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JM Blanquer communique sur « Bouger 30 mn par jour ». L’enjeu est de répondre aux recommandations de l’OMS sur la santé qui préconise 1 heure d’activité physique par jour pour les 6-11 ans, soit 7h par semaine (3h par jour pour les moins de 5 ans). On en est loin aujourd’hui, alors que c’est un enjeu de santé publique et de réduction des inégalités. Cependant, l’annonce du ministre est-elle en mesure de changer les choses ? Rien n’est moins sûr ! Elle contient même le risque d’aboutir au résultat inverse à celui souhaité. Voici quelques arguments.

L’horaire d’EPS est de 3 heures par semaine. Si déjà il était assuré partout, ce serait un progrès ! Communiquer sur « bouger 30 minutes par jour » risque d’être compris comme « bouger à la place » de l’EPS, ce qui reviendrait à entériner 2 heures d’activité par semaine et serait une régression. Le ministère prend cependant garde de dire qu’il s’agit de « bouger 30 mn » en plus de l’EPS… mais, dans le même temps, il continue de mettre une pression énorme sur les maths et le français. Or, on sait que les enseignant.es du premier degré consacrent déjà plus de 60% du temps scolaire aux maths et au français, qu’il reste environ 20% pour toutes les autres disciplines (histoire-géo, sciences, arts, anglais, EPS…). Les 20% restant étant consacrés à des temps non disciplinaires (apprendre à faire son cartable, apprendre à tenir son cahier, apprendre à régler des conflits,…). Dans ce temps scolaire très contraint, rajouter une demi-heure d’activité physique ne peut se faire qu’au détriment d’autre chose. … Il y a donc fort à parier que l’horaire d’EPS n’augmentera pas (il est aujourd’hui en moyenne d’environ 2h). On peut même craindre que l’EPS devienne uniquement une activité considérée comme « hygiéniste » qui n’aura pas beaucoup de sens pour les enfants, ou encore que le « bouger 30 mn » incite à seulement allonger un peu les récréations et à les « scolariser». Dans ce cas, on perdrait sur les deux aspects. On n’aurait plus vraiment d’EPS et plus vraiment de récréations…et une grande confusion sur le rôle de l’école pour les élèves comme pour les enseignant.es !

Pour que l’horaire d’EPS augmente et se rapproche des 3 heures officielles, il faudrait plusieurs choses que M.Blanquer ne fait pas.

– Avoir un discours et des actes clairs sur l’EPS. L’école a pour objectif d’apprendre aux élèves à danser, à jouer collectif, à courir vite, à courir longtemps, à nager, à s’orienter, à faire du vélo …C’est ainsi qu’ils développeront le goût du sport, qu’ils entreront dans la culture physique, sportive et artistique de leur temps, et prendront des habitudes de pratiquer les activités de leur choix et seront en bonne santé. Avec seulement du «Bouger, du Gigoter sans apprendre, la motivation des élèves n’est pas durable.

– Avoir un discours clair sur les compétences des enseignant.es. R. Maracineanu doit cesser de dire que les fédérations sportives vont venir assurer l’EPS à la place des enseignant.es (sous-entendant une incapacité à le faire), quand dans le même temps le ministère de l’Education Nationale dont elle dépend ne cesse de diminuer l’horaire d’EPS dans la formation.

– Cesser de réduire la formation des professeurs des écoles : dans sa nouvelle réforme, M. Blanquer impose 55% de maths et de français dans les maquettes de master et d’autres priorités qui font qu’il ne reste que 20% du temps pour toutes les autres disciplines de la polyvalence (histoire, géographie, SVT, LVE, EPS, éducation musicale, arts plastiques). Conséquence immédiate dans les INSPE qui appliquent cette règle : une chute vertigineuse et historique des horaires de formation en EPS (- 63% à la Réunion, – 53,8% à Lille, -52% à Clermont, – 45% à Reims, -37% à Créteil !) Comment former les étudiant•es à enseigner dans un temps si court ? Apprendre à nager, à danser, à jouer collectif, à réfléchir sur son activité corporelle, à créer du commun dans un groupe classe, à construire des règles, …ne s’improvise pas !

– Rétablir partout des conseillers pédagogiques EPS pour accompagner les enseignant.es dans leurs projets et les rencontres sportives sur le temps scolaire. Aujourd’hui ces conseillers sont absorbés totalement par les formations en maths et français, alors qu’ils ont un rôle déterminant de dynamisation de l’EPS.

– Donner des moyens aux collectivités territoriales pour construire des équipements pour l’EPS au sein de l’école, ou tout près de celle-ci, pour ne pas perdre de temps en déplacement.

L’OMS préconise 7 h d’activité physique par semaine. La priorité est donc d’assurer les 3 heures d’EPS à l’école, parce qu’elles sont obligatoires pour tous et toutes. Mais cela ne suffira pas. Il faut étudier tous les autres temps de l’enfant :

Au sein de l’école :

– Donner des moyens aux enseignants pour animer le sport scolaire (USEP) en prolongement de l’EPS. Une sorte de « forfait » tel qu’il existe pour les professeurs d’EPS pour l’UNS permettrait à nombre de professeurs d’école de s’impliquer dans le sport scolaire.

– Aménager les cours de récréation pour les rendre plus actives, en toute sécurité, en étant vigilant à l’égalité filles-garçons. Et ceci sans les « scolariser », elles doivent rester un temps de respiration, de liberté, de « re-création » pour les élèves, comme pour les enseignant.es

Avant/après l’école :

– Permettre à tous les enfants de venir à pied ou à vélo à l’école. Pour les plus petits, permettre une dépense physique dans un square, un parc après l’école, ce qui pose évidemment des questions d’urbanisme et de financement.

– Permettre à tous les enfants d’avoir au moins une activité physique gratuite dans un club sportif ou une association durant une année (ou une autre formule lui permettant d’essayer avant de choisir ce qu’il lui plait). Ex : Avoir une dizaine de séances gratuites à la piscine dès lors que l’on a appris à nager à l’école.

– Avoir des observatoires des pratiques sportives dans les territoires pour repérer s’il y a des inégalités persistantes (entre filles et garçons, entre milieux sociaux) et pouvoir y remédier avec tous les acteurs : les collectivités territoriales, le mouvement sportif et le monde éducatif.

Augmenter la pratique physique des jeunes, se préoccuper de leur santé (au sens large, pas seulement au sens hygiéniste), c’est leur permettre d’entrer dans la culture physique, sportive et artistique de leur temps. Cela nécessite des mesures ambitieuses, des formations, des débats entre acteurs… Un défi autrement plus enthousiasmant que « bouger 30 mn par jour »…

Claire Pontais

ex-formatrice INSPE à Caen et responsable du dossier EPS en primaire au SNEP-FSU

Voir l’article d’Aline Blanchouin sur les classes de CP

Voir « Une tentative d’état des lieux sur les horaires en primaire »