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Pour un enfant et a fortiori un élève, c’est souvent être cadré ou même recadré par le professeur ou un parent qui lui rappelle quelles règles doivent être respectées. Le cadre se veut alors incarné par un règlement, autant de marches à suivre qui, si elles sont garanties et décidées pour la sécurité de toutes et tous, englobent ce que la discipline positive nomme le « non-négociable » (Martin et Sabaté, 2018). Cet ensemble de lois fait référence à un précédent que certains appellent peut-être parfois un peu facilement l’« autorité ». À entendre le bruit ambiant et renouvelé régulièrement au gré de l’actualité et des paroles politiques, d’un côté certains pensent qu’elle serait trop présente (trop de restrictions) alors que d’autres s’évertuent à réclamer son rétablissement (trop de débordements).

On peut admettre avec Revault d’Allones (2010) que le temps où l’autorité et donc le cadre naissaient de ce qui précédait est maintenant difficile à entrevoir, brouillé de plus en plus par la peur à la fois de ce qui est et à la fois de ce qui sera. On peut néanmoins se tourner avec elle aussi, et avec d’autres, vers une autorité autant incarnée et possédée, qu’à construire avec les autres (les élèves, les parents, etc.). En cela, tous les travaux de Robbes (2016), de ses confrères et consoeurs, nous éclairent en donnant à penser une « autorité éducative ». Ils nous permettent de croire et de vivre dans les faits que peut se constituer un cadre fait de liens laborieusement noués entre l’autre et nous. Les éléments extérieurs qui visent à maintenir le cadre (règlement, loi, etc.) n’ont alors de sens et de permanence que parce qu’ils concourent à faire partager des normes qui permettent de créer le groupe. Ils sécurisent l’individu (élèves ou professeurs) dans la réassurance immanente que ce cadre est partagé, qu’il se diffuse et qu’il est donc en mouvement.

Le cadre est à ce point subtil qu’il ne doit ni se scléroser, ni disparaître. Il transforme le triangle pédagogique (professeur, élève, savoir) en cercle au contour poreux qui permet la respiration et l’adaptation. En effet, tout le monde (parent, direction, collègues, vie personnelle, etc.) peut y avoir sa part du moment et c’est la condition sine qua non qu’une intervention malencontreuse ne casse pas le lien qui s’est créé, construit pas à pas. Que le vide de la déconsidération, de la violence, d’une autorité faite d’emprise et de dépendance ne s’y engouffrent pas. Au contraire, qu’on y entre à son tour avec bienveillance.

Grand mot prononcé bien souvent mais qui peut continuer de nous faire réfléchir sur la manière d’entourer l’autre avec efficacité : la « bienveillance ». Je la comprends comme Prairat (2017), c’est-à-dire comme la vertu pédagogique de « veiller bien à ». Celui ou celle qui fait preuve de bienveillance n’est donc pas seulement gentil, il tente d’avoir un regard pour chacun. Ce lien-là est essentiel, c’est le cadre fondateur qui se construit dès les premières secondes de l’existence entre une mère, un père et son enfant (Moll, 2003).

Même à travers le masque aujourd’hui, le regard de certains de nos élèves, certains de nos collègues ne trompent pas. J’ai le sentiment qu’il exprime une certaine angoisse de la perte : de soi-même mais de l’autre aussi. J’ai l’impression aussi heureusement que l’école contribue à rassurer, à sécuriser. Elle fait alors bien plus que recadrer.

Nicolas Pécheux

Professeur de français au collège Beau Soleil à Chelles (77) et formateur PAF

Ouvrages cités :

Martin, A. et Sabaté, B. (2018). La discipline positive. Dans Debarbieux, E. (Dir). L’impasse de la punition à l’école. 65-103. Malakoff, France : Armand Colin.

Moll, J. (2003). Des effets du regard et de la parole. Dans Enfances et Psys, 50-56. DOI : 10.3917/ep.024.0050

Prairat, E. (2017). Éduquer avec tact. Paris, France : ESF, Pédagogies, Questions vives.

Revault d’Allones, M. (2010). L’autorité des Modernes. Dans Prairat, E. (Dir). L’autorité éducative : déclin, érosion ou métamorphose. 19-38. Nancy, France : Presses Universitaires de Nancy.

Robbes, B. (2016). L’autorité enseignante : Approche clinique. Nîmes, France : Champ social.