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Quelle conclusion tirer des 3 journées de conférences plénières de la conférence de comparaisons internationales sur la formation des enseignants organisée par le Cnesco ? La dernière journée a présenté des exemples de formation continue dans 4 pays occidentaux avec un controle plus ou moins important des autorités éducatives. Ainsi cette 3ème journée se clôt sur la même question sous jacente aux deux premières. La formation des enseignants porte une définition du métier et de son organisation. Le développement professionnel n’est jamais neutre mais porté par une idéologie et des pouvoirs qui peuvent s’imposer aux enseignants ou en découler. La formation reflète une sociologie et une politique de l’Ecole.

Qui décide de la formation ?

Comment concevoir une politique de formation continue des enseignants ? La journée du 18 novembre a été marquée par la présentation de 4 exemples de formation continue dans 4 pays occidentaux. Karin Vogt a montré comment la formation des enseignants était définie dans l’université d’Heidelberg. La définition de la formation relève d’échanges entre les choix des experts et une consultation d’enseignants informateurs et d’étudiants. Le format est choisi en fonction des possibilités des formés. Il y a donc un équilibre à trouver entre les experts et les étudiants.

Kay Livingston (université de Glasgow) a présenté la conception très intéressante de la formation continue des enseignants en Ecosse. L’institution impose des compétences communes à tous les enseignants. Mais la formation continue est vécue comme une recherche. L’objectif c’est de mettre les enseignants en situation d’enquêter sur leurs difficultés en leur offrant un soutien scientifique. Ils réalisent une recherche savante et en même temps pratique, engageant aussi les élèves.

Formation numérique et confinement en Finlande

Hannele Niemi (université d’Helsinki) montre comment le numérique participe à la formation des enseignants en Finlande. L epays a relevé constamment les compétences numériques des enseignants finlandais et exigé d’eux une formation à l’enseignement à distance. Le résultat s’est vu lors du confinement. Un tiers des élèves ont travaillé 2 à 3 heures chaque jour durant le confinement, un tiers 3 à 5 heures et le dernier tiers davantage. Les élèves ont reçu, pour 90% d’entre eux, des plans de travail et ont participé à des visioconférence. Mais des limites sont aussi apparues : augmentation des écarts de niveau des élèves, mise en évidence des écarts de compétences numériques chez les enseignants. La question du maintien de la motivation des élèves s’est aussi posée.

Claude Saint Cyr a montré au Québec un exemple de formation continue collaborative, impulsée grace aux chefs d’établissement, mais restée libre. Cette initiative privée dure depuis 7 ans et met en place de communautés apprenantes dans les établissements qui sont en réseau.

Des formations collaboratives mais autoritaires

En concluant la journée, Olivier Maulini, qui copréside avec Régis Malet la conférence, souligne que ces exemples cherchent un compromis entre une participation des enseignants à leur formation et un monitorage autoritaire. « En France la question de savoir quel chercheur travaille avec les professeurs et lesquels travaillent avec le ministre et ses services n’est pas anodine », dit-il. « La recherche ne joue pas le même rôle ».

Pour lui ce qui se développe en France c’est « une analyse plus ou moins collaborative du travail qui ancre le développement professionnel dans le travail ordinaire des enseignants ce qui ne veut pas dire que les enseignants soient toujours volontaires ». L’allusion à l’organisation du plan français et du plan maths avec ses groupes collaboratifs imposés et dirigés par en haut est assez claire. En France on rend le collaboratif obligatoire et sous controle hiérarchique. « Je m’interroge sur la façon d’encourager l’engagement des professionnels dans le développement professionnel », ajoute O Maulini.

Régis Malet s’est positionné sur la même question. « Tous nos systèmes éducatifs ne sont pas également équipés pour le développement professionnel participatif. Tous n’ont pas les mêmes moyens. Interroger la formation continue des enseignants c’est questionner le système éducatif. Pour la France c’est questionner le modèle méritocratique qui est moins une boussole qu’une ancre ».

Comprendre ce qui se joue avec le Grenelle

La dernière journée de la conférence de comparaisons internationales nous ramène aux interrogations de la première journée. Celle-ci demandait si la formation devait satisfaire la hiérarchie ou le professeur. Et M Fullan montrait la mise en place d’un modèle managerial, avec l’arrivée au pouvoir des libéraux,, appuyé par des tests, hyper piloté par la hiérarchie épaulée par un ordre professionnel crée pour mettre au pas les syndicats. Sous prétexte d’efficacité c’est toute une évolution du métier qui est enclanchée avec des enseignants chargés de nombreuses nouvelles missions et enfermés dans un cadre idéologique très fort. Le lien entre une famille politique et cette « reculturation » des enseignants était parfaitement assumé.

La deuxième journée a montré ce modèle fonctionner encore mieux en Extrême Orient. A Singapour les enseignants travaillent sous le regard constant de collègues plus anciens et montent en grade en suivant des formations qui renforcent l’idéologie mise en place. On comprend mieux le soutien des conservateurs français à la « méthode de Singapour » : elle porte cette organisation sociale pour être efficace.

En même temps les deux journées ont montré des exemples contraires. Au Québec , face à l’Ontario, c’est une autre logique qui anime la formation des enseignants qui est beaucoup plus collaborative. Face aSingapour, les Lesson Studies japonaises marient une formation totalement collaborative et dégagée des contraintes hiérarchiques et un controle social fort. En Estonie on a vu une tentative d’imposer des référentiels et une nouvelle conception du métier, portée par un ordre professionnel, mais avec un syndicat qui a su résister et réduire à pas grand chose les référentiels.

Alors que JM BLanquer est en train de réformer la formation des enseignants et qu’il annonce dans la foulée du Grenelle un nouveau métier enseignant, cette conférence du Cnesco permet de mieux comprendre ce qui est en jeu. Sous couvert d’efficacité (avec recours à des tests conçus pour appuyer l’évolution), c’est toute une nouvelle conception du métier qui est mise en place avec ces formations initiales et continue. Elle peut séduire de jeunes enseignants rassurés par l’encadrement fort et l’apport de démarches prescriptives. Mais ce modèle porte une transformation du métier enseignant, de l’artisan au technicien suivant au protocole. Elle évacue ce qui est la mission première de ce métier : parce que la liberté pédagogique exerce la responsabilité de l’enseignant elle sert la construction de celle de l’élève.

Ces trois journées de conférence posent à leur façon la question des finalités des systèmes éducatifs et derrière du type de société que l’Ecole contribue à construire. Elle nous aide à voir comment la formation continue qui se met en place découle de modèles libéraux américains , dont l’efficacité chiffrée est fortement mise en doute, et dont les effets sur les enseignants sont délétères.

François Jarraud

La conférence

La journée du 16

La journée du 17

Sur le Grenelle et le nouveau métier