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Pour Marie-Pierre Bidal-Loton, psychologue clinicienne, enseignante, docteure en Sciences de l’Education, le bien-être à l’école est indissociable de la bientraitance pédagogique. Bien plus, cette dernière est un moyen de « panser » les difficultés des enseignants comme des élèves, surtout en cette période de tensions extrêmes à l’école.

Vous venez de soutenir une thèse de doctorat qui met en avant le bien-être et la bientraitance pédagogique à l’école. Pouvez-vous nous la présenter ?

Il s’agit d’une thèse qui retrace plus de cinq ans d’un travail de recherche dont le point de départ était l’état de souffrance psychique des élèves. Ce travail en sciences de l’éducation est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre chercheurs, professeurs et acteurs de terrain (enseignants et soignants). Il est, au plan éthique, le témoignage d’une philosophie du partage des savoirs théoriques et savoir-faire pratiques validant une vision holistique des besoins pédagogiques spécifiques de chacun. Il est aussi, au plan scientifique, le compte-rendu d’une recherche qui démontre l’efficacité d’une démarche bientraitante. Il s’agit d’une disposition humaine d’accueil actif des besoins spécifiques de chaque enfant, en matière d’apprentissage, afin de permettre un ajustement des propositions de travail. Cette expérimentation, par ses racines et sa légitimité scientifique, permet aujourd’hui au sein de l’école française de repenser l’accueil des élèves sous l’angle de la bientraitance pédagogique, dans le respect de leur singularité avec le soutènement des textes législatifs certes existants mais pour lesquels il manque une réorganisation sous forme de prescriptions humaines et professionnelles, une charte et une structuration pragmatique.

En cette période de crise sanitaire, les revendications des enseignants traduisent plutôt un mal-être scolaire. Est-il alors possible de penser le bien-être et la bientraitance à l’école ?

C’est très certainement parce que le contexte du travail d’enseignement actuel et les conditions d’exercice atteignent des sommets d’inconfort psychique que la question du bien-être se pose comme une solution, une sortie de secours. C’est certainement parce que, pour légion d’enseignants, cela semble impossible de penser le bien-être à l’école qu’ils pansent leurs difficiles conditions par la plainte et le décrochage : l’absentéisme pour maladie, et les démissions sont l’expression symptomatique de leur mal-être. Pourtant le bien-être, alternative à la maltraitance agie comme subie, est véritablement un possible cheminement vers un meilleur confort de travail dans l’école d’aujourd’hui. Si les enfants se sentent bien-traités à l’école et humainement respectés dans leurs différences (non pas stigmatisés, mais simplement reconnus dans ce qu’ils sont…), ils seront davantage en capacité de développer une attitude civique, bienveillante et respectueuse donc bénéfique pour tous. L’école doit offrir un encadrement sécure, c’est-à-dire un relationnel aux adultes fiable, bienveillant et une lisibilité suffisante des règles de fonctionnement. Ce cadre est la condition minimale du développement de la personne et ce n’est dangereusement pas le cas dans de nombreux contextes scolaires où la dignité humaine est écorchée laissant enfants comme enseignants à vif c’est-à-dire défensifs-agressifs et surtout vulnérables. Il y a urgence à penser l’école sur un plan psychoaffectif. Dans ma thèse, par l’utilisation d’une échelle d’évaluation du vécu subjectif, il a pu être établi un état des lieux de l’indigence de confort d’apprentissage. Mon étude, à l’origine de l’expérimentation d’un dispositif bientraitant, porte exclusivement sur le vécu en situation de classe. Pour mettre en place cette bientraitance pédagogique, productrice d’épanouissement personnel, il est indispensable de repenser les modalités d’accueil (encadrement sécure).

Une Charte de bientraitance Scolaire a été produite. Elle définit les bons gestes et précise les caractéristiques relationnelles bienveillantes capables de favoriser le lien de confiance interpersonnel, la récipro-régulation des besoins et des attentes, la compréhension réciproque et l’ajustement pédagogique. J’ai proposé et expérimenté cette charte de bientraitance dans deux contextes : avec des élèves à Besoins Educatifs Particuliers et avec une classe de cycle 3 ordinaire. Dans les deux cas, le niveau global de bien-être s’est vu augmenté ; et surtout les indicateurs de souffrance scolaire ont significativement diminué. De surcroît, ce vécu amélioré des élèves n’a aucunement sacrifié celui des enseignants bien au contraire. En charge d’être attentifs aux besoins des élèves en veillant à leurs bonnes conditions d’apprentissage selon des préconisations d’accompagnement spécifiques de la charte de bientraitance scolaire, les enseignants se sont vus eux-mêmes portés par la dimension humaine et bientraitante du projet et se sont sentis grandir avec lui. Ils étaient évidemment guidés dans cette expérimentation et étayés par un accompagnement, la supervision des pratiques. C’est cette organisation enveloppante et soutenante d’accompagnement de la pratique professionnelle qui permet la mise en place effective et réussie d’un accueil bientraitant pour les élèves et simultanément pour les enseignants. En effet, la bientraitance ne peut se mettre en œuvre que dans un contexte humain favorable à cette posture attentive, réceptive, compréhensive. Cette disposition personnelle/professionnelle particulière nécessite elle-même d’être bien-traitée. Il s’agit d’une part de guider l’enseignant dans l’accompagnement des élèves et d’autre part de cadrer/sécuriser l’enseignant pris dans un déplacement de sa pratique pédagogique vers davantage d’ajustement aux élèves. Cette action d’accompagnement de proximité des enseignants gagnerait à être mise en œuvre au sein de l’Education Nationale.

Cela nécessite également une bonne identification des modalités psycho-cognitives propres à chaque apprenant ; considérer le point de vue de l’élève et donc se décentrer de ses propres attentes pédagogiques (alimentées par ses désirs personnels, aspirations professionnelles et commandes institutionnelles). Cela permet en retour à l’élève de répondre de façon idoine aux attentes pédagogiques, valorisant ainsi ce dernier dans sa production scolaire mais également l’enseignant dans sa capacité à bien cibler son enseignement. Le succès de l’un est interdépendant de celui de l’autre (Habib & Bidal, 2017).

Pourquoi étudier une telle notion ?

Produire du bien-être chez les élèves génère en miroir du meilleur être chez leurs enseignants. J’espère promouvoir cette cruciale notion de bientraitance-pédagogique qui, issue de l’univers de la petite-enfance, a été récemment utilisée par la haute autorité de santé pour modéliser la relation d’accompagnement soignant-soigné. La notion de bientraitance est conceptualisée en l’associant au monde scolaire avec non seulement la dimension pédagogique mais également celle psychologique inhérente à toute dynamique relationnelle. Cette inclinaison attentive de l’enseignant qui prend connaissance auprès de l’élève de ses besoins permet une contractualisation de l’activité scolaire au sein de la dyade enseignant-apprenant avec une qualité relationnelle de confiance interpersonnelle.

Propos recueillis par Line Numa-Bocage

Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université

Bidal, M.-P. (2020). La bientraitance pédagogique, une relation de confiance partagée, une attention ajustée.