de 8 classes. La dgesco avait fait savoir que cela représnetait une charge budgétaire trop lourde.

C Rilhac abandonne complètement cet article. A la place la 1ère phrase de l’alinéa 7 de l’article 2 est remplacé par la phrase suivante : « Le directeur d’école peut bénéficier d’une décharge totale ou partielle d’enseignement. Cette décharge est déterminée en fonction du nombre de classes et des spécificités de l’école dont il assure la direction, dans des conditions fixées par décret ». Autrement dit la loi n’impose plus rien. C’est le ministre qui va décider du régime des décharges.

Que reste-il de matériellement positif pour les directeurs dans cette loi ? Le fait qu’ils bénéficient « d’un avancement accéléré au sein de leur corps dans des conditions fixées par décret ». Ils sont nommés sur une liste d’aptitude (PE ou instituteur ayant 3 ans d’ancienneté) avec obligation de formation (214 et 236). Quant à l’aide administrative elle est remise à la bonne volonté des communes.

L’idée du regroupement d’écoles sous un directeur commun n’a pas été validée dans la loi. Mais elle est revenue dans le débat par un amendement LREM. C’est sans doute ce qui motive Jean Lassalle, député Liberté et territoires du Béarn, à prendre à partie le ministre. Il montre comment sur le terrain la promesse Macron de ne pas fermer de classe rurale est contournée. « Les enseignants ne sont pas contents car vous faites passer la loi le 24 juin. Ils ne peuvent pas se défendre. La manière dont ils sont traités ne me convient pas. Ils ont besoin qu’on n’enlève pas de postes. Ils n’ont pas besoin d’être divisés ».

Que va-t-il se passer maintenant ?

Dans la nuit, la loi est adoptée par l’Assemblée nationale par 55 voix, 6 contre, 11 abstentions. F Reiss (LR) souligne « le manque de fair play » de la majorité qui a escamoté les débats et les amendements en sortant du chapeau des textes changeant tout et faisant tomber les amendements de l’opposition. L’opposition estime que la loi a été vidée de ses contenus ce qui explique la faiblesse des votes contre. « Cette loi a quoi sert-elle », dit M Larive (LFI). « On peut la résumer : à partir de maintenant tout sera comme avant ».

Ce n’est pourtant pas exactement cela qui se passe. Ce qui se passe c’est une victoire politique de JM Blanquer à quelques jours du remaniement. Par cette manœuvre, ce ministre qui a les professeurs contre lui va réussir à faire passer sa réforme des directions en évitant l’opposition politique et la mobilisation de la rue. Il obtient d’avoir toutes les cartes en main puisque la loi lui donne à traiter tous les points importants.

La loi ne modifie rien ? Elle donne au directeur une délégation d’autorité de l’IEN. Cela revient à lui donner une autorité hiérarchique dont le contenu sera bientôt annoncé par JM Blanquer.

JM Blanquer annonce des textes réglementaires pris dans deux semaines. « Nous n’allons pas diminuer le nombre des décharges on va plutôt les augmenter. Il n’y aura pas de remise en cause des décharges totales ». Mais il ajoute qu’il ne peut pas prendre d’engagement budgétaire pour 2021.

Par contre il insiste sur le fait que les changements d’indemnité et de décharge seront liés « à des critères qualitatifs » et pas seulement de seuils d’effectifs. Par exemple les directeurs pourraient se voir attribuer la gestion des AESH ou de programmes spéciaux pour les allophones. Autrement dit les avancées auront lieu en fonction de missions confiées aux directeurs, probablement un renforcement du contrôle pédagogique. C’est une reprise en mains des écoles qui s’annonce dans le silence des vacances.

Laissons JM BLanquer conclure avec ce pied de nez à l’opposition. « Au moins « un texte sans substance » vous ne pourrez pas le décrire comme dangereux dans les temps futurs… Il nous ouvre la voie pour moderniser les choses ».

François Jarraud

Le dossier législatif

La proposition de loi initiale

Le texte adopté en commission