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La mixité n’est pas apparue d’un coup dans le système éducatif. A coup de dérogations et de circulaires, elle s’est introduite peu à peu dans les établissements de garçons. C’est cette histoire que Geneviève Pezeu, agrégée d’histoire et présidente de l’Association nationale des études féministes (ANEF), révèle dans un livre (Des filles chez les garçons, Vendémiaire). Elle montre comment les filles s’invitent dans les établissements masculins, les seuls à donner un enseignement ouvrant les portes de l’université. Ce ne sont ni les mouvements pédagogiques ni le mouvement féministe qui ont permis la mixité. Mais bien une évolution graduelle des mentalités qui a fait que la mixité existait avant la mixité. Geneviève Pezeu restitue cette histoire dans cet entretien.

Votre livre montre qu’il y a eu une mixité de l’Ecole en France bien avant les décrets Haby de 1976. Sous quelles formes ?

La loi a entériné une situation de fait qui s’est organisée très progressivement. Dès la sortie de la première guerre mondiale un certain nombre de familles désirent que leurs filles puissent préparer le bac qui n’est pas encore enseigner dans les établissements de jeunes filles. Même quand la loi Bérard en 1924 donne la possibilité à ces établissements de le préparer, cela reste rare. Il y a donc des dérogations qui sont données pour que des filles puissent suivre les cours des garçons. Puis des circulaires qui autorisent sous conditions des jeunes filles en première et terminale. Et à partir de 1926 une circulaire qui permet aux collèges et aux classes de premier cycle des lycées d’ouvrir leurs portes aux filles.

Qui sont ces filles qui osent aller chez les garçons ?

Ce sont des jeunes filles de la bourgeoisie moyenne, enfants d’enseignants, de professions libérales, de commerçants. Souvent j’observe que ce sont des filles uniques ou de familles qui n’ont que des filles. Après la seconde guerre mondiale, ce mouvement va s’accélérer. Les nouveaux lycées qui sont construits sont prévus pour les deux sexes. A partir du décret Berthouin de 1959 tous les nouveaux lycées sont mixtes.

Pourquoi la société accepte-elle ce mélange des sexes qui est en rupture avec la morale de l’époque ?

En fait la société est en avance sur la loi. Elle préfère que les filles fassent des études longues plutôt que séparer les sexes. D’ailleurs même dans le privé cela évolue.

Comment les établissements secondaires et les professeurs réagissent-ils à cette arrivée des jeunes filles ?

En fait on a peu de source. C’est comme si c’était normal. Celles qui ont écrit sur ce sujet expriment leur angoisse. Par exemple en 1956 un article des Cahiers pédagogiques montre des enseignants très inquiets. Mais après l’arrivée des filles ils sont étonnés que cela se passe bien. On raconte que les garçons sont devenus plus calmes et que les filles sont de très bonnes élèves.

Mais dans les établissements on sépare les corps. On accepte les filles dans la même salle de classe que les garçons mais tout est fait pour éviter des relations trop proches. Je montre dans le livre comment les filles sont regroupées à un bout de la classe, soit devant soit au fond, pour ne pas perturber l’autre sexe. Ou comment les cours d’EPS sont les seuls à ne pas être mixtes jusqu’à la fin des années 1970.

Comment cette arrivée dans un monde viril est-elle vécue par les filles ?

Les filles et les garçons disent que la situation est normale. Les enseignants pensent que cela pacifie les relations masculines. Cela alors qu’aujourd’hui on trouve dans les établissements des violences sexistes et que filles et garçons pré-forment des attitudes sexistes à l’école.

Rebecca Rogers, dans la préface du livre, écrit que les mouvements pédagogiques ont eu un rôle plus important que le mouvement féministe dans cette évolution. Qu’en pensez vous ? La mixité a été un combat des mouvements pédagogiques ?

On ne peut pas dire cela. Cela n’a été un combat pour personne. Il n’y a pas eu d’action volontaire pour permettre la mixité. Cela s’est fait en fonction des circonstances. Je n’ai trouvé qu’un seul article, en 1961, de l’inspectrice générale Odette Brunschwig, pour défendre la mixité.

Les mouvements féministes ont défendu la co-éducation avant 1914. Mais ce n’était pas pour eux un objet de lutte. Ces mouvements féministes ne se sont pas vraiment souciés de cette question. Et les mouvements pédagogiques, comme l’Ecole Nouvelle, n’ont pas milité pour la mixité. D’ailleurs toutes les écoles nouvelles n’étaient pas mixtes.

Pourtant mai 1968 est parti d’une question de mixité ?

Oui. Mais on est dans l’université. Les collèges d’enseignement secondaire, créés en 1963, sont mixtes dès leur apparition sans débat et prise de conscience.

Aujourd’hui la mixité est remise en question par certains. Surtout elle semble très limitée quand on regarde les choix d’orientation et certains filières. Finalement la mixité a échoué à s’installer ?

Les établissements ont installé la mixité. Mais on voit les préjugés au moment de l’orientation. On ne travaille pas assez en amont les préjugés sur la place des femmes et des hommes dans la société.

Faut-il une pédagogie particulière pour que la mixité prenne tous son sens à l’Ecole ?

Il faut une formation des enseignants. Aujourd’hui dans les Inspe on passe très peu de temps sur ces questions. On reste coincé entre vouloir tenir compte de la différenciation et en même temps ne pas vouloir tenir de différence. Traiter à égalité les un et les unes cela veut dire avoir un discours qui va ouvrir les possibles pour chacun et chacune. On a encore tendance à enfermer dans des stéréotypes les filles et les garçons. Et au bout du compte à avoir une société inégalitaire. On a besoin d’une éducation à l’égalité.

Propos recueillis par François Jarraud

Geneviève Pezeu, Des filles chez les garçons. L’apprentissage de la mixité, Vendémiaire éditeur, ISBN 978-2-36358-352-9, 21€.