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Quelle est la place du débat dans l’Ecole française ? Pour traiter cette question, la revue de l’AFAE (Administration & éducation n°172) convoque à al fois Alain Boissinot, ancien Dgesco, ancien directeur de cabinet et Jean-Michel Le Baut, professeur de lettres que les lecteurs du Café connaissent bien. Cela nous vaut un numéro davantage tourné vers le terrain. Dans ce numéro des professeurs de plusieurs disciplines montrent comment le débat peut trouver place en classe en lien avec la formation disciplinaire et l’EMI. La question du débat est ainsi posée au plus près des pratiques alors qu’elle a bien du mal à émerger, malgré le grand oral, dans une institution où la transmission et les fondamentaux sont à l’honneur. A Boissinot et les enseignants montrent pourtant que le débat peut servir l’un et l’autre. Alors si le débat a du mal à trouver sa place dans l’Ecole, c’est peut-être une question de valeurs. L’Ecole prépare t-elle vraiment à une société démocratique ?

Une forêt d’expériences pédagogiques

« Si l’on examine la situation pédagogique à l’aune des instructions officielles, le bilan est pour le moins contrasté. Certes l’instauration d’un « grand oral » au baccalauréat a donné un coup de projecteur sur deux domaines d’apprentissage étroitement liés et essentiels pour la maîtrise du débat : celui des compétences en matière d’oral, et celui de la capacité à argumenter. Mais ce grand oral, dont il faut espérer qu’il trouvera définitivement sa place, est un peu l’arbre qui cache la forêt », écrivent Alain Boissinot et Jean-Michel Le Baut dans la présentation du numéro.

En fait d’arbre, c’est quand même une petite forêt qui est montrée dans ce numéro. Et une forêt fort variée. Ainsi Sophie Bocquet Tourneur, professeure documentaliste, présente une séquence qui enrichit un travail sur des photographies truquées par des présentations orales dans une démarche d’EMI. Maryse Broustail, professeure d’histoire-géographie, travaille aussi sur l’EMI avec une mise débat, prudente et respectueuse, d’infox. « C’est justement parce qu’en fin de cette séance très animée – et qui plaît souvent aux élèves – l’échange oral a montré ses limites, qu’il faut leur demander un travail exigeant une prise de recul, une réflexion sur un temps plus lent que celui de la séance », note-elle. Elle montre ainsi des limites du débat.

Youness Elarif, professeur de lettres, détourne la culture du clash et du Rap Contenders pour des battle à fondement littéraire (ici un texte de Victor Hugo). « Dans le cadre scolaire, se confronter à la polémique donne une chance aux élèves de cerner les rouages d’une invective, et de les maîtriser. En termes de savoir-être, c’est offrir aux élèves la possibilité de capitaliser sur leur maîtrise réelle mais toute relative des réseaux sociaux, afin d’éviter certains pièges. C’est leur permettre aussi dans la « vraie vie » d’étoffer leur rhétorique, d’apprendre à gérer leurs émotions face à un moment de tension et de travailler leur capacité d’analyse », note -il.

Toujours en lettres, JM Le Baut revient sur le projet i-voix qu’il mène depuis des années. « Le projet i-voix montre combien il est possible au lycée de mener tout à la fois une pédagogie vivante de la littérature et une éducation citoyenne au numérique », explique t-il. En lettres toujours, Claire Tastet met des projets d’écriture au service de l’engagement citoyen (ici l’EDD) dans un vaste projet coopératif entrainant 5 professeurs de 2 établissements. Les textes sont écrits sur des pad collaboratifs et prennent différentes formes, par exemple des discours. Il aboutissent à une présentation sur scène. En lettres toujours, Julien Marsay travaille avec ses élèves la cartographie de controverses, une véritable initiation citoyenne au débat démocratique.

Le débat s’invite aussi en sciences. Marine Paulhiac-Pison, professeure de SVT, montre des stratégies pour combattre le complotisme en science. « Une première stratégie est de consacrer une séance complète dédiée à la désinformation scientifique… Une deuxième stratégie consiste à parsemer dans l’enseignement des moments « esprit critique ».

Débat, management et école démocratique

Le débat enrichit aussi l’enseignement primaire. Céline Le Caro en CP CE1 fait travailler les élèves sur des caricatures. « Il me semble nécessaire de commencer tôt cette éducation citoyenne, afin que l’élève développe dès le plus jeune âge son propre esprit critique, sa capacité à argumenter et à exposer ses ressentis. Cela passe aussi par toutes les formes d’expression, dans lesquelles le ressenti de l’élève est accueilli en tant que tel », explique t-elle.

La richesse de ces articles venus du terrain contraste avec le petit nombre d’articles écrits par des cadres de l’éducation nationale. Administration & éducation donne généralement beaucoup de place à ces acteurs là de l’éducation. Dans ce numéro on relèvera l’article d’Alexandre Bérenger, proviseur. « La place du débat dans la littérature managériale est révélatrice : autant elle est mise en avant lorsqu’il s’agit de questionner la gouvernance de l’organisation, autant elle est anecdotique lorsqu’elle est abordée comme un outil du management », écrit-il avant de donner des exemples contraires.

C’est que le système fonctionne davantage par injonctions que par débat. POurtant , le fil de ce numéro c’est de montrer l’importance du débat pour l’éducation citoyenne. C’est ce que rappelle Benoît Falaize dans un article éclairant. « Que serait une société démocratique qui confie à l’école le soin de préparer les élèves aux valeurs démocratiques et qui en refuserait, dans les pratiques scolaires, la démonstration quotidienne et son incarnation vivante ? » Cela illustre la place particulière du débat dans l’Ecole française. A la fois irremplaçable mais aussi en contradiction avec une Ecole qui est républicaine mais pas vraiment démocratique.

François Jarraud

Administration & éducation, Débattre à l’école : Enjeux et pratiques, n°172

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