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Les établissements ferment. Comment vais-je organiser mes cours, cette fois ? Certes, l’année dernière, nous avons acquis une expérience : nous avons développé de nouveaux gestes professionnels, pris en main une multitude d’outils pour en conserver ceux qui nous conviennent le mieux, selon notre style. Pourtant, la situation est encore différente par rapport à l’année dernière. Et nous avons peu de temps pour réfléchir et pour agir ; mais ça, c’est habituel maintenant.

Motiver

Première problématique : comment motiver nos élèves à travailler à distance, jusqu’au début du mois de mai ? Il faut prendre en compte la temporalité déséquilibrée des quatre semaines à venir, et motiver suffisamment les troupes pour qu’après les vacances tout le monde revienne en distanciel. Là aussi, il faut penser les contenus pour parer à toute éventualité : l’école reprendra-t-elle plein pot, reprendra-t-elle avec une jauge (avec quelle organisation ?), ou ne reprendra-t-elle pas (j’ai compris que ce n’est pas le plan, mais nous avons vu des plans être contrariés, ces derniers temps) ? C’est là que construire des séances, les intégrer à des séquences devient délicat : la tentation de verser dans l’occupationnel est alléchante. Mais pas satisfaisante, et au final pas envisageable, évidemment. Tout de même, prévoir une organisation pédagogique et didactique qui résiste à tous les scenarios ressemble à la quadrature du cercle.

Transposer ?

Ma programmation initiale est donc caduque, car non, on ne peut pas transposer directement nos cours en présentiel à un dispositif en distanciel, n’en déplaise à ceux qui pensent que notre travail est simple. Je ne peux pas introduire des notions qui demandent de la manipulation de la part des élèves. Je dois veiller à choisir des thèmes qui ne posent pas de difficultés particulières sur le plan du langage, car les échanges seront de nature différente et moindres Exit donc la découverte en actes du fabuleux nombre π, bye-bye les translations avec projet sur les pavages de l’Alhambra, et report de la résolution d’équations, qui nécessite des représentations et des formulations dynamiques, en lien les unes avec les autres.

Il faut ensuite se préparer aux difficultés pratiques : certains élèves entendront neuf phrases sur dix ou seront plus ou moins brièvement privés d’image, ce qui peut sembler secondaire mais nuit évidemment à la compréhension globale. Mieux vaut se tourner vers des contenus avec une part plus grande de procédural, sans négliger l’accès au sens. Et il faut penser à ceux qui n’ont pas d’accès à internet ou dont les parents occupent l’ordinateur pour leur propre activité professionnelle : pour ma part, cela signifie, pour chaque séance menée, préparer des supports qui leur seront transmis, en vidéo, version papier… Sans m’épuiser.

Rythmer

Ensuite, il faut penser le rythme des heures de cours : rester concentré devant un écran, avec à côté un discord pour papoter avec les copains, le chat qui réclame ses croquettes et trois déconnections-reconnections dans l’heure, ce n’est pas facile pour nos jeunes. J’ai donc opté pour un schéma ritualisé un peu différent de l’année dernière : on résume ce qu’on a appris la fois précédente, on corrige les exercices du jour, on remédie aux difficultés en reformulant de toutes les façons possibles, on travaille un point nouveau, facile à résumer, on construit la trace écrite et on explique la consigne des exercices pour la fois suivante. A chaque fois, il y aura quelques exercices du manuel (pour ne rien avoir à faire imprimer aux familles) et un quiz en ligne. Et j’ai prévu des heures d’aide aux devoirs, pour chaque classe, pour décharger les parents et pour que les élèves résolvent les exercices dans le sens de ce que nous avons appris ensemble.

Comprendre

Enfin, je dois trouver le moyen d’avoir un retour de la compréhension des élèves. La semaine précédente, une de mes classes de sixième a fermé. Je ne pouvais pas organiser de distanciel, car j’étais au collège pour les autres classes, avec un emploi du temps évolutif, au gré des classes qui ferment et des déplacements de cours pour éviter soixante élèves dans la salle de permanence. Cette fermeture m’a montré que les élèves n’avaient pas du tout compris ce que j’avais essayé de leur expliquer.

Il était question de fractions. Nous avons introduit les fractions, jusqu’à arriver au concept-clef de la fraction en 6e : 2/7 (par exemple) est un nombre, pas seulement une proportion. C’est le nombre qui, multiplié par 7, donne 2 unités. C’est révolutionnaire et très complexe, en sixième. Heureusement, ça, c’était fait, et nous avons eu le temps de consolider par des exercices.

Mais ensuite, j’amenais les élèves à décomposer puis encadrer des fractions. Par exemple, s’il s’agit d’encadrer la fraction 20/9 par deux nombres entiers consécutifs, nous écrirons 2 < 20/9 < 3, car 20/9 est égale à 18/9 + 2/9. J’ai fait ce cours en classe avec mes autres élèves de sixième, j’ai tourné une vidéo pour expliquer aux élèves de la classe fermée. J’avais adjoint un petit quiz en ligne, avec juste quelques questions. Hé bien il a été complètement raté. Les élèves me disaient avoir compris, avaient fait leurs exercices, je n’ai reçu aucune question, mais le quiz, qui reprenait les mêmes savoirs, m’a montré que ça ne va pas du tout.

Pourtant, j’avais le sentiment que les vidéos renvoyaient le même contenu qu’en classe. Sauf qu’en classe, nous sommes ensemble. Je ne vois que le haut du visage des élèves, mais c’est déjà ça : le masque ne cache pas les sourcils qui se froncent, les épaules qui tombent de découragement, les mains qui se crispent sur un stylo. A distance, l’élève qui se trouve dans ce cas décroche, simplement : je ne suis pas là de la même façon pour le relancer et le rassurer. Ce petit quiz innocent m’est très précieux : il est mon indicateur principal de compréhension des élèves. Je sais qu’avec cette classe, je dois recommencer autrement. J’ai donc décidé de proposer un quiz de cinq questions, très simple et très court, à l’issue de chaque séance. Tous mes quiz sont autocorrectifs, ce qui diminuera le temps à y consacrer de mon côté. Il faut que je pense bien à préciser aux élèves qu’ils doivent absolument le faire sans aide, que c’est important pour moi. Qu’ils reçoivent de l’aide par ailleurs, pourquoi pas s’ils ont la chance de pouvoir en bénéficier (encore que si j’étais claire, ce serait inutile). Mais sur le quiz, je veux du direct élève-prof.

Conclure

Pfiou. Bien. Mes quiz sont prêts, un déroulé de la semaine aussi. Nul doute qu’il va voler en éclats dès le premier jour ; je m’adapterai au mieux à ce moment-là. Est-ce que je suis prête ? Je n’en sais rien. Prête à encaisser le choc, oui, je crois. Prête à être efficace, je le saurai plus tard. Je suis positive, en tout cas, déterminée à aider tous mes élèves, à leur donner accès à des savoirs. Et je suis lucide, aussi, quant au contexte politique. Mais c’est une autre histoire.

Claire Lommé