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Le gouvernement a bien fait machine arrière sur l’interdiction de l’instruction en famille. Le Conseil des ministres du 9 décembre a adopté la nouvelle rédaction du projet de loi sur le séparatisme, appelé maintenant « loi confortant le respect des principes de la République ». La volonté des familles reste soumise à l’appréciation de l’administration. Et rien n’est prévu pour scolariser les 100 000 enfants de la grande pauvreté exclus de l’école. D’autres articles vont restreindre la liberté de manifester et de s’exprimer.

 » Un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste… Il enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division. Ce travail de sape concerne de multiples sphères : les quartiers, les services publics et notamment l’école, le tissu associatif, les structures d’exercice du culte ». C’est au nom de cette « dynamique séparatiste » que le projet de loi règlemente l’éducation, les établissements privés d’enseignement mais aussi les associations cultuelles et restreint des libertés.

Recul sur l’instruction en famille

Ce séparatisme, l’Education nationale le voit dans le développement rapide de l’instruction en famille. Même si le ministère reconnait que l’instruction en famille (IEF) peut avoir bien d’autres raisons. Selon les chiffres du ministère on compte 62 000 enfants dans ce cas dont 17 000 inscrits au CNED. Si le nombre des inscrits au CNED a peu augmenté depuis 2010, celui des enfants instruits en famille hors Cned est passé de 5000 en 2010 à 46000 aujourd’hui. « Ce choix des familles peut s’expliquer par de multiples facteurs », écrit le ministère, dont en partie la récente crise sanitaire ou encore le succès des pédagogies alternatives mais aussi par une volonté de repli associée à des phénomènes sectaires ou de radicalisation ».

 » L’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille sur autorisation », précise l’article 21 du nouveau texte. Il prévoir immédiatement des dérogations.  » L’autorisation mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée que pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant :

« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;

« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;

« 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ;

« 4° L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ».

La rédaction précédente se limitait à dire que « l’enfant peut recevoir l’instruction à son domicile sous réserve d’y avoir été autorisé ».

La nouvelle rédaction reconnait des cas où l’IEF peut être donnée. Mais elle tente d’en restreindre le plus possible la portée. Ainsi si on reprend la présentation du ministère, les élèves en IEF en raison de la crise sanitaire ou ceux qui veulent suivre des pédagogies alternatives ne rentrent pas dans les cas autorisés. Or depuis la crise sanitaire le nombre des IEF hors CNED est passé de 19 000 à 46 000…

Scolarisation obligatoire sauf pour les pauvres

Il faut y ajouter tous les enfants ni scolarisés ni en IEF. Des associations évoquent 100 000 enfants qui ne sont pas scolarisés car vivant dans des conditions de grande pauvreté et faisant face aux refus de scolarisation. Nombre d’entre eux se retrouvent dans les 130 000 jeunes qui n’ont pas d’identifiant national. Au lieu de faire avancer cette question en même temps que sa loi sur la scolarisation obligatoire, le ministère annonce que la question de l’identifiant sera « décalée » par rapport à la loi. Le gouvernement recule devant cette mesure qui permettrait d’ouvrir les portes des écoles aux enfants les plus défavorisés.

Plusieurs articles concernent les écoles privés sous contrat et hors contrat. L’article 22 permet de fermer par simple décision administrative une école hors contrat. Ces écoles devront fournir l’origine de leurs fonds et la liste des enseignants. Les écoles sous contrat d’association avec l’Etat devront « dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ». Les écoles privées sous contrat simple devront « organiser l’enseignement par référence aux programmes de l’enseignement public ».

Des articles dangereux pour les libertés

D’autres articles concernent indirectement l’école. Ainsi l’article 3 prévoir l’inscription dans le « Fichier des auteurs d’infractions terroristes » des personnes condamnées pour apologie de terrorisme. Le juge ne pourra plus s’opposer à cette inscription. Or on sait que des enfants sont actuellement poursuivis pour ce délit simplement pour avoir dit des bétises le 2 novembre. L’inscription dans ce fichier a de nombreuses conséquences y compris professionnelles.

L’article 4 mérite aussi d’être connu des enseignants.  » Est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d’obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ». Cet article officiellement vise à protéger les fonctionnaires des menaces des terroristes. Mais on pourrait bien le voir appliquer pour criminaliser des luttes sociales, par exemple des occupations d’établissement scolaire.

L’article 18 crée un nouveau délit qui est la diffusion d’informations relatives à la vie privée , familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser « dans le but de l’exposer à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou l’intégrité physique ou psychique ». La peine est de 3 ans de prison et 5 ans pour une personne chargée de mission de service public. Rédige comme cela cet article peut sanctionner la liberté de l’information.

François Jarraud

Le projet de loi, l’exposé des motifs et l’étude d’impact