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Peut-on par la créativité, aider les élèves à s’approprier une œuvre littéraire en lycée agricole ? Muriel Galmiche, professeure de français, et Véronique Puybaret, cinéaste, ont collaboré en ce sens lors d’une résidence d’artiste au lycée La Peyrouse de Périgueux. Le célèbre roman-feuilleton d’Eugène Sue « Les Mystères de Paris » y a ainsi repris vie grâce à une série animée qui a inspiré aux élèves bien des productions : exercices de playback, bandes dessinées numériques, gazettes historiques … « Le travail que nous avons expérimenté autour de la série en filière professionnelle offre la possibilité de séquences pédagogiques très riches et remporte l’adhésion des élèves. Cette expérience désacralise la littérature du 19ème siècle et rend accessible un patrimoine littéraire et culturel qui d’habitude indiffère ou angoisse de nombreux élèves qui préfèrent s’en exclure. » Eclairages …

Pouvez-vous présenter la série « Les Mystères de Paris » ?

« Les Mystères de Paris » est une série audiovisuelle adaptée de l’œuvre éponyme d’Eugène Sue. Elle est réalisée en 40 épisodes d’environ 3 minutes, à partir de gravures publiées à l’époque, animées en 2D. L’adaptation, littéraire de Véronique Puybaret, et graphique, de Matthieu Dubois, est fidèle au livre tout en étant plutôt amusante, proposant régulièrement des petites fantaisies anachroniques, ou des apartés documentaires ou personnels.

Le projet a été réalisé dans le cadre d’une résidence d’artiste : de quoi s’agit-il ?

Le dispositif de Résidence permet une rencontre avec un acteur du monde culturel contemporain sur une durée longue dont la présence irradie au sein de l’établissement. Les élèves mais aussi le personnel peuvent, dans différentes disciplines et sur des temps variés, profiter de cette présence.

Outre le travail de comparaison entre le roman et la série, vous avez déployé un exercice original de doublage en terminale bac pro : de quelle façon ?

Dans une première séance, les élèves, avec leur portable (succès assuré !), devaient relever et écrire, en visionnant sur Youtube, les dialogues d’un extrait défini en amont de l’épisode en question. Ils devaient se distribuer entre eux les rôles. Parallèlement, ils avaient aussi à remplir des fiches personnages (description, caractérisation, liens avec les autres personnages, vocabulaire difficile…) qui permettent de mieux les comprendre. Ces fiches sont nécessaires pour permettre une meilleure compréhension du texte sans laquelle l’analyse des personnages et de l’intrigue ne peut être satisfaisante.

Pendant les deux séances suivantes, nous avons organisé les séances de “playback” sur ces extraits, par groupe. L’exercice consiste à jouer, devant une caméra (un smartphone sur pied convient aussi), l’extrait dont les dialogues ont été précédemment relevés et appris. Nous filmons sans décors ni costumes, mais avec les déplacements nécessaires à l’action et quelques accessoires importants. Nous diffusons avec un petit haut-parleur, en même temps que les élèves jouent, le son de l’épisode afin qu’ils puissent bien repérer le rythme des dialogues.

Hors temps scolaires, via un banc de montage simple, les images filmées sont réintroduites au sein de l’épisode en animation. Il faut éliminer le son des élèves et garder celui de la série. Il est aussi nécessaire de monter quelques secondes de la série avant et après : les personnages en animation laissent soudain la place aux élèves qui jouent mais le son original de la série offre un continuum stylistique qui permet de comprendre tout de suite l’exercice. Des recadrages dans l’image (proposés par nombre de bancs de montage) permettent de faire des gros plans sur l’élève qui parle et proposer ainsi un découpage varié.

Quel bilan tirer de ce travail de playback ?

Les élèves ont beaucoup apprécié le résultat. Ces playbacks sont assez amusants à voir. Les élèves ont beaucoup aimé se voir ; ils sont souvent beaux et émouvants. Ceux qui savaient bien leur texte ont été valorisés car plus facilement intégrables avec le son, grâce au mouvement des lèvres. Plusieurs élèves, habituellement en difficulté, ont été très performants. Plus ou moins volontairement, certains élèves ont proposé de véritables réinterprétations des personnages, notamment en fonction de leur jeunesse. Les classes étant principalement masculines, les élèves qui avaient accepté de jouer des rôles de filles n’ont pas été moqués et se révèlent plutôt amusants. Nous avons enfin remarqué que certains élèves avaient des difficultés à se mettre dans la peau des personnages nobles comme s’ils n’avaient pas ce type de représentation sociale en tête (alors que le cinéma en a donné à foison…).

C’est un exercice d’appropriation de ce type de littérature, de situations et de niveaux de langage différents. Alors que le langage d’Eugène Sue n’est pas spécialement soutenu, nous nous sommes rendu compte que certains jeunes ne comprenaient pas ce qu’ils disaient, ou la situation de communication. Il a fallu passer par des explications contemporaines :

« -Là, tu vois, dans cette scène, il la drague !

-Ah, fallait le dire, madame ! »

Si c’était à refaire, ce serait intéressant de passer par une séance où les élèves réécriraient la scène avec leurs mots à eux, avant de revenir au texte de l’épisode (la plupart du temps, le texte du livre).

En 2nde professionnelle, vous avez utilisé l’application BDnF pour créer des bandes dessinées : comment avez-vous procédé ?

En salle informatique, nous avons travaillé en demi-groupe avec l’Appli BDnF. Une première séance a permis une prise en main du logiciel : les jeunes devaient créer quelques pages de BD avec les ressources existantes sur l’application. Nous avons préparé un petit tuto pour l’ouverture des pages à réaliser, puis les jeunes ont vite compris comment cela marchait. Ils ont été très créatifs, y compris les élèves un peu faibles. Ils étaient ravis de cet exercice sans contraintes, mêlant créativité et aptitude informatique. Tous étaient séduits par la propreté du rendu. Il est nécessaire de procéder aussi à un rappel des codes des BD traditionnelles (bulles de paroles et bulles de pensées, etc.) et des spécificités de cet art. Nous avons rappelé à cet égard la possibilité de faire des gros plans avec les fichiers images utilisés pour le travail. Enfin, il est important de vérifier avec le responsable informatique de l’établissement, en amont, l’endroit où chaque BD d’élève est stockée dans les ordinateurs collectifs. Nous avons été très déçus de ne pouvoir récupérer le travail déjà effectué (la BNF doit corriger prochainement ce problème pour les ordinateurs en réseau ; se renseigner auprès d’eux). Les pages déjà faites peuvent cependant êtres sauvegardées en .pdf.

Dans deux autres séances BD, nous avons introduit les 20 personnages principaux et quelques décors des « Mystères de Paris ». Il faut savoir que l’introduction des personnages nécessite leur détourage, pas spécialement facile à effectuer. Les consignes étaient assez souples : résumer sur 4 pages soit l’ensemble de l’histoire, soit un épisode de la série, soit le parcours d’un personnage. Les élèves pouvaient aussi récupérer dans la banque de données de base de la BDnF, des bulles, bien sûr, mais aussi des onomatopées, des accessoires, voire des décors et personnages. Ces mélanges ont donné des choses assez amusantes.

Les exercices de BD ont beaucoup plu, échappant au travail traditionnel. Le décryptage narratif fait en amont ou pendant les séances BD (héros et personnages secondaires, évènements importants, forme feuilleton) ainsi que les éléments documentaires dont nous avons souvent parlé en classe (milieux sociaux spécifiques au 19ème siècle…) ont bien été restitués dans cet exercice : raccourcis narratifs pertinents et amusants, niveaux de langage, décors différents selon les classes sociales…

En 1ère STAV, c’est une gazette à vocation historique et documentaire qui a été réalisée : pouvez-vous nous présenter ce travail ?

La professeur d’Histoire-Géographie, Madame Illande, a participé à cette Résidence en établissant des passerelles entre le programme (La France de 1789 aux lendemains de la Première Guerre Mondiale) et l’œuvre de Véronique Puybaret. Sur 3 séances de 2 heures, il a été demandé aux élèves d’écrire de courts articles sur certains éléments de contexte contenus dans l’œuvre d’Eugène Sue. Ont été proposés les sujets suivants, que élèves ont choisis puis travaillés en duo : la guillotine (gros succès !), les Socialistes Utopistes (assez bon accueil, le sujet ayant déjà été abordé lors de cours précédents), la Monarchie de Juillet, l’habitat parisien et les différentes classes sociales, les petits métiers de Paris, Eugène Sue, le succès des Mystères de Paris, la presse au 19ème siècle (beaucoup d’intérêt sur ce thème déjà un peu étudié auparavant), l’éveil des peuples, le Mur des Fermiers généraux, la démographie de Paris au 19ème siècle, la Seine et les métiers liés au fleuve, d’autres métiers disparus, l’hygiène et la Santé, l’esclavage, la colonisation.

L’exercice consistait à aller au CDI recueillir sur internet, par groupe de 2 élèves, des renseignements sur ces sujets, à écrire un article, à trouver une illustration idoine, et à relier la thématique travaillée au livre d’Eu gène Sue, dans une phrase de conclusion. Les élèves ont été très attentifs et assidus. Les articles étaient intéressants même s’ils demandent beaucoup de réécriture. Une dernière séance a consisté à lire devant la classe son article et à concevoir leur place dans une gazette de quatre pages qui peut être distribuée lors d’une projection de la série au sein de l’ensemble du lycée.

Quels prolongements à ces activités ?

Nous avons conclu les séances avec les Secondes par un exercice de production littéraire : les élèves devaient imaginer un héros moderne sur le modèle de Rodolphe de Gérolstein, ce qui a donné des projets très amusants de super-héros défendant les SDF, les injustices et les inégalités, luttant contre les violences faites aux femmes et aux enfants, ainsi que contre la souffrance animale !

Pour un devoir de fin de séquence type épreuve de bac professionnel agricole, il a été demandé une lettre, dont voici le sujet : « En tant qu’enseignant ayant collaboré avec Mme Puybaret, vous écrivez à un collègue afin de lui montrer l’intérêt de mener un travail avec des élèves à partir du roman et des films des Mystères de Paris. En vue de faire de même avec ses classes, cet enseignant, qui avait eu connaissance de votre expérience, vous avait envoyé un courrier afin d’avoir votre avis. Vous n’aviez jamais eu de contacts avec cette personne avant ce courrier. Votre texte devra comporter 25 lignes minimum. »

Comment les élèves ont-ils perçu le travail mené ?

Certains élèves ont raconté, avec satisfaction, avoir vu la série en famille, ce qui, là aussi, créait un lien avec leur propre vie. Certains élèves ont même mis quelques commentaires sur Youtube, pointant le fait que la série était capt vante, passionnante et que cela leur rappelait aussi des connaissances acquises en cours d’Histoire. Ils ont été sensibles au graphisme original et aux incohérences temporelles introduites de façon ludique dans la série. Ce brouillage temporel avec les clins d’œil actuels crée une connivence avec les jeunes.

Les élèves ont été sensibles aux thèmes de l’injustice sociale (chez les Morel), des enfants martyrisés (chez les Martial), de la condition féminine (Mme d’Harville). La transformation de la ville (qu’ils ont jugé “triste”, peut-être aussi à cause du noir et blanc de la série) et de l’habitat les ont marqués, même si de nombreux élèves ne connaissaient pas Paris.

Le travail oral proposé a suscité au départ de la réticence avant d’obtenir enthousiasme, implication et engagement. Cet exercice semblait simple mais il a fallu fournir un travail personnel sérieux pour réussir. Grâce à lui, les élèves se sont mieux approprié les personnages, le texte, l’œuvre. Ils ont appris en riant, en prenant du plaisir tant l’activité était différente et amusante. Cette expérience a modifié les relations au sein de la classe en développant l’entraide et une meilleure entente entre eux.

« Travailler l’oral est important et cela nous a permis de nous découvrir nous-mêmes, de mieux nous expri mer à l’oral ; ce qui est important pour notre bac mais aussi pour notre vie à venir. Nous avons été très fiers de nous voir après les montages de Mme Puybaret et cela a même donné l’envie à certains de faire des choses similaires ou du théâtre. »

Quel bilan final pour l’enseignante ?

On l’a vu, les exercices proposés ont plu et ont permis à tous les élèves d’être actifs et créatifs eux-mêmes. Ils ont permis une meilleure appropriation d’un roman et la création de liens entre cette littérature et la vie d’aujourd’hui : les incohérences temporelles, l’humour et les apartés documentaires de la série, ainsi que l’accessibilité sur Youtube, ont mis en relation le roman d’Eugène Sue avec la propre vie des élèves, rendant l’œuvre moins abstraite et poussiéreuse. Ils ont permis de relier et de valoriser différents savoirs déjà acquis (histoire, géographie, littérature, audio visuel). Ils ont offert une vision de la culture plaisante, moins excluante.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

La série sur YouTube

L’application BDnF