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Alors que les enseignants français renouent avec le distanciel et la classe à la maison, rares sont ceux qui affirment avoir été préparés, formés ou même accompagnés par l’institution… Comme on l’a beaucoup lu sur les réseaux, c’est le « démerdentiel » qui prend le pas sur toute autre forme d’organisation… Contrairement au ministère de l’éducation nationale, les professeurs et professeures ont su apprendre du précédent confinement : ils n’attendaient rien des outils proposés par la rue de Grenelle. « Je ne veux pas être de ceux qui disent « je l’avais bien dit », mais je me doutais bien que leurs réseaux planteraient à nouveau… » explique Bruce Demaugé-Bost, enseignant à l’école Federico Garcia Lorca de Vaulx-en-Velin (69).

Bruce, Sophie et Gabrielle sont tous trois enseignants du premier degré. Le premier dans une école élémentaire de Vaulx-en-Velin (69), la seconde en maternelle à l’école maternelle Guy Môquet de Stains (93) et la dernière en ULIS au collège Paul Éluard de Garges-Lès-Gonesse (95). Tous sentaient que le confinement et la fermeture des écoles leur pendaient au nez, alors ils avaient commencé à préparer parents et élèves à cette éventualité.

En maternelle

Sophie Le Buzellier enseigne à des petites sections dans une école classée REP+. C’est dès le premier jour d’école que Sophie a commencé à préparer parents et élèves à l’éventualité d’une fermeture des établissements scolaires. « J’ai toujours travaillé avec l’application Klassroom. C’est une application gratuite – sauf si l’on veut des options supplémentaires. Dès le premier jour, j’ai encouragé les parents à la télécharger. Pour faire vivre cet outil et permettre aux parents de voir un peu ce qui se passe en classe, tous les jours, je publie des petites vidéos de moments d’apprentissages. Les parents les regardent et font souvent des commentaires. Au début, c’était pour privilégier le lien entre l’école et la famille et permettre aux enfants de verbaliser à leurs parents ce qu’ils font en classe. Avec le premier confinement, on s’est vite rendu compte que cet outil était parfait pour la continuité pédagogique en maternelle, je mettais des activités, des vidéos, les enfants et parents aussi. C’est pourquoi je l’ai fortement investi dès la rentrée 2020. Cette année, j’ai, en plus, ajouté une publication les weekends dans laquelle je lis l’album travaillé en classe. Alors quand ma classe a fermé, dix jours avant la fermeture officielle suite à la détection d’un cas de covid, c’est tout naturellement que le relai s’est fait ». Lorsqu’on questionne Sophie sur l’accompagnement institutionnel dont elle a pu bénéficier, elle s’étrangle : « nous n’avons eu aucune préparation. Sur les dix-huit heures d’animations pédagogiques, on aurait pu espérer qu’il y en ait quelques-unes dédiées à l’enseignement à distance. Mais non, rien. C’est dire l’anticipation au niveau de notre hiérarchie ». Elle reconnaît toutefois que son directeur leur a transféré un mail dans lequel on demandait à chaque enseignant de vérifier qu’il ait bien toutes les coordonnées des familles. A croire que l’institution est très exigeante avec ses agents, mais pas autant avec ses services vu les couacs mémorables rencontrés dès le premier jour d’enseignement à distance, une cyberattaque a expliqué Jean Michel Blanquer….

En Rep+

Du côté de Vaulx-en-Velin, même son de cloche. Pour Bruce, nul doute sur l’impréparation des outils ministériels. « Lors du premier confinement, j’étais parti bille en tête sur les différents supports proposés par l’éducation nationale, comme le CNED, mais ça a vite planté. Je n’arrivais pas mettre en place la continuité pédagogique, alors je me suis orienté vers d’autres outils ce qui m’a permis d’échapper aux déboires des collègues utilisant exclusivement le CNED. Alors après l’annonce de jeudi, je me suis dit qu’il n’y avait pas forcément de raisons qu’ils aient amélioré les choses… ». Bruce a donc préparé des documents écrits qu’il a remis aux élèves, « cela devrait durer trois jours, ce n’est pas donc aussi anxiogène que mars dernier où l’on ne savait pas trop où on allait… ». Chaque élève est donc reparti vendredi dernier avec trois petits livrets contenant des activités de révision à faire sur papier mais aussi des QR codes renvoyant à des liens vidéo comme l’émission c’est toujours pas sorcier… Bruce n’a pas prévu de visioconférence avec ses élèves cette semaine, mais il les sait préparés à cette éventualité puisqu’à chaque fois qu’un enfant était cas contact il lui proposait de suivre certains cours à distance, en visio. Ce choix, il l’assume pleinement, « beaucoup de nos élèves ont des frères et sœurs au collège et n’ont pas un ordinateur ou une tablette chacun. Je sais que dans le second degré, les élèves doivent suivre des cours à distance, alors je les privilégie. Et si la situation devait se prolonger, je proposerai des créneaux qui bouleverseront le moins possible ce précaire équilibre…

Pour garder le lien avec ses élèves, Bruce passe lui aussi par une application privée, Beneylu school, qui elle n’a pas planté. Les élèves ont la possibilité de poser des questions, de déposer des activités un peu quand ils peuvent. « Les réalités sont très différentes selon les familles, tout le monde subit énormément de contraintes, alors si on peut fluidifier un peu les choses en permettant aux élèves de se connecter au moment le plus opportun… ». Du côté de la formation, Bruce reconnaît avoir eu la possibilité de participer à un parcours sur l’enseignement à distance sur la plateforme M@gister mais avoir préféré un autre contenu.

En ULIS

Pour Gabrielle Bonhomme, cette fermeture n’est pas non plus une surprise, pour autant ce n’est pas sans inquiétude qu’elle a quitté ses élèves vendredi dernier. Enseignante en ULIS, son public est composé d’élèves en situation de handicap rencontrant des difficultés de compréhension et de mémorisation, même lorsqu’elle est près d’eux et qu’elle étaye au maximum les apprentissages. Le distanciel ne va pas permettre ce travail. De plus, ses élèves sont, pour leur grande majorité, de milieux défavorisés. Les parents travaillent à l’extérieur, ils sont généralement ouvriers, et n’ont pas forcément les outils pour un enseignement à distance serein. D’ailleurs les élèves, contrairement au premier confinement, était loin d’être ravis de la fermeture des écoles. « Beaucoup m’ont demandé s’ils ne pouvaient pas venir quand même en classe… » Alors lorsqu’elle s’est rendu compte que l’ENT ne fonctionnait pas mardi, elle était certes énervée mais s’y attendait presque… « Cette fois-ci, j’ai essayé de m’organiser, et tout cela en deux jours et deux nuits. J’ai préparé un plan de travail pour chacun d’entre eux. J’ai pris le temps de bien tout leur expliquer ». La coordination avec les autres professeurs dans les classes desquels les élèves sont en inclusion n’a pas été évidente, « on était tous très pris par l’organisation du distanciel. Aujourd’hui on a pris le temps d’échanger pour éviter que les élèves ne soient noyés sous le travail ». Un point positif par rapport à l’année dernière, selon Gabrielle, c’est que les élèves, et leurs parents, savent que les profs sont facilement joignables par mail ou par téléphone pour les aider. Quand on l’interroge sur l’accompagnement par l’institution à l’enseignement à distance, Gabrielle répond qu’elle n’a bénéficié ni du l’un ni de l’autre, mais qu’elle avait appris à faire sans, « je ne compte plus ni sur leurs outils ni sur leur formation… ».

Bonne ou mauvaise nouvelles, les professeurs et professeures des écoles ne comptaient pas vraiment sur l’institution pour mettre en place cette courte période, trois jours, de continuité pédagogique. Et force est de constater qu’ils n’ont pas eu tort…

Lilia Ben Hamouda