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Comment penser le bien-être pour faire face à l’état de tension des établissements ? Je vous propose de penser comment et pourquoi poser des actes de bienveillance et de bien-être pour diminuer les tensions dans les établissements.

Nécessité d’une autre école ?

La situation de pandémie, les couvre-feux et autres confinements mettent à jour que l’Ecole n’est pas prête à se transformer pour favoriser le bien-être et la bienveillance, considérés comme antinomiques. Je rappelle, comme le soulignait la semaine dernière Yves Reuter, qu’il y a au contraire une covariance entre les performances scolaires et le sentiment de bien-être, tous deux soutenus par la bienveillance des enseignants et autres adultes de l’école. Comme cela avait été signalé précédemment, il est urgent que l’école développe des lieux d’écoute mutuelle avec l’ambition de se constituer comme un espace favorable à l’épanouissement des élèves, leur fournissant des moyens de lutter contre les tensions provoquées par la pandémie, pour continuer à apprendre.

C’est la nécessité d’une autre école, d’une autre formation (initiale, continuée et continue) des enseignants qui est mise en avant. En effet, peut-on encore penser une formation des enseignants sans prendre en compte dans ces dispositifs la compréhension et la connaissance du développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent ? Peut-on encore envisager une formation continue descendante, hors des réalités vécues quotidiennement par les équipes sur le terrain ? La perte de ces objets d’enseignement et de réflexion dans les formations professionnelles, depuis l’accent mis dans les textes et non dans les pratiques effectives sur ces savoirs, entraine de grandes difficultés dans les établissements. Il faut développer des habiletés pour la compréhension et la prise en considération de l’élève dans la totalité de sa personne, lors de l’enseignement, dans les pratiques éducatives et les relations dans l’école, afin de poser des actes de prévention de ces tensions ou des actions appropriées pour y faire face de concert.

Des actions sont possibles

En effet, les équipes sur le terrain font de leur mieux, éprouvent leurs limites et demandent des compléments de formation surtout tournés vers les informations sur le développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent et sur les formes d’ingénierie possibles pour le prendre en compte dans leur quotidien. La situation de pandémie et les tensions qu’elle entraine devraient être l’occasion d’instituer des modalités nouvelles, adaptées et adaptables d’intervention auprès des équipes pour les aider à enseigner dans le meilleur épanouissement possible des équipes et des élèves. Présentons quelques éléments, à l’occasion des semaines du bonheur à l’école, autour de la journée mondiales du bonheur (20 mars ; semaine du 15 mars en France hexagonale, du 22 mars en Guadeloupe, Martinique et Guyane et du 29 mars à la Réunion). Prenons trois pistes pour favoriser cet épanouissement et diminuer les tensions dans les établissements (laissant, un peu, de côté la formation initiale autre grand chantier).

Une écoute attentive et une disponibilité

Ecouter les élèves de manière empathique, avec la capacité, l’espace d’un instant, de ressentir ce que l’autre ressent ; c’est possible en organisant par exemple des lieux et des moments d’expression tels que le « débat contradictoire écrit » proposé dans un collège. Une cheffe d’établissement explique que le fait de donner aux élèves l’occasion de porter leur témoignage par écrit et surtout de leur garantir que le contenu sera pris en compte et enfin de tenir cet engagement, même en leur disant et expliquant que certaines choses ne sont pas possibles, cela a permis d’apaiser les choses. « Nous avons appris les réalités de vie difficiles de certains élèves, des signalements ont été faits. Même les élèves de SEGPA ont pu s’exprimer, cela a été bien utile », précise-t-elle. Eviter les faux témoignages, avoir quelqu’un qui l’écoute et qui lui parle pour le restituer dans l’estime qu’il a de lui-même, voilà une forme d’écoute appréciée par l’élève et qui s’est avérée efficace.

Une écoute active et pour l’action

Il s’agit donc de l’importance d’écouter ce que les élèves ont à dire de ce qu’ils vivent durant cette période avant de chercher systématiquement à « combler des manques ». Quels que soient l’âge et le niveau scolaire, ils vivent plus ou moins heureusement cette période, mais ils cherchent tous à la vivre du mieux possible, malgré l’adversité. Il faut une écoute active qui cherche à comprendre, qui demande l’attention à « ce » qui peut avoir entraîné de la joie, du bonheur chez ces élèves, malgré les conditions. Il s’agit « d’entendre » ce qu’ils disent, plus ou moins explicitement, à travers des mots, des gestes, des attitudes, et de rechercher les vrais objets en cause dans les moments de crise et d’explosion de violence, pour la prévention des débordements et des éclats. Il est aussi question de bien situer les responsabilités à travers les actes qu’ils posent et qui peuvent concerner la co-éducation. Par exemple, comme cela m’a été rapporté, l’élève qui réagit en cherchant absolument à répondre à son portable lorsqu’il est appelé par sa mère en pleine classe et qui insulte le professeur qui lui demande de ranger son téléphone en lui rappelant le règlement, n’est pas le seul responsable de cette situation. Il est évident que la mère dans cet exemple est tout aussi responsable. L’acte de l’élève est sanctionné, mais un espace de dialogue avec le parent a aussi été proposé par l’équipe éducative par la prise d’un rendez-vous avec une psychologue.

Constituer une équipe et penser des accompagnements

Prendre au sérieux les tensions dans les établissements nécessite aussi la constitution de véritables équipes, capable d’objectivité dans leurs analyses, tournées vers un but commun, ceci permet de ne pas se sentir seul et par conséquent d’être plus efficace. Le travail d’équipe permet aussi d’oser les pratiques alternatives (pédagogies actives, utilisation du jeu dans une approche psychodidactique…) qui se révèlent absolument nécessaires lorsque les habitudes sont mises à mal. Parmi les approches différentes, faites avec les jeunes (« Ce qu’on fait pour les autres, sans les autres, est contre les autres. » (E. Morin, Journal, 1992-2010), nous soulignons les démarches nouvelles d’accompagnement des équipes sur le terrain pour faire face à leurs réalités, par des organisations ad hoc et flexibles, en mesure de se constituer en fonction des demandes et des besoins des équipes scolaires. Les propositions de certains universitaires (masters, DU) et les résultats de recherches issus de l’approche inclusive constituent des pistes. C’est ainsi que des exemples concrets d’actions menées cette année et durant ces semaines du bonheur à l’école, malgré les difficultés que nous connaissons, sont partagés par les Ecoles du bonheur , constituant un vivier où tout un chacun peut puiser et partager. Tous les exemples d’actions réalisées et rassemblés sont menés par les CPE, professeurs, documentalistes, etc, ils sont encore en cours pour la plupart et constituent un formidable souffle d’air pour tous en cette période. Chaque établissement, école, chaque adulte est libre de s’en inspirer et de partager ses propres expérimentations de lutte contre les tensions, pour le bien-être de tous à l’école.

Line Numa-Bocage

Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS.