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Lundi 2 novembre, c’était la rentrée pour quelques six millions d’écoliers. Une rentrée pas comme les autres. Entre re-confinement, masques à porter dès six ans, Vigipirate relevé au niveau vigilance attentat et l’hommage rendu à Samuel Paty, la journée n’a pas été de tout repos pour les enseignants et enseignantes. Et pourtant, comme d’habitude, ils ont su gérer. Ils ont su trouver les mots pour parler de l’horreur, pour rassurer élèves et parents mais ils ont aussi et surtout su faire en sorte que l’école reste l’école. Un lieu apaisé où l’on apprend, on rit, on discute et on chante. Naouel Douma et Julia Combe nous racontent leur journée.

« Nous sommes chacun unique et beau mais ensemble nous sommes un chef d’œuvre »

Après douze ans d’enseignement en Seine-Saint-Denis, Naouel Douma est de retour sur sa terre natale : Montpellier. Enseignante à l’école élémentaire de quatorze classes Alain Savary, elle est en charge d’une classe de CP à effectif réduit, un CP dédoublé du fait du classement de l’école en REP. Et comme pour beaucoup d’enseignants, même si elle a connu les attentats contre Charlie Hebdo et ceux du 13 novembre, elle ne s’attendait pas à un jour entendre un élève parler de la décapitation d’un collègue. « Tous les matins, on s’installe en coin regroupement – même si avec le Covid c’est un peu compliqué. J’ai demandé aux élèves s’ils avaient passé de bonnes vacances et s’ils voulaient que l’on discute d’un point particulier. Et là, j’ai un élève qui m’a dit qu’un monsieur avait été décapité. Pendant quelques secondes j’ai été décontenancée, mais les autres élèves n’ont pas réagi. Alors j’ai repris en expliquant qu’en effet un maître avait été tué pour avoir enseigner la liberté d’expression ». Une entrée en matière qui a permis à Naouel d’introduire le programme de la journée. Une journée un peu spéciale où les élèves ont travaillé sur ce que signifie la liberté d’expression.

Parler liberté d’expression à des élèves de six ans n’est pas simple, alors Naouel a beaucoup cherché dans les différentes ressources qui ont proliféré sur les réseaux sociaux mais aussi sur des sites plus institutionnels tel qu’Eduscol. C’est finalement à partir d’une image où deux éléphants ne sont pas d’accord que la discussion a été lancée. Pour l’un des éléphanteaux la couleur affichée est du vert, pour l’autre c’est du bleu. Les élèves ont été invités à réfléchir à deux postures : quand on est en désaccord, on se bat ou on discute en argumentant. « Les élèves ont tous participés, ils étaient bien évidemment contre l’idée de se battre. On en a tous conclu ensemble, qu’on pouvait ne pas être d’accord, qu’on pouvait ne pas changer d’avis et que ce n’était pas grave ». S’en est suivi un travail sur la colombe de la liberté de Picasso qui symbolise la paix et qu’ils ont tous ensemble décoré. Cela a été aussi l’occasion pour Naouel de rediscuter d’une production qu’ils avaient élaborée en début d’année : l’arbre de la classe. Un arbre ou chaque élève a collé l’empreinte de sa main qu’il avait au préalable décoré. Un arbre qui représente tous les élèves et leur maîtresse et sous lequel est écrit « nous sommes chacun unique et beau mais ensemble nous sommes un chef d’œuvre ». Une maxime qui met du baume au cœur en ces temps compliqués.

Une rentrée sans directrice et avec deux adultes en moins

À l’école maternelle Simon Bolivar où enseigne Julia Combes, la principale préoccupation était d’ordre fonctionnel. En effet, dans cette école de cinq classes du dix-neuvième arrondissement parisien, la rentrée s’est déroulée sans directrice, avec une enseignante et deux Atsem en moins. Toutes atteintes du Covid depuis plusieurs semaines Soit quatre adultes en moins sur les dix habituels. « Cette rentrée a de loin été une des plus difficile que j’ai eu à vivre. D’un point de vue organisationnel mais aussi parce qu’on a eu du mal à se projeter. Ordres et contrordres se sont succédé, c’était difficile de suivre ». Alors comme bon nombre d’enseignants et enseignantes, la dernière semaine de vacances n’en a pas vraiment été une. « On a été en contact permanent dès le jeudi précédent la rentrée. Visio, groupe WhatsApp… on a échangé beaucoup. La directrice qui est malade et épuisée a fait le tri et relayé toutes les infos qu’elle recevait. En son absence, tout l’organisation nous incombe. Nous n’étions que quatre à reprendre puisque l’une des collègues est elle aussi atteinte du Covid. Nous avons sollicité l’IEN pour savoir si elle serait remplacée mais jusqu’à lundi 9h20, nous n’avions reçu aucune réponse ». Lundi à 8h20, les quatre enseignantes se sont donc retrouvées, seules, à organiser l’accueil de leurs élèves mais aussi ceux de leur collègue absente qui ont été répartis dans toutes les classes. Autant dire que le non-brassage était impossible à mettre en œuvre. « Mais on a eu de la chance, à 9h20, une collègue remplaçante est arrivée ». Grâce à la mobilisation de l’équipe, les 120 élèves ont tout de même pu retrouver leur école et leurs camarades.

Plan de continuité pédagogique ou poudre de perlimpinpin ?

Quand on interroge Julia sur le nouveau protocole sanitaire, elle ne voit pas grande différence. « Quinze jours après la rentrée de septembre, on a une classe qui a fermé à cause du Covid. Nous avions donc déjà mis en place une rentrée échelonnée par classe. Les parents laissent leur enfant à leur porte où l’enseignante les accueille ». La seule différence qu’elle note, c’est le renforcement du nettoyage, « mais impossible à mettre en place puisqu’il n’y a pas de moyens humains supplémentaires pour l’appliquer… »

Le regret de Julia ? Le temps que ses collègues et elle ont été obligées de consacrer au plan de continuité pédagogique construit en septembre. « On n’était pas vraiment pour. Le plan prévoyait que tous les élèves seraient accueillis mais dans des groupes, avec des animateurs. On ne peut pas faire cela et dire que c’est l’école, on dénaturait la fonction même de notre institution. Et puis, soyons réalistes. Aujourd’hui quand un agent de la ville est absent, il est rarement remplacé. Alors multiplié par le nombre d’école parisienne, c’est juste impossible. C’était encore de la com. Le Ministre voulait nous faire croire que nous participions à l’élaboration d’un plan B et montrer aux français que nous étions prêts. Ce qui est faux, la preuve aujourd’hui ».

Des graines de vivre ensemble

Mais Julia et ses collègues ont eu aussi à gérer les inquiétudes des parents concernant l’hommage. « Beaucoup avait peur que l’on parle de décapitation et qu’on impose une minute de silence à leurs enfants. Sur l’hommage, la communication était très floue pour la maternelle. Alors qu’il était indiqué partout qu’il y aurait un hommage dans toutes les écoles, il n’y avait rien de prévu pour les maternelles. La seule consigne était adressée aux enseignants de GS qui devaient expliquer le dérouler de la matinée et qu’une minute de silence était organisée dans toutes les écoles en hommage à Samuel Paty. On a refusé de faire cela, comment parler de l’hommage sans évoquer les circonstances de l’attentat. On a préféré toutes lire un album sur le thème de la liberté, la fraternité… ». Avec ses élèves de PS/MS, Julia est elle aussi partie de l’affiche des éléphants qui a pas mal circulé sur les réseaux sociaux. Elle a ensuite initié une discussion autour du rôle de l’école. « Je leur ai demandé à quoi elle servait, en quoi nous, maîtresses, nous étions utiles. On a eu de belles réponses comme l’école ca sert à grandir, à apprendre, à jouer avec d’autres gentiment, à apprendre à parler et aussi à se respecter… » Autant de belles petites graines plantées dès le plus jeune pour un meilleur vivre ensemble.

Lilia Ben Hamouda