Print Friendly, PDF & Email

Le manque d’AESH est devenu une question récurrente lors de chaque rentrée scolaire, et cela malgré la hausse continue de leurs effectifs depuis 2006. Parallèlement, compte tenu des effectifs et du système d’emploi et de rémunération adoptés, les AESH sont désormais un objet incontournable de revendication sociale dans le mouvement général, comme pour le mouvement de ce 23 septembre 2021, mais aussi à titre spécifique comme l’annonce l’appel à la journée nationale des AESH du 19 octobre. Comment peut-on expliquer que ce sujet soit encore et toujours en tension ?

Une croissance exponentielle

Depuis 2006, et la mise en application de la loi handicap de 2005, l’un des grands « marronniers » de la presse quotidienne régionale comme de la presse nationale revient lors de chaque rentrée scolaire : les élèves handicapés sans AVS-AESH, et donc le manque d’AVS-AESH. Cette question a fait irruption dans la vie politique nationale lors du débat du second tour de l’élection présidentielle de 2007. On se souvient de la passe d’armes extrêmement tendue entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal qui revendiquait une colère « saine » en attaquant son adversaire sur sa supposée ignorance des besoins en AVS des élèves handicapés. Depuis, il n’y a pas eu une seule rentrée scolaire sans que la question ne hante les parents et associations, les élus locaux, les enseignants et leurs syndicats, les AVS-AESH, et finalement toute la hiérarchie de l’Éducation nationale, des établissements jusqu’au ministre lui-même. Sept ministres de diverses couleurs politiques se sont succédé durant cette période, et pour la rentrée 2021 comme pour les précédentes depuis quinze ans, la presse s’est encore remplie d’articles faisant état d’un manque d’AESH. Cette année, par exemple, Le Figaro et Charlie Hebdo ont consacré un article majeur à cette question, confrontant les informations qui leur sont présentées par les grandes associations du handicap et celles qu’ils ont recueillies auprès du ministère, le tout illustré de témoignages de parents souvent déchirant et de professeurs et AESH désabusés. Les explications et hypothèses avancées dans ces articles sont diverses : la « froideur » intrinsèque prêtée à la machine « Éducation nationale », la réforme des Pial, l’indifférence de l’exécutif aux réalités, le manque de recrutement et les économies budgétaires. Dans le Progrès du 7 septembre, une enseignante et une élue de la FCPE disent à la journaliste : « on garde l’impression qu’il faut râler pour obtenir quelque chose ».

Que nous disent les données nationales sur cette question ? En 2006, rentrée qui vit l’application de la loi handicap du 11 février 2005, le nombre d’élèves ayant eu une notification d’aide humaine par la CDAPH s’élevait à 26 000, soit 22 % des 118 000 élèves en situation de handicap. En 2015, 124 800 élèves disposaient d’une notification d’aide humaine et leur proportion s’était accrue pour passer à 45 % des 280 099 élèves en situation de handicap. En 2020, le nombre d’élèves notifiés pour une aide humaine était de 224 237, soit 58 % des 386 500 élèves en situation de handicap. On ne peut que le constater, la hausse des besoins en aide humaine identifiés par les CDAPH est permanente, tant en effectifs qu’en proportion des élèves en situation de handicap. Cette croissance est même beaucoup plus forte que celle des élèves en situation de handicap : l’effectif de ces derniers a été multiplié par 3 entre 2006 et 2020, alors que l’effectif des élèves devant être accompagnés a été multiplié par 9. Face à ce phénomène, l’État, par-delà les alternances politiques, n’est pas resté inerte. Les moyens affectés dans le budget de l’Éducation nationale pour l’emploi d’AVS puis d’AESH ont également augmenté chaque année. Par exemple, depuis 2015, la série des dotations d’AESH en équivalent temps plein est parlante : 41 120 (2015), 51 940 (2016), 56 236 (2017), 60 509 (2018), 63 394 (2019) et 72 197 (2020). Mais cette course poursuite semble toujours insuffisante. Sur cette période, si les moyens en AESH ont augmenté de 76 %, les effectifs des élèves notifiés pour une aide humaine ont augmenté de 80 %. Le décalage est ténu, mais il existe et il semble récurrent. Les données de la rentrée 2021 ne sont pas encore consolidées, mais tout laisse envisager que le phénomène perdure : une hausse effective et substantielle des moyens alloués, mais toujours un peu inférieure à la hausse des besoins notifiés pas les CDAPH.

Une grande différenciation territoriale

Un autre phénomène doit également être observé qui complique l’analyse : la différenciation territoriale à l’échelon des départements. En effet, la décision de notification se prend à l’échelon de la CDAPH, c’est-à-dire à l’échelon départemental. Or chaque année, on observe des différences étonnantes. Par exemple, pour l’année 2020, la proportion des élèves en situation de handicap ayant une notification d’aide humaine a été de 74 % dans le Finistère, contre 38 % dans la Vienne, 49 % dans Puy-de-Dôme, 68 % dans le Pas-de-Calais, 57 % dans le Nord, 40 % dans le Val-de-Marne ou 58 % dans les Hauts-de-Seine. A priori, aucune donnée épidémiologique, socio-économique ou même géographique ne rend compte de cette différenciation qui couvre la carte de France d’une sorte de manteau d’Arlequin. Même au sein des académies, cette différenciation s’impose sans qu’on puisse l’expliquer clairement.

Dès lors, on peut comprendre que le ministère de l’Éducation nationale ait cherché à prendre en compte le territoire local dans la gestion de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap : d’une part parce que les effectifs des AESH et des élèves à accompagner sont si importants maintenant qu’une gestion intelligente des services exige une distribution territoriale du pilotage, d’autre part parce que la grande différenciation territoriale des besoins impose un regard de proximité pour y répondre avec un minimum d’efficacité. La réforme engagée en 2019 avec la création des services académiques et départementaux de l’école inclusive et le regroupement des établissements scolaires en pôles inclusifs d’accompagnement localisés (les Pial) avait pour ambition de répondre à ces réalités. Mais elle n’efface pas la hausse continue des besoins notifiés par les CDAPH, hausse qui semble ne pas pouvoir s’arrêter tant que 100 % des élèves en situation de handicap n’auront pas été notifiés d’une aide humaine. Ce qui ne peut qu’interroger.

Parallèlement, on l’a vu dans une précédente contribution, les effectifs des AESH ont tellement augmenté qu’ils constituent désormais la 3e catégorie professionnelle présente dans les classes après celles des professeurs des écoles et des professeurs certifiés. Dans son dossier de presse de la rentrée 2021, le ministère estime cet effectif à 125 500 AESH. Ils sont logiquement devenus un fait majeur dans le dialogue social et ils sont donc associés aux mouvements sociaux intercatégoriels de l’Éducation nationale, comme celui de ce 23 septembre 2021, notamment sur la question du gel du point d’indice puisque leur rémunération lui est indexée depuis cette année. Si le statut d’emploi des AESH est effectivement engagé dans une institutionnalisation réelle, il n’en demeure pas moins que ce processus est très long et qu’il part d’une situation originelle précaire et très peu valorisée, tant sur le plan de la rémunération effective que sur le plan des compétences et des conditions de travail. Or la charge sociale et psychologique prêtée à la fonction d’accompagnement des enfants handicapés est par nature très élevée. De ce fait, personne ne peut s’étonner que des mouvements sociaux catégoriels spécifiques aux AESH apparaissent dans l’agenda social, comme celui qui est annoncé le 19 octobre.

Un cocktail étrange et instable

Pour l’immense majorité des AESH, l’emploi à temps partiel imposé est la règle puisque le service est corrélé au temps d’accompagnement en classe des élèves. Avec un salaire établi sur un niveau 3 (ex-niveau V) dans la classification des certifications professionnelles, le montant mensuel perçu est objectivement très faible (avec la nouvelle grille, aux alentours de 750 € net pour un AESH débutant ayant un service à 0,62 ETP). En outre, le service n’est plus aussi « stable » qu’il l’était quand seules l’aide humaine individuelle (auprès d’un élève) et l’aide humaine collective (auprès d’une Ulis) prévalaient. Avec le développement de l’aide humaine mutualisée depuis 2009 et la création en 2019 de l’échelon opérationnel des Pial qui regroupent plusieurs établissements scolaires, il est potentiellement plus fréquent qu’un AESH soit conduit à accompagner plusieurs élèves sur la semaine, voire sur plusieurs établissements, et que les affectations évoluent dans l’année avec les besoins des élèves.

Les tensions en début d’année scolaire sont systématiques avec les notifications des CDAPH qui arrivent encore tardivement dans de nombreux départements, puis les besoins de remplacement qui tendent naturellement à se développer, en particulier avec la situation pandémique, avec les arrêts maladie ordinaires ou les congés de maternité, mais aussi avec les démissions pour cause de réussite à un concours ou accès à un autre emploi mieux rémunéré.

En outre, avec le développement de la territorialisation associé à la dichotomie de prise en charge budgétaire des AESH (titre 2 : « dépenses de personnel » selon la Lolf, ou hors titre 2 : programme « vie de l’élève »), la lecture de la chaîne hiérarchique et des référents administratifs s’est complexifiée au risque de devenir nébuleuse. L’employeur est le Dasen pour les AESH rémunérés sur le T2 et un chef d’établissement mutualisateur pour ceux qui sont rémunérés sur le HT2. Pour l’AESH, il est difficile de savoir qui fait quoi entre le directeur d’école, le principal de collège, le coordonnateur du Pial, ou son pilote (chef d’établissement et/ou IEN CCPD), le coordonnateur référent du service départemental de l’école inclusive, l’inspecteur chargé de l’ASH, le directeur académique des services de l’éducation nationale, le directeur des ressources humaines du rectorat, le service académique de l’école inclusive, le secrétaire général et le recteur. On y rajoutera le fait que les AESH peuvent intervenir dans le premier degré, dans le second degré, dans les établissements publics comme dans les établissements privés, chacun ayant son écosystème particulier avec ses us et coutumes, voire ses références propres.

Enfin, les contrats des AESH sont établis sur une année de 41 semaines et un volume horaire annualisé alors que l’année scolaire des élèves à accompagner ne compte que 36 semaines. Les rédacteurs du guide national et des guides académiques des AESH ont fait tout leur possible pour rendre lisible cette nébuleuse institutionnelle. Mais on peut comprendre que l’entreprise est très difficile, alors que le système évolue en permanence en vue d’être plus efficace et d’affronter la hausse permanente des effectifs.

En rassemblant les éléments de ce tableau, on saisit alors que la dialectique entre la hausse permanente des besoins et la lente et « précautionneuse » institutionnalisation de l’emploi des AESH forme un cocktail étrange et instable dont la régulation efficace et apaisée semble échapper aux tentatives successives des ministères concernés. Ce cocktail tend même à phagocyter toute la problématique de l’école inclusive. Se pose alors une double question. Quelle est, ou devrait être, la place des AESH dans l’école inclusive ? Et finalement, pourquoi la France a-t-elle crispé sa démarche d’éducation inclusive sur la seule dimension de l’accompagnement des élèves handicapés ? On y reviendra.

Dominique Momiron