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Comment découvrir l’ultra structure cellulaire de façon ludique ? Avec des cure-dents ! Christian Delfau enseigne les SVT et la biologie et physiopathologie humaine (BPH) au lycée polyvalent Jean Jaurès de Carmaux (81). Après avoir proposé à ses élèves de modéliser la bicouche lipidique membranaire, l’enseignant lance ses lycéens de 1ère ST2S dans la conception d’un stop motion montrant l’exocytose de neuromédiateurs au niveau d’une synapse. Christian Delfau y voit comme avantage « d’effacer le côté abstrait des mécanismes moléculaires ». D’autres productions sont prévues prochainement sur les mécanismes digestifs. L’enseignant de SVT apprécie « l’esprit classe » en ST2S qui a aujourd’hui disparu en enseignement de spécialité…

Pourquoi cette modélisation de la membrane plasmique ?

Dans le cadre de l’enseignement de la BPH (Biologie et Physiopathologie Humaine) en 1ère technologique ST2S (sciences et technologies de la santé et du social), le passage d’une échelle à l’autre est souvent source de confusions chez les élèves. Quand on parle d’appareil, d’organes, de tissus, de cellules au sens large, cela apparaît assez évident, l’élève visualise plutôt assez bien. Par contre, le passage à l’étude de l’ultra structure cellulaire ou encore le passage à un niveau moléculaire permettant d’étudier le métabolisme par exemple, cela génère parfois beaucoup plus d’abstraction, avec de nombreuses questions que soulèvent les élèves. Nous disposons de formidables supports numériques pour visualiser de nombreux processus mais modéliser concrètement peut aider à une meilleure compréhension. C’est dans cet état d’esprit-là que la modélisation de la membrane plasmique m’a semblé intéressante à proposer aux élèves.

Comment les élèves conçoivent-ils les structures et le stopmotion ?

Concernant le matériel, j’ai utilisé des matériaux simples et peu coûteux : des perles à repasser de couleur (qui ont l’avantage d’être percées) et des cure-dents sectionnés en leur milieu. Ainsi, pour modéliser un phospholipide, il n’y a plus qu’à glisser les deux demi-cure-dents dans le trou d’une perle percée et voici un phospholipide qui devient palpable entre les doigts des élèves : le côté hydrophile correspondant à la perle de couleur (glycérol), le côté hydrophobe correspondant aux deux demi-cure-dents (deux acides gras). Il ne reste plus qu’à construire une soixantaine de phospholipides de couleur, à disposition des élèves en binôme (tous les phospholipides ont été préparés au préalable au laboratoire pour gagner du temps ensuite en classe) – je remercie au passage l’agent technique de laboratoire du lycée, Anne-Marie, qui a réalisé ce travail assez long et minutieux.

Durant cette séance, après un travail en amont, réalisé avec les élèves, sur les biomolécules, notamment à l’aide du logiciel Libmol (glucides, protides, lipides), il me semblait évident de faire désormais réfléchir les élèves sur la propriété particulière amphiphile des phospholipides, la membrane plasmique n’étant pas vraiment encore mon objectif premier. En effet, la consigne orale destinée aux élèves était simple : « Connaissant la propriété amphiphile des phospholipides, imaginez comment se comporteraient ces petites molécules lipidiques dans un milieu aqueux ».

Les élèves ont très vite compris que ces molécules allaient « instinctivement » devoir se rassembler, se regrouper pour essayer de chasser au mieux l’eau et le plus vite possible, du côté hydrophobe, sorte de ralliement ou de stratégie de regroupement dans un milieu hostile, afin de pouvoir y survivre au plus vite (désolé pour cette personnification mais c’est ainsi que les élèves l’ont vécu, me semble-t-il). Les élèves ont donc assez rapidement obtenu plusieurs micelles bien arrondis, plus ou moins gros, en formant des monocouches de phospholipides (partie hydrophobe au centre, partie hydrophile en périphérie).

Une fois ce petit travail finalisé (à la fois de réflexion et de réalisation après quelques essais échecs puis réussites), je leur ai proposé une nouvelle consigne orale : « Imaginez maintenant que ces petits phospholipides doivent, non pas s’organiser en cercle mais plutôt être tous sur une même ligne, tout en respectant la propriété amphiphile qui les caractérise… ». Première façon instinctive pour les élèves : mettre tous les phospholipides en position tête-bêche, tous alignés (une partie de la consigne respectée), les uns à côté des autres, en alternance, histoire d’avoir l’impression que les parties hydrophiles de certains phospholipides protègent et pallient au problème de la partie hydrophobe des autres phospholipides limitrophes dans ce milieu aqueux imaginaire et toujours aussi hostile. Au final, certains élèves ont ensuite eu l’idée de les positionner en formant non plus une simple couche de phospholipides mais une double couche de phospholipides, sorte de rempart d’un côté et de l’autre, surveillant plus efficacement l’ennemi de part et d’autre, protégeant en son sein les parties hydrophobes de toutes les molécules à l’abri de l’eau envahissante, répondant cette fois-ci clairement et complètement à la consigne orale ! « Monsieur, par contre, aux deux extrémités, ça ne marche pas, du coup, il nous manque des phospholipides »… J’ai donc ensuite vidéoprojeté la représentation schématique de la membrane plasmique d’une cellule composée de sa bicouche lipidique (traversée par quelques protéines), ce qui a permis aux élèves de comprendre plus aisément l’organisation de celle-ci, de l’imaginer à nouveau en 3D et, notamment, le fait qu’on l’appelle aussi une « mosaïque fluide » (rappel de connaissances du thème 1 : organisation et fonctionnement intégré de l’être humain) avec un milieu intérieur intracellulaire aqueux et un milieu extérieur extracellulaire aqueux également.

De là, tout est allé assez vite en mobilisant les souvenirs relatifs au fonctionnement d’une synapse neuro-musculaire (rappels de connaissances du thème 2 : Appareil locomoteur et motricité) comme exemple d’application, en revenant sur le mécanisme d’exocytose de la vésicule (contenant les neurotransmetteurs) qui fusionne avec la membrane plasmique du neurone, du côté présynaptique.

Ces rappels étant faits, les élèves ont reçu de nouveaux matériaux : trois pions de jeux de dame (pour modéliser 3 neurotransmetteurs) et quelques jetons de chromino pour représenter les récepteurs membranaires aux neurotransmetteurs, côté présynaptique. Pour modéliser la synapse (avec 1 vésicule contenant les neurotransmetteurs + la membrane plasmique du côté présynaptique + la fente synaptique + la membrane du côté post-synaptique contenant des récepteurs), j’ai demandé aux binômes de se regrouper pour avoir suffisamment de pièces, notamment un nombre suffisant de phospholipides pour « construire » la synapse au grand complet : 3 binômes travaillant désormais ensemble.

Le stop-motion était alors en phase de préparation pour mettre en mouvement tout cela sans oublier les propriétés amphiphiles des phospholipides à conserver rigoureusement durant le mécanisme d’exocytose côté présynaptique. L’appareillage pour fixer le téléphone par-dessus a permis de réaliser efficacement des photos à partir des téléphones portables des élèves, sans risque de faire bouger l’ensemble, une caractéristique fondamentale dans l’élaboration d’un stop-motion.

Cette séance s’est déroulée en TP, sur une durée de 2 heures. Les montages en stop-motion ont ensuite été réalisés par les élèves.

Quels sont les avantages de cette méthode pédagogique ?

Je dirais qu’on efface en grande partie le côté abstrait des mécanismes moléculaires et du coup ceux au niveau cellulaire mis en jeu, pour basculer sur une perception beaucoup plus concrète. Le côté palpable de la matière complète bien la vision numérique en 3D, rendue possible grâce au logiciel de modélisation moléculaire (Libmol notamment, cité plus haut). L’aspect ludique et convivial rend la connaissance et la mémorisation des mécanismes, plus accessibles pour les élèves. Le tout, lors d’une séance de TP, c’est-à-dire à effectifs réduits, bien évidemment. Enfin, ces mécanismes modélisés permettent aussi de mieux appréhender d’autres mécanismes aux niveaux cellulaire et moléculaire à venir (émulsion des lipides au contact de la bile, absorption intestinale au niveau des entérocytes, eau et mécanismes d’osmose…) et du coup, espérer gagner du temps dans l’acquisition des connaissances futures par les élèves.

Voyez-vous d’autres approches possibles notamment sur l’appréhension des échelles du vivant ? Ou sur l’appareil digestif ?

Oui ! Et avec beaucoup d’enthousiasme ! Le prochain stop-motion est programmé pour finaliser le thème sur la partie 3 (appareil digestif et nutrition). L’appréhension des échelles y sera assez prépondérant (niveau organisme, niveau appareil impliqué, niveau organes, éventuellement niveau tissus, niveau cellulaire, niveau moléculaire).

J’attends un véritable scénario, précis, rigoureux, sur les mécanismes digestifs mis en jeu, allant de la consommation de l’aliment jusqu’à l’évacuation des excréments en passant par les mécanismes d’absorption intestinale. Dans sa globalité, je souhaite que les élèves puissent distinguer les organes du tube digestif des glandes annexes impliquées dans la digestion, distinguer l’action mécanique de l’action biochimique durant la digestion, repérer le trajet progressif du bol alimentaire en utilisant tout le vocabulaire adéquat (bol alimentaire, chyme, chyle…), modéliser la simplification moléculaire des glucides, protides (et lipides) en réinvestissant si possible le vocabulaire acquis (polymère, dimère, monomère), repérer les enzymes impliquées sans oublier le rôle tout particulier de la bile pour aider à la digestion des lipides.

Afin de préparer et anticiper cette future séance de TP, je vais demander aux élèves de mettre de côté tout matériel utile qu’ils pourraient avoir en cherchant chez eux pour découper, légender, dessiner, flécher, modéliser… : cartolines et feuilles de couleurs, feutres à pointes fines, paire de ciseaux, règle, perles de couleurs, laine…

Donc, un nouveau stop-motion beaucoup plus complet et rigoureux que le premier réalisé sur le fonctionnement synaptique, mais avec davantage de temps mis à disposition ! Un TP de 2 h uniquement consacré à sa réalisation. Sans doute un peu ambitieux dans le contenu mais les élèves ont de la ressource, j’ai confiance. La consigne sera aussi très générale, pour laisser libre-court à l’inventivité des élèves (un schéma fonctionnel ? un schéma simplifié du tube digestif ?) et aux choix de ce qu’ils voudront prioriser et mettre en valeur (le fonctionnement normal du tube digestif ? Une pathologie comme un exemple d’intolérance digestive ?…).

Quelles différences faites-vous entre vos cours de SVT classiques en filière générale et vos cours de physiologie en ST2S ?

Je découvre pour la première fois l’enseignement technologique en ST2S cette année, je n’ai sans doute pas encore assez de recul pour faire une comparaison suffisamment éclairée entre la filière technologique et la filière générale, notamment avec la mise en place actuelle de la réforme du bac, les nouveaux programmes en EDS et modalités du bac 2021, sans parler des contraintes liées à la crise sanitaire que nous subissons tous depuis plusieurs mois. Disons que la BPH est un enseignement axé essentiellement sur l’étude des fonctions du corps humain, ce qui plaît beaucoup aux élèves qui le suivent. Comme dans le cadre de la filière générale, en filière technologique, il y a aussi des objectifs à atteindre, des compétences à acquérir, de la réflexion à développer, de l’argumentation à transcrire à l’écrit au travers d’analyses documentaires et de connaissances acquises, du vocabulaire et de la terminologie médicale à bien maîtriser.

Les élèves en série technologique, comme dans le cas de ceux en filière générale, doivent également passer une épreuve finale nationale et aussi être préparés et présenter le grand oral. En d’autres termes, une démarche que je ne trouve pas vraiment très différence entre les deux filières. Ce qui est certain, c’est que cet enseignement me plaît beaucoup, au même titre que celui réalisé dans le cadre de la filière générale (entaché toutefois, en filière générale, par la disparition de l’esprit classe en enseignement de spécialité du fait de la réforme, avec des élèves qui se connaissent bien moins entre eux).

Propos recueillis par Julien Cabioch

Scénario pédagogique

Vidéo 1

Vidéo 2

Dans le Café

Les SVT en stop-motion