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« Comment donner du sens aux dernières heures de cours de la dernière journée d’une année somme toute assez étrange et éprouvante ? » Question pertinente posée par Marie-Claude Pignol, professeure de lettres à Pithiviers, et résolue ainsi : le dernier jour de l’année, ses élèves de 2nde se sont transformés en commando poétique pour aller dans tout l’établissement afficher et déclamer des poèmes avant de s’enfuir. L’activité montre comment resserrer in fine les liens avec la littérature, avec l’oral, avec les autres, avec l’établissement. Dans un contexte de gifles et enfarinages divers, c’est aussi comme la morale d’une année au lycée qu’adressent ainsi les élèves : et si on transmuait la violence sociale en circulation de la poésie ?

Comment est né ce projet de « commando poétique » ?

Au départ, j’ai conduit au pas de charge la séquence sur le théâtre, faute de temps, et j’étais, en particulier, assez frustrée de ne pas avoir pu du tout travailler la déclamation de vers de Racine, d’autant que nous avions travaillé pas mal la diction du vers sur la poésie en début d’année. Bizarrement, cette semaine, j’ai également repensé à ces vers écrits sur des autocollants et disséminés dans Poitiers dont Hélène Paumier avait diffusé les photos au printemps dernier. J’ai combiné les deux et c’était parti pour le commando poétique !

Comment avez-vous lancé le projet ?

Au début, j’ai pensé qu’on pourrait attaquer la ville de Pithiviers mais j’ai eu l’idée beaucoup trop tard pour que ce soit matériellement possible. En revanche, dans l’enceinte du lycée : pas de soucis ! Donc, sans leur expliquer pourquoi, j’ai demandé aux élèves de chacune de mes deux classes de seconde de rapporter pour le dernier jour leur exemplaire de « Bérénice », le recueil poétique sur lequel nous avions travaillé en début d’année ainsi que leur carnet de lecture. Moi, j’ai amené les post-it de couleur. Nous étions prêts pour les commandos poétiques !

Quelles ont été les étapes de préparation ?

La 1ère étape a été de fabriquer les « bombes poétiques ». Chaque élève devait choisir un vers (éventuellement deux) : alexandrins, décasyllabe ou octosyllabe et l’écrire au centre du post-it en indiquant uniquement le nom de l’auteur (un commando c’est discret et anonyme, en principe). La 2ème étape a permis de s’entrainer comme les soldats d’élite de la poésie que nous étions. Pour amorcer la bombe poétique, chaque élève devait déclamer son vers soit à haute voix, soit en murmurant. Donc, les élèves ont travaillé la diction, chacun pour son vers.

Comment s’est déroulé le passage à l’action ?

A la 3ème étape, il s’est effectivement agi de s’engager dans la mission poétique. On a lancé l’assaut. Le matin, une seconde a inondé de post-it colorés le second étage juste avant la récréation. Tout le monde a joué le jeu, même les plus timides ont osé déclamer. La stagiaire en observation dans ma classe s’est également bien volontiers prêtée au jeu. A la récréation, nous étions revenus dans la salle, joyeux, contents.

L’autre classe de seconde est arrivée en cours à l’heure suivante avec des interrogations sur ces vers et ces post-it : l’effet de surprise et d’interrogation fonctionnait bien. Avec cette seconde classe, on a également préparé des bombes (cette fois, deux par élèves) puis nous nous sommes retrouvés l’après-midi et nous avons attaqué d’abord dans la cours, puis les casiers des professeurs, le CDI l’administration, la vie scolaire, et le premier étage. A chaque fois : déclamation du vers pour amorcer, et dépôt de la bombe poétique puis fuite (plus ou moins discrète).

Quel bilan tirez-vous de l’activité ?

Tout le monde s’est bien amusé et nous nous sommes quittés sur cet envahissement de papillons et d’alexandrins roses et verts dans tout le lycée. Et n’est-ce pas à cela que servent la poésie et la littérature ? Faire ensemble, faire vivant, faire jeu, faire partager, faire circuler. Bref, faire vivre. C’était une belle et joyeuse façon de faire encore un peu de sens avec notre objet d’étude et de travail et de se dire au revoir.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Marie-Claude Pignol dans Le Café pédagogique

Une manif poétique via Le Café pédagogique