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Cette année scolaire qui se termine laisse les enseignants épuisés. Dans cette grosse fatigue il y a l’usure de mois de stress au fur et à mesure des évolutions de la crise sanitaire avec toutes les retombées sur le métier. Mais il y a aussi la démoralisation liée aux ultimes désillusions envers l’institution ou du moins ceux qui la dirigent. Alors que 2019-2020 avait été l’année d’une remarquable résilience, 2020-2021 est une année de cauchemar prolongé et de désillusions. Quelle trace en restera t-il ?

Une année marquée par l’assassinat de S. Paty

Un événement marque définitivement cette année scolaire, c’est l’assassinat de Samuel Paty. Cet enseignant a été tué simplement parce qu’il faisait son métier. Ce drame a été prolongé par la façon dont il a été géré par le ministre. Il y a eu l’interdiction des réunions d’enseignants puis l’utilisation de ce drame dans le combat politique du ministre sur le thème de la laïcité. La façon dont l’institution s’est auto-félicitée sur sa gestion des incidents ayant conduit à l’assassinat d’un enseignant n’est, elle aussi, pas prête d’être oubliée.

Désillusions sur la gestion sanitaire

Désillusions aussi sur la gestion de la crise sanitaire. Les enseignants avaient vécu en 2019-2020 les consignes contradictoires à répétition, les protocoles à répétition et la sidération de leur administration. C’est le fameux « radeau de la méduse », dont parle un numéro de la revue de l’AFAE. Ils ont revécu cela en 2020-2021. Comme si l’institution n’avait rien appris et rien préparé, sentiment qui persiste probablement aujourd’hui.

La particularité de cette année c’est la façon dont leur institution a géré la vaccination des enseignants. Alors que dès décembre on voit arriver le variant anglais et que l’on sait qu’il touche aussi bien les jeunes que les adultes, les enseignants ne sont pas dans la liste des emplois prioritaires pour la vaccination. Cela alors même qu’ils le sont dans la plupart des pays développés. Ils ont lu des données irréalistes publiées chaque semaine imperturbablement par le ministère. Ils ont vu leur ministre alléger le protocole plusieurs fois dans l’année au moment où le gouvernement durcissait les conditions sanitaires. Ils ont entendu le ministre de l’éducation nationale et le premier ministre nier la transmission de la maladie dans les écoles. Cela alors qu’il fallait finalement en avril fermer en urgence ces écoles pendant un mois pour le second degré et trois semaines pour le premier. Leur institution se soucie t-elle de leur santé (et même de leur vie) ? Dans cette seconde année de pandémie les demandes de 2019-2020 en ce qui concerne le matériel sanitaire personnel, l’équipement et l’adaptation des locaux ne sont toujours pas satisfaites. Il semble que cal va continuer en 2021-2022…

Désillusions sur le métier

Désillusions sur la revalorisation. Après avoir promis 10 milliards , finalement on arrive à 12.50€ par mois pour la plupart des enseignants en 2020. En 2021 la revalorisation se limite à 245 millions. On ne sait pas encore comment cette somme sera partagée sur les 8 ou 9 premiers échelons mais cette année encore la revalorisation ne concernera qu’une minorité des enseignants et pour des sommes modestes pour les autres. Même la prime de Rep+ pour sa dernière tranche est rabotée. Finalement seulement un quart des enseignants concernés en bénéficieront.

Désillusions sur la considération qui leur est portée. Cela se lit dans la poursuite des réformes. JM Blanquer avait annoncé qu’il les continuerait. Il a tenu parole. Malgré de fortes oppositions, le ministère applique la réforme du lycée et impose un « vrai » controle continu pour le bac, un examen qu’il n’est plus capable d’organiser. Dans le premier degré, le ministre passe en force la réforme des directeurs en faisant d’eux des supérieurs hiérarchiques dans les écoles à décharge complète. Il lance une réforme de l’éducation prioritaire qui vise à récupérer les moyens des rep. Seule la réforme de la maternelle semble avoir été modifiée en fonction des réactions des professionnels. Dans tous les autres cas le bulldozer Blanquer écrase tout sur son passage et poursuit en justice ceux qui s’opposent à lui.

Il est temps de tourner la page

« L’année a été éprouvante à bien des égards », nous a dit Sophie Vénétitay, la nouvelle secrétaire générale du Snes Fsu. Elle ajoute que c’est une année « qui a fait du mal à nos métiers et qui laissera des traces ».

Pour le moment les enseignants ont surtout le souci de tourner la page et d’oublier pendant 6 semaines ce qu’ils ont vécu. Mais on peut s’interroger sur les traces de ces désillusions. On sait par le baromètre Unsa que seulement 6% des enseignants partagent les orientations ministérielles. Une majorité de cadres leur est également hostile, ce qui est nouveau.

L’écart entre la réalité et les propos ministériels va se voir dès la rentrée. La montée du variant delta laisse craindre que la situation sanitaire pèse à nouveau sur la rentrée. Les conditions d’exercice , avec des suppressions de postes dans le 2d degré et des élèves supplémentaires vont encore se dégrader. Et les mesures d’accompagnement des élèves annoncées par le ministre semblent relever de la communication davantage que des possibles. Dans quel état psychologique les enseignants vont-ils rentrer ? Accepteront-ils les tâches non obligatoires qui permettent au système de tourner ? Ou vont-ils davantage se mettre en retrait ?

D’ici là nous leur souhaitons six semaines de repos et de plaisirs. Ils ne sont pas de trop.

François Jarraud