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C’est pas moi, a répété, à sa façon, toute la journée JM Blanquer après la série de pannes qui a touché les espaces numériques éducatifs en ce premier jour de la généralisation de l’enseignement en distanciel. La plupart des ENT ont été hors service une partie de la journée; Les sites du Cned (ma classe à la maison , la classe virtuelle) également. JM Blanquer s’est élégamment défaussé de ses responsabilités sur les industriels, les collectivités locales avant de dénoncer des attaques venues de l’étranger qui ont suscité l’ironie des enseignants. A chaque communiqué la part de ces attaques diminuait jusqu’à n’être plus qu’évoquées dans la soirée…

La même panne qu’en mars 2020

Les enseignants ont vécu le 6 avril ce qu’ils avaient vécu le 16 mars lors de la première fermeture de tous les établissements scolaires. Tous les serveurs utilisés pour assurer l’enseignement à distance ont flanché. Les ENT d’Ile-de-France, des Hauts de France, du Grand Est, d’Aquitaine, d’Occitanie ont flanché, certains (les premiers) plus longtemps que d’autres. Pronote a connu aussi quelques instants de défaillance avant de se reprendre. Les sites du Cned, Ma classe virtuelle et La classe à la maison ont été hors service la plus grande partie de la journée.

Tout était comme en mars 2020, sauf qu’on était un an plus tard. Alors que le ministre dit partout que tout est prêt pour l’enseignement à distance et que de grands progrès ont été faits, propos encore renouvelés le 6 avril devant l’Assemblée nationale par N Elimas, les enseignants se sont retrouvés sans outil pour travailler avec leurs élèves. Ils étaient tous au rendez-vous. C’est la bonne nouvelle. Mais ils ont encore été trahis par leur institution.

Erreur pour les ENT

Nuançons. JM Blanquer n’a qu’une responsabilité indirecte dans la défaillance des ENT qui dépendent financièrement des collectivités locales. La responsabilité du ministère c’est de ne pas les soutenir financièrement d’une part. D’autre part de laisser faire des regroupements forcés, comme on le voit en ce moment en Grande Aquitaine. Souvent (mais pas toujours !) les ENT départementaux ont mieux tenu que les régionaux.

Toute la journée le ministère a tenté de repousser sa responsabilité sur d’autres. Interrogé le matin dans une école parisienne, JM Blanquer dit que la panne des ENT dépend des collectivités locales « qui dépendent d’un opérateur privé qui a eu un incendie et n’a pu faire face ». Cette mention visait directement OVH, qui ne gère pas tous les ENT. Son responsable, Michel Paulin, a répondu dans un tweet que « cette information donnée par M le Ministre est erronée. Les problèmes de performance ne sont pas dues à OVHCloud et cela n’a rien à voir avec Strasbourg » (l’incendie).

Fables pour les outils du Cned

Par contre la responsabilité ministérielle est engagée pour la panne des outils du CNED, qui est officiellement une académie. Le ministère a vivement encouragé leur utilisation. La hiérarchie de l’éducation nationale a poussé à multiplier les visios. Et finalement les sites ne marchent pas.

JM Blanquer explique dans la même interview du 6 avril que la panne de Ma classe à la maison, un service du CNED, est due à des attaques « depuis l’étranger pour empêcher les serveurs de fonctionner ». D’ailleurs pour lui « ça ne veut pas dire que Ma classe à la maison ne fonctionne pas. Ca veut dire qu’il y a des perturbations ».

A l’appui de ce qui ressemble quand même à une fable, faute de preuve, le ministère a multiplié les communiqués. Un premier évoque « des attaques DDos simultanées ». Dans un autre communiqué le CNED parle de « plusieurs attaques DDos utilisant différentes techniques » et même de « plus de 20 attaques » dans la matinée, des « actes délibérés de malveillance ». Dans la soirée il n’était plus question que « d’actes de malveillance et un afflux de fréquentation » pour expliquer les « difficultés d’accès ». La seconde proposition nous semble beaucoup plus évidente.

En mars 2020, JM Blanquer avait déjà accusé « des hackers russes » d’être responsables des pannes générales lors de la mise en place de la continuité pédagogique. On les cherche encore… Il est beaucoup plus probable que les supports techniques n’ont pas été dimensionnés pour faire face à une demande élevée. Car tous les professeurs étaient , eux, au rendez-vous.

Résultat, selon le ministère seulement 500 000 élèves et professeurs ont pu utiliser Ma classe à la maison alors que 12 millions d’élèves ont été incités à y aller.

Réactions syndicales

Cette situation a été jugée sévèrement par les enseignants et leurs syndicats. « Anticipation et modestie font à nouveau défaut » a twitté Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa. « Dans le domaine du numérique il n’y a que lorsqu’on se met en situation réelle qu’on voit si ça tient pas en répétant « Tout est prêt ».

Pour les syndicats Snes Fsu franciliens , « les dysfonctionnements intervenus dès le matin du 6 avril mettent aussi en lumière le caractère totalement hors-sol des injonctions concernant les modalités de suivi des élèves à distance. Bien des chef·fes d’établissement n’ont pas tiré de leçons du premier confinement et exigent l’organisation de classes virtuelles, parfois selon un rythme imposé, quand ce n’est pas sur chaque créneau de l’emploi du temps ! C’est faire preuve d’une confiance excessive dans les outils mis à disposition par le Ministère, la région et les départements ».

Un désintérêt pour le numérique

Comment en est-on arrivé là ? Contrairement aux affirmations ministérielles selon lesquelles beaucoup a été fait, le CNED n’a vu son budget augmenter que très légèrement de 2020 à 2021, passant de 28.6 à 29.6 millions. Le soutien à la continuité pédagogique a augmenté de 1 millions. Un million c’est très peu pour adapter les outils du Cned à l’affluence de la continuité pédagogique. En même temps l’établissement rend 40 postes, soit 26 emplois réels en 2021.

Cela reflète le manque d’intérêt de JM BLanquer pour le numérique. Le grand plan d’équipement lancé par F Hollande en 2015 a été stoppé net par JM Blanquer et remplacé par des appels à projets qui permettent juste la survie des entreprises du secteur.

Le dernier plan des « territoires numériques éducatifs » représente 27 millions. Rappelons que celui de F Hollande visait le milliard. Il veut doter 2700 classes et 15 000 élèves de matériel. Très récemment la startup Lalilo soutenue par l’Etat, qui a financé ses expérimentations, s’est vendue à une multinationale américaine sans que cela suscite le moindre affect rue de Grenelle, si ce n’est les félicitations de la directrice de Canopé…

Finalement cette politique ouvre la porte aux Gafam. Les professeurs qui avaient misé sur les classes virtuelles de Microsoft ou de Google ont pu faire cours sans problème. Pas ceux qui ont cru leur institution. Quelle leçon !

François Jarraud