Print Friendly, PDF & Email

Loïs Bucher, professeure de SVT et Françoise Ferné, professeure documentaliste, toutes les deux au collège Asselin de Beauville de Ducos en Martinique, associent enseignements disciplinaires, lien social et transmission patrimonial dans une conception agroécologique de leurs missions, pour le plus grand bonheur de leurs élèves de 6ème et 5ème.

Vous travaillez ensemble sur des projets cherchant à éveiller les consciences des collégiens sur leur rôle et leur place dans la biodiversité, pouvez-vous nous présenter votre démarche ?

Oui, nous avons mené différents projets avec la même idée de développer une conscience écologique chez nos élèves, l’Atelier Sciences Biodiversité. Il s’agit d’une proposition d’activité, sur le temps de la cantine, entre midi et 14h, pour les élèves de 6ème et 5ème des différentes classes du collège. Les élèves s’inscrivent avec l’autorisation de leur parents et pendant quarante-cinq minutes, ils deviennent des scientifiques qui découvrent les plantes. Le projet biologique est associé au projet numérique, il s’agit d’une collaboration entre les professeurs, chacun dans son domaine vise le développement de savoirs et de compétences spécifiques chez l’élève (la connaissance des plantes et des arbres, la rigueur scientifique, les noms scientifiques comme vernaculaires des plantes, la maîtrise des outils numériques, la gestion d’un site et d’une web-radio….).

Par exemple, un atelier a concerné les barrages hydrauliques. Le barrage de la Manzo présente une biodiversité particulière, avec des tortues américaines typiques. Il serait pollué et pourtant des plantes spécifiques s’y développent. Ce projet a été mené dans le cadre du « défi académique Mon île un joyau dans la Caraïbe qui avait pour but de sensibiliser les élèves à la candidature de la Martinique à l’ UNESCO. L’objectif de l’Atelier était de faire découvrir un espace naturel attractif, riche d’un milieu naturel ignoré de la population avec des colonies d’oiseaux donnant un spectacle hors du commun au coucher du soleil, et un plan d’eau magnifique. L’Atelier qui a permis aux élèves de faire des photos, des recherches sur les termes, les noms des plantes, l’histoire de la construction du barrage et de proposer le film qu’ils ont réalisé avec notre aide. Autre exemple avec la rivière La Manche qui débouche dans la baie de Génipa et sa forêt d’arbres éponymes, fut l’occasion pour les élèves de découvrir un écosystème proche du collège. Ce travail a été récompensé dans le cadre du 2éme projet UNESCO. Ce fut l’occasion de découvrir des termes nouveaux (embâche, débit, aval), la flore (le génipa et son fruit, la liane douce, le ricin, le kapokier, le palétuvier), la faunes (les tourterelles…).

Le Grand Livre de la Biodiversité a été exposé à la Bibliothèque Universitaire, Campus de Schoelcher durant le Mois des Arts en Mai 2019. Il nous a conduits à mettre l’accent sur les plantes endémiques de la Martinique, sur la fragilité de l’écosystème, sur l’identification des espèces d’arbres et de plantes de l’environnement immédiat des élèves. Un conservateur du Parc de Martinique est venu nous aider à identifier les espèces végétales de notre collège. L’objectif était de sensibiliser la communauté scolaire sur cette biodiversité remarquable qui nous entoure au quotidien et que l’on regarde avec indifférence. Cette année-là nous avons été invitées, avec les élèves, à venir présenter notre livre numérique, lors d’une manifestation dans une grande salle (l’Atrium) pour fêter les 10 ans du parc. Nous avons aussi travaillé sur un herbier numérique avec les tablettes et l’ordinateur. Les productions sont régulièrement présentées sur le site du collège, le journal en ligne et les émissions de web radio du collège . Cette collaboration est régulièrement reconnue et une année, nous avons obtenu un prix au concours de l’UNESCO sur les écosystèmes spécifiques et l’histoire de la biodiversité lors de la candidature du Nord de la Martinique au classement au Patrimoine Mondial de l’Unesco (« Les Aires forestières et volcaniques de la Montagne Pelée et des Pitons du nord de la Martinique » ).

Cette année, avec la situation sanitaire, Vous avez contourné les difficultés en quelque sorte ?

Cette année face à la situation sanitaire, nous avons eu envie de travailler sur les plantes médicinales. L’atelier est centré, sur le patrimoine culturel de la Martinique, les plantes endémiques et surtout les plantes médicinales pour se soigner et réaliser un herbier numérique. Parmi les objectifs, le comportement écoresponsable vis-à-vis des plantes médicinales est visé ; les mesures de prudence face au danger potentiel de ces plantes sont abordées. Les questions de développement durable également, il s’agit d’apprendre à vivre avec la nature, à la manière de Pierre Rabhi, être un agro écologiste ! Au sein même du collège les plantes sont observées, celles de l’équipe du jardinage avec un autre professeur, celle de l’herbier médicinal planté, comme les « mauvaise herbes » qui se révèlent après étude avec les données des scientifiques des plantes inconnues avec des principes actifs que le conservatoire botanique sollicité aide à identifier. Le souhait est de prolonger cette collaboration avec l’extraction de substances actives d’une plante médicinale dans une séance atelier-chimie avec l’assistance du conservatoire. L’objectif est la transmission du patrimoine, des connaissances, afin de développer la protection du patrimoine, tout cela vérifié par les résultats de la pharmacopée nationale.

Quelle appréciation les élèves ont-ils de ce type de projet ?

On peut supposer que le bouche à oreille fonctionnant et amenant à accepter des élèves après la fin des inscriptions est un bon indicateur. Initialement réservé aux demi-pensionnaires, l’atelier, grâce au bouche-à-oreille a vu la demande d’inscriptions d’élèves externes présentant les arguments de la proximité de leur maison avec le collège ou demandant l’autorisation de venir avec leur déjeuner et la complicité de leurs parents qui les préparaient. Cet atelier fonctionne depuis cinq ans, le lundi sur l’heure de la cantine et on constate que les élèves inscrits ne sont pas en retard et que, au contraire, ils sont présents dix minutes avant l’heure, « me rappelant à l’ordre lorsqu’il m’arrive d’être en retard », précise Loïs Bucher. Ils sont très heureux et l’expliquent à leurs parents qui sont complètement parties prenantes. Ainsi, lorsqu’il a fallu recevoir le prix à Fort-de-France, un mercredi après-midi, les parents se sont organisés et tous les élèves ont été conduits et ramenés, malgré les difficultés de transport pour certaines familles. Ils étaient très fières de leur production. Cette année 2020, ils ont l’impression de participer à la lutte contre la Covid19 et cela les motive pour apprendre encore plus. Ils apprennent les plantes qui permettraient d’y résister. Ces projets permettent de développer une forme d’agroécologie au collège pour reconsidérer le lien qui unit les élèves à la terre, valorisent la coopération plutôt que la compétition pour leur bien-être et à terme pour celui de l’humanité dans son ensemble.

L’impact positif de ce projet agroécologique va au delà du collège ?

En effet, la visée est co-éducative et agroécologique. Les parents sont associés, plusieurs professeurs de disciplines différentes sont conduits à participer à ce projet. Cette approche développera peut-être des vocations, « les enfants en parlent entre eux, à leurs parents et ils sont amenés à faire des interviews de leurs parents et grands-parents pour étoffer leurs observations, découvertes et apporter des réponses aux questions qu’ils se posent » complète Françoise Ferné. Le projet maintenant est de préparer les questions à poser à un vrai scientifique connaissant les plantes qui pour nous sont aussi inconnues, dans une dynamique de communauté de recherche.

Propos recueillis par Line Numa-Bocage

Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université