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Après 2020, année terne, peut-on faire de 2021 une année multicolore ? Professeure de français au collège Daniel Argote à Orthez, Marie Soulié a lancé un projet annuel autour des tableaux de la peintre américaine Laurel Holloman. Le travail a d’ores et déjà permis l’ouverture d’un remarquable « musée numérique » qui rassemble les poèmes, les vidéos, les musiques, que les œuvres ont inspirées aux élèves. Il va se prolonger par l’écriture d’une nouvelle fantastique : un personnage qui ne voit plus le monde qu’en noir et blanc vit des aventures pour retrouver petit à petit les couleurs perdues. Le projet porte de belles invitations : travailler davantage les correspondances entre les arts, percevoir combien le numérique peut enrichir et enchanter notre relation aux œuvres, donner aux élèves la possibilité de se sentir eux-mêmes « puissants dans la création ».

Le projet s’appuie sur les œuvres de la peintre américaine Laurel Holloman : pouvez-vous nous la présenter ?

Laurel Holloman est une artiste peintre américaine qui vit à Los Angeles. Elle est célèbre notamment pour ses œuvres aux couleurs vibrantes de très grands formats (certaines de plus de 4 mètres) faisant souvent référence aux quatre éléments. À mi-chemin entre le symbolisme et l’abstrait, son œuvre est remplie de mouvements harmonieux qui laissent l’imagination donner vie à ses tableaux.

Pourquoi ce choix de cette peintre pour votre projet ?

J’ai découvert ses œuvres par hasard sur son site l’année dernière alors que je m’apprêtais à écrire un projet pour des sixièmes sur une séquence de poésie. J’ai montré le travail de Laurel à quelques élèves pour recueillir leurs impressions, et au vu de leur enthousiasme, j’ai souhaité poursuivre ce travail. Ils aimaient particulièrement les couleurs des peintures qui les fascinaient mais également leur côté abstrait qui laissait place à un imaginaire très riche. Après avoir obtenu l’accord de l’artiste que je remercie pour sa générosité, je me suis lancée dans l’aventure.

Un atelier de travail permet de faire vivre le projet : selon quelle organisation ?

J’ai décidé en début d’année de mettre en place un atelier d’écriture sur la pause méridienne. J’ai dû limiter le nombre à vingt car le bouche-à-oreille a trop bien fonctionné. Le lieu me paraissait important, j’ai choisi ma salle de classe que je souhaitais transformer en un petit havre de paix avec des lumières douces et de la musique classique. Je souhaitais que les élèves apprécient la complémentarité entre les différents arts que sont la poésie, la musique et la peinture et qu’ils puissent exprimer leurs émotions. Aujourd’hui, ils aiment venir à l’atelier car c’est un endroit apaisé qui s’échappe un peu du cadre scolaire. Ici pas d’évaluation, pas de pression, pas de concurrence, on œuvre tous pour un objectif commun : créer un beau musée rassemblant toutes les œuvres inspirées par le travail de Laurel et faire plaisir à l’artiste. Avoir sa reconnaissance est notre plus belle récompense et nous espérons tous pouvoir un jour la rencontrer.

Vous avez aidé les élèves à s’approprier les tableaux par la technique du « data wall » : en quoi cela consiste-t-il ? quels vous en semblent les intérêts ?

En début d’année, j’ai proposé à chacun un plan de travail que j’ai affiché dans la salle de classe : ils peuvent ainsi plus facilement visualiser les différentes étapes et avancer à leur rythme. La première tâche était de donner un titre à l’œuvre choisie (les élèves n’avaient pas connaissance de celui donné par l’artiste), puis d’écrire sur des étiquettes des mots qu’ils venaient épingler sur un mur de liège où j’avais affiché les miniatures des tableaux. Ensuite, chacun choisissait un bout de laine et venait faire sa « pêche aux mots » pour la création du futur poème. Lorsqu’on regarde aujourd’hui cette toile à idées, des réseaux se forment autour des mots comme Liberté ou Mouvement qui caractérisent parfaitement l’œuvre de l’artiste. Je recommande vivement cette technique du Data Wall que j’ai découverte grâce à Aurélia Médan de l’atelier Canopé de Tarbes. Ce fil des idées est vraiment inspirant et facilite l’entrée dans l’écriture.

Autour du tableau choisi, chaque élève a produit un texte, une vidéo et une musique : quelles ont été les consignes et les modalités de travail pour réaliser ces belles créations ?

Les élèves doivent écrire un poème, mais ils ne sont pas obligés de commencer par l’écriture, certains choisissent d’abord d’animer le tableau en créant un mouvement à l’aide d’une application, puis ce mouvement leur inspire une musique qu’ils vont composer sur une autre application. En ce qui concerne l’écriture, certains ont recours à des modèles et écrivent « à la manière de…. » . Je vais en janvier proposer d’autres techniques comme le caviardage ou les calligrammes. Généralement, la scénographie réalisée sur fond vert vient clore le travail sur l’œuvre avant de déposer l’ensemble des pièces sur la page personnelle du musée.

Au 2ème trimestre, ce projet annuel va se déployer à travers l’écriture d’une nouvelle fantastique à plusieurs mains : pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Au deuxième trimestre, nous allons travailler sur la narration : les élèves ont choisi quelques œuvres de Laurel qui seront utilisées dans l’histoire. Un personnage immensément riche, amoureux d’art, a malheureusement perdu l’usage des couleurs dans son regard et ne voit plus qu’en noir et blanc. Il décide de parcourir le monde afin de retrouver des émotions. Un jour lors d’un vernissage, il découvre les œuvres de Laurel Holloman et pris soudain d’un étrange malaise devant une des toiles, il perd connaissance. A son réveil, il a basculé dans une autre dimension et va vivre des aventures qui vont lui permettre de retrouver petit à petit les couleurs perdues. Les élèves écrivent sur un pad collaboratif et le travail pourra ainsi se poursuivre à distance s’ils le souhaitent. « My World without Colors » devraient être imprimé dans le courant du deuxième trimestre.

Le parcours du musée des élèves est un enchantement pour le visiteur : quels vous semblent les plaisirs et les intérêts du travail mené pour les élèves, pour la peintre, pour vous-même ?

Pour les élèves, la découverte d’œuvres d’art qui leur permet de créer eux-mêmes est un véritable enchantement. Ils se sentent puissants dans la création. En ce qui me concerne, je suis ravie de mener ce projet car je suis absolument fière des créations proposées. Le fait d’avoir l’approbation de l’artiste et son soutien est évidemment incroyablement stimulant pour l’ensemble du groupe. Je pense également que le regard des enfants qui n’ont pas encore une grande culture artistique est pur, les enfants osent et rentrent dans les oeuvres sans complexes et c’est peut-être cette spontanéité et cette franchise que recherche notamment un artiste.

Votre projet crée des liens, assez rares à l’Ecole, entre peinture, littérature, musique, création vidéo : à sa lumière, en quoi vous semble-t-il enrichissant de créer ainsi des passerelles pédagogiques entre les arts et les langages ?

La musique, la poésie, la vidéo et évidemment la peinture s’harmonisent parfaitement et permettent aux élèves de plonger dans un véritable univers artistique dans lequel ils s’épanouissent. Je les amène à exprimer des émotions face aux œuvres de Laurel et à s’en servir pour créer et émouvoir à leur tour. C’est dans cet échange que se fait la création et si j’ai pu favoriser l’expression de leurs émotions à travers l’art, alors j’ai accompli ma mission de professeure.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Le musée numérique des créations d’élèves

La nouvelle fantastique en chantier

Le site de la peintre Laurel Holloman

Une application pour animer un tableau : Motionleap

Une application pour créer une musique : Garageband

Marie Soulié dans Le Café pédagogique