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Le premier contact avec l’école, c’est majoritairement à trois ans qu’il a lieu. Trois ans, cela semble très jeune mais pour autant, les projets ambitieux sont largement abordables. La curiosité des enfants, leur soif de connaissance, de compréhension du monde, c’est là-dessus que Patricia Fetnan a construit toute sa pédagogie. Plus de trente ans d’enseignement pour cette professeure aujourd’hui à la retraite. Permettre aux enfants d’habiter le monde, pour cette jeune retraitée, c’est passer par les différents éléments constitutifs de la Nature. Elle nous présente son projet « Apprenti•e•s »

Après trente années d’enseignement, dont 25 en petite section de maternelle à l’école Papon de Nice, Patricia Fetnan a pris sa retraite. Enfin presque. Parce que l’école ça ne s’oublie pas si vite. Investie dans son travail et pour ses élèves, Patricia souhaite aujourd’hui partager sa riche expérience. L’un des projets qui lui tient le plus à cœur, c’est celui des « Apprenti•e•s ». Un projet pour permettre aux jeunes élèves d’à peine trois ans de se muer en « artisan de leur parole afin de construire leur propre monde ».

Gaston Bachelard, le philosophe – pédagogue

Se basant sur les écrits de Gaston Bachelard, philosophe et épistémologue du siècle dernier, elle a, pendant les trente années scolaires qui ont jalonné sa carrière, tenté de créer du lien entre ses élèves et la Nature. Gaston Bachelard, peu d’enseignants et enseignantes le connaissent, pourtant beaucoup pratiquent sa philosophie. Le philosophe prônait, déjà dans les années 1900, de recentrer le regard sur les apprentissages, l’introduction de l’erreur comme source de progrès, l’initiation aux situations problèmes… Il était un fervent défenseur de la classe coopérative reposant sur la mutualisation des connaissances et l’interchangeabilité des fonctions. Philosophe, son travail sur les quatre éléments : la Terre, l’Eau, le Fer et l’Air éclaire la place de l’Homme dans le monde. Et c’est cela qui a beaucoup inspiré Patricia. « G. Bachelard m’a permis de donner du sens aux apprentissages et de faire le lien avec le monde qui nous entoure. Par exemple, on dit que l’eau nous berce, qu’elle nous endort ce qui revient à dire que quand l’homme se sent bercé, il est en relation avec l’eau comme élément constitutif du monde. Eau qui est en lui et qui le constitue, au même titre que les trois autres éléments, la terre, le feu, l’air… Et tout cela renvoie aussi au ventre de la mère, le premier monde. Cela rejoint une vision poétique du monde. Par exemple, Paul Éluard, … et comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer ».

Vivre des expériences qui rapprochent

Cette vision du rapport de l’Homme à la nature, Patricia l’a exploitée avec ses élèves afin de situer le corps de l’enfant dans les éléments, comme Monde à explorer et donc à habiter et ensemble. « Quand je proposais des jeux d’eau à des enfants de trois ans, en les mettant ensemble devant un lavabo, c’était pour leur permettre d’exprimer leur ressenti lorsqu’ils sont en relation avec leur part d’eau, en eux. Et cela donnait des choses particulièrement intéressantes, comme ce petit élève vivant en pouponnière, donc ne vivant déjà plus avec sa mère, ni son père, accroché à son doudou, comme à une bouée et qui, pour la première fois, parce qu’il est attiré par l’eau, accepte de l’abandonner… à condition de se laisser caresser et bercer par l’eau qui l’a constitué, dans le sein maternel et de partager cette expérience avec un pair, dans sa nouvelle « maison », l’école »

Travailler tous les domaines d’apprentissage à partir d’un élément

Plus simplement, dans son projet les enfants abordent les cinq domaines de l’école maternelle, ils s’expriment dans tous les registres et peuvent structurer leur pensée en réseau. « Leur réflexion passe dans tous les champs et ils peuvent donc s’exprimer dans le domaine où ils sont les plus à l’aise, tout en ayant connaissance et en partageant les productions de tous ». C’est ainsi qu’à partir d’un élément travaillé, Patricia aborde l’espace, des poésies, des albums. « Pour l’eau, nous sommes allés voir la mer, nous avons travaillé sur l’album Pilotin, il est grand, nous avons regardé Atlantis, puis nous avons symboliquement nagé, avec la musique du film comme les raies avec la voix de Maria Callas, utilisée comme bande son par Luc Besson. Nous avons aussi parlé et sommes rentrés dans l’expression écrite avec des dictées à l’adulte. Nous avons contemplé des tableaux tel que La vague de Matisse. Nous avons fait des mathématiques à partir des voiles de Matisse, en fabriquant des triangles en pâte à modeler et en formes et dessins. Nous avons aussi tracer des vagues en graphisme, travailler le schéma corporel en dessinant des bébés nageurs… Bref, à partir d’un élément, nous avons toujours une multitude d’entrées possibles qui permettent aux enfants d’entrer dans les apprentissages, de se socialiser mais aussi d’habiter le monde ».

Du côté de la trace écrite, à partager avec les parents, chaque élève a son propre cahier de production individuelle mais aussi collective. « Nous avons organisé des expositions ». À la fin de l’année, chacun part avec un exemplaire couleur du livre « les Apprenti•e•s » que nous avons construits collectivement.

Un projet de classe annuel, qui permet aux élèves d’appréhender le monde en abordant les cinq domaines d’apprentissages. Patricia se tient à disposition des jeunes enseignants, et des moins jeunes, pour discuter du projet. N’hésitez pas à la solliciter !

Lilia Ben Hamouda