Print Friendly, PDF & Email

La place des élèves à besoins particuliers reste toujours à spécifier dans les statistiques du décrochage. Et pourtant, les enseignants doivent faire avec, dans le quotidien de la classe. La réflexion sur le jeu dans les apprentissages montre son intérêt dans cette lutte, même en BTS, comme nous l’explique Roselyne Griffon, professeure d’ingénierie informatique en lycée et professeure ressource dans la lutte contre le décrochage scolaire.

Dans une recherche sur les dispositifs à destination des élèves à besoins particuliers, vous écrivez que l’accompagnement individuel de ces élèves est complexe. Pouvez-vous préciser cette complexité ? Vous y faites face grâce au jeu, même en BTS.

Oui, en effet, comment un enseignant qui a entre 30 à 35 élèves dans sa classe peut-il faire de la pédagogie différenciée en tenant compte de toutes les particularités cognitives de ses élèves sans outil adéquat ? Les enseignants du 2nd degré ont plusieurs classes et la quantité de travail pour parvenir à un enseignement qui colle parfaitement à chaque élève est impossible. Aujourd’hui, dans les classes ordinaires, vous pouvez avoir jusqu’à 1/3 des élèves qui ont des particularités cognitives handicapantes pour les apprentissages. Seuls les petits effectifs ou la pédagogie de projet avec des attendus adaptés à chaque élève peut leur permettre de prendre en compte la disparité entre élèves.

Lors des activités pratiques dans ma discipline d’Ingénierie Informatique en BTS, nous sommes 2 enseignants en parallèle dans une classe de 27. Nous utilisons une pédagogie de projet fondée sur les jeux de rôles (ou simulations). Nous présentons aux étudiants une dizaine de projets technologiques différents. Ils en choisissent 1 pour 3 étudiants, avec une feuille de route et des objectifs à atteindre sur une durée limitée. Nous jouons le rôle de clients qui font appel à leurs services pour répondre à un besoin sur le plan technologique (créer une alarme, réaliser un bracelet électronique prenant les constantes de santé..). Un autre groupe de la classe récupère les documents et doit réaliser un prototype du produit. Nous simulons ainsi les différentes phases et les différents rôles joués lors de la réalisation d’un produit dans une entreprise réelle. Cela permet de balayer l’ensemble des compétences du BTS préparé mais aussi d’apporter à chaque étudiant les compétences nécessaires. Nous apportons les ressources nécessaires à chacun au fur à mesure des besoins, de manière ludique. Peu importe que l’élève soit haut potentiel, Asperger ou ait un trouble dys, nous identifions quels élèves doivent être plus aidés mais aussi quels élèves peuvent être poussés plus loin dans la démarche.

Quelles prises en charge du haut potentiel (HP) peuvent alors être envisagées ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, à l’adolescence les élèves à haut potentiel ne doivent pas être traités différemment des autres élèves pour qu’ils puissent se sentir à leur place dans la classe parmi leurs pairs. On ne peut pas dire non plus qu’ils sont plus décrocheurs que les autres puisqu’aucune étude sérieuse n’a été effectuée pour le dénombrer. Dans le cadre de ma mission d’établissement de professeur ressource pour élèves à besoins éducatifs particuliers, la plupart des élèves HP que j’ai pu interviewer lorsqu’il y avait une prise en charge à faire, de même que ceux de ma recherche, souhaitaient que les enseignants puissent comprendre leur fonctionnement pour les aider. Cependant, ils ne voulaient pas être traités différemment des autres.

Les nourrir, nourrir encore, mais pas avec n’importe quoi… Comme la plupart des élèves, ils ont besoin que l’on donne du sens à ce qu’ils apprennent. Il faut susciter leur intérêt en les poussant dans leurs retranchements mais en gardant leur confiance. Paradoxalement, il peuvent avoir des fragilités dans certains apprentissages. Par exemple, ils connaissent la réponse à la question posée mais n’utilisent pas la méthode de l’enseignant. Lorsqu’on leur impose de l’utiliser, il se joue parfois des conflits internes avec pour certains des frustrations. L’enseignant et les adultes qu’ils côtoient sont des modèles pour la plupart d’entre eux. Pour certains de ces élèves, hypersensibles, les émotions peuvent être difficiles à gérer, leur apporter un cadre bienveillant est très important pour les rassurer et leur permettre de canaliser le trop plein d’émotions. Ce que peut apporter le jeu (de rôle, vidéo..).

La crise sanitaire met à l’épreuve ces cadres bienveillants, restent-ils efficaces ?

L’ administrateur réseau dans mon établissement nous a permis de réaliser des visio-conférences et d’avoir un accès virtuel aux ordinateurs du lycée et aux logiciels professionnels qui y étaient installés. Pour mes étudiants de BTS, j’ai ainsi mis en place de petites vidéo d’explication pour leur permettre de programmer à distance. Ils avaient besoin de temps, de répétitions et de modèles pour effectuer les activités, mais ils y sont parvenus, ils étaient très heureux. Mes élèves de 2nde, quant à eux, travaillaient sur la création d’un jeu vidéo. Il s’agissait d’un projet coordonné avec une association franco-québécoise . Cette association, avec des projets ludiques, aide les établissements à lutter contre le décrochage scolaire. Leur projet « création de jeux vidéo » a pu être mené durant le confinement. Pour ceux qui ont eu les moyens techniques de poursuivre l’activité, ils ont eu des rendez-vous en visio-conférence avec la coordonnatrice de l’association et moi-même toutes les semaines durant cette période. Le travail demandé devait s’effectuer par groupe de 5 : Scénariste, Sound Designer, Graphiste, Programmeur, Game Designer. En plus du jeu, ils devaient réaliser une jaquette, une affiche, une présentation publicitaire du jeu et une présentation de l’équipe. Les élèves étaient très assidus. Certains ont dépassé les attentes de l’activité et nous avons eu de belles productions. Un élève a même réalisé tout seul un autre jeu vidéo de plus. Nous avons nourri sa soif d’apprendre et ses compétences en programmation ont largement dépassé les attendus du projet. Il a aussi montré des aptitudes dans le montage vidéo et le dessin. Ils ont été récompensés par le premier prix, celui du jury, lors d’un colloque virtuel à la fin de l’année .

Quelle suite cette année pour ce projet de création de Jeux vidéo pour l’apprentissage?

Nous reprenons l’activité de « création de jeu vidéo » et ajoutons un autre projet avec l’association, sur « l’intelligence artificielle ». Pour que tous profitent des apprentissages, il faudrait qu’ils soient adaptés à chacun. La pédagogie de projet, bien que difficile à mettre en place, avec une transversalité des enseignements, est efficiente car on connait bien les besoins de l’élève à accompagner. Savoir interroger ses besoins, être à l’écoute de l’élève ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir proposer des solutions d’accompagnement et dépasser le cadre pédagogique pour trouver la meilleure piste tout en sachant que ce n’est pas définitif. Avoir un recueil de solutions adaptées aussi bien à l’apprenant qu’aux accompagnants et à chaque besoin est judicieux. Nous travaillons à construire « cette boite à outils » à partir des expérimentations menées cette année.

Propos recueillis par Line Numa-Bocage,

Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université.

Mémoire de Roselyne Griffon (2020), L’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers dans la lutte contre le décrochage scolaire. Master 2 MEEF Mention Pratiques et Ingénierie de Formation, INSPé, Versailles.