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Comment faire perdurer dans le temps un atelier scientifique ? Avec ses 15 années d’expérience dans le domaine, Jérôme Marines, enseignant de SVT au lycée Louise Michel de Narbonne (11), ne manque pas d’idées pour donner envie aux élèves de faire des sciences. Pendant 3 heures, chaque semaine, des lycéens volontaires travaillent sur des sujets allant des orchidées tropicales, aux écosystèmes narbonnais en passant par le risque d’incendies en forêt. Jérôme Marines collabore aussi avec un établissement du Guatemala autour du volcanisme des zones de subduction. « L’objectif sera également de construire des séances de cours communes », confie l’enseignant.

Pourquoi cet atelier scientifique dans votre lycée ? Quelles en sont les modalités ?

Cet atelier que j’ai créé il y a 15 ans regroupe des élèves de niveaux différents (seconde, première et terminale). Il a pour objectif principal de proposer au sein de notre établissement scolaire tous les mercredis après-midi pendant au moins 3 heures de 12h30 à 15h, un espace de travail agréable périscolaire et scientifique qui permet, tout en répondant aux questionnements des élèves, de les rendre autonomes. Les élèves de cet atelier scientifique proviennent de sections et de classes différentes et le recrutement est toujours basé sur le volontariat. Un des objectifs de l’atelier est de favoriser la réussite des élèves en donnant l’envie de faire des sciences.

Cet atelier permet d’aborder et d’appliquer des techniques et des méthodes spécifiques aux SVT (compétences expérimentales) et de préparer les élèves aux exigences des études postbac. Il favorise donc une poursuite d’études scientifiques. Ce projet permet aussi de motiver nos élèves et de favoriser la réussite scolaire en leur donnant envie de faire des sciences (et notamment pour les filles).

Un autre objectif de ce projet est la découverte des métiers en lien avec la biologie, l’écologie et le développement durable. De par la participation de nombreuses associations et partenaires, cet atelier permet de travailler au contact de professionnels qui apportent leurs expertises. Ces rencontres donnent l’occasion à nos élèves de poser des questions sur leurs activités professionnelles et de découvrir les différents métiers associés. Cet atelier ainsi que les sorties associées permettent donc de faire découvrir à nos élèves des métiers scientifiques dans le cadre du parcours avenir.

Quelques mots sur le travail effectué sur les orchidées tropicales ?

Ce fut le premier thème d’étude de cet atelier. En 2007, des élèves que je suivais en Terminale partageaient avec moi une passion commune ; à savoir le monde végétal et plus particulièrement les orchidées. L’idée de créer cet atelier scientifique qui répond aux questionnements et à la curiosité des élèves est alors née. Durant les 2 premières années, mes élèves, en collaboration avec le jardin botanique de Rouen, ont réalisé au sein de notre établissement scolaire une collection d’orchidées botaniques ( plus de 40 espèces botaniques différentes ) issues pour un certain nombre d’entre elles de cultures in vitro que nous faisions en salle de travaux pratiques.

Ces orchidées tropicales étaient cultivées dans des orchidariums (terrariums adaptés à cette culture) que nous entretenons d’ailleurs toujours aujourd’hui, malgré des thématiques actuelles différentes.

Durant cette période, nous avons également travaillé avec un horticulteur professionnel spécialisé dans la culture de ces plantes et nous avons programmé un grand nombre de sorties sur le terrain afin d’étudier les orchidées de notre région méditerranéenne dans le but de mieux les protéger.

Comment vos lycéens travaillent-ils sur les écosystèmes terrestres et océaniques de votre région ?

En 2009, la thématique de l’atelier a évolué vers une problématique plus générale ; à savoir « Comment protéger et pérenniser nos espaces naturels locaux ?». L’objectif est d’étudier chaque année différents écosystèmes Narbonnais marins et terrestres, de comprendre leurs évolutions dans le temps et d’étudier les impacts de l’Homme afin de les pérenniser pour les générations futures. Pour cela, mes élèves sont amenés très régulièrement à travailler sur le terrain afin par exemple d’échantillonner, de lire des paysages et à poursuivre le travail en salle de travaux pratiques tous les mercredis après-midi.

Avec quels partenaires extérieurs ?

Cet atelier et les sorties associées se réalisent en partenariat avec de très nombreuses associations notamment liées pour un grand nombre d’entre elles au Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée. Ces partenaires apportent une expertise plus poussée sur les écosystèmes étudiés. Les partenaires évoluent également en fonction de l’écosystème choisi par mes élèves en début d’année ; ce qui enrichit la diversité des échanges entre nos élèves et les professionnels extérieurs.

Tous les 2 ans, j’élabore également un stage d’une semaine à portée universitaire. Par le passé, nous avions par exemple effectué plusieurs stages au centre océanographique de Banyuls sur mer afin d’étudier les écosystèmes marins ainsi qu’un stage de géologie au sein de la chaîne des Puys afin d’effectuer de la géologie de terrain.

Un stage d’une semaine sur la côte landaise était d’ailleurs prévu cette année afin de comparer les écosystèmes océaniques et méditerranéens, de comparer leurs évolutions dans le temps et leurs gestions indispensables pour les pérenniser. Dans le cadre de ce stage, mes élèves auraient dû travailler avec l’association « Terre et océan » basée à Bègles et le conservatoire du Littoral. Hélas, suite au contexte sanitaire actuel, ce stage n’a pu être réalisé cette année.

Pourquoi un projet autour de la régénération des forêts ?

Il s’agit d’une des thématiques choisies par mes élèves cette année. Comme vous le savez, Narbonne est une des sous-préfectures de l’Aude, département dans lequel le risque d’incendie est fort, notamment sur notre littoral du fait de notre climat méditerranéen très sec l’été, du réchauffement climatique et des activités anthropiques comme le tourisme.

C’est également un des départements qui présente, de par la diversité de ses espaces naturels, une biodiversité, notamment végétale, parmi les plus riches et diversifiées de notre pays. Pour préserver la diversité biologique, l’Union Européenne a constitué un réseau d’habitats naturels et d’habitats d’espèces animales et végétales à forte valeur écologique, le « réseau Natura 2000 ». Il faut savoir que dans l’Aude, nous avons 33 sites « Natura 2000 terrestres » et que cela représente 250 000 ha, c’est à dire 39% de notre département. Travailler sur cette thématique cette année a donc été une évidence pour mes élèves.

Cette étude s’effectue dans le massif de la Clape, massif montagneux classé et protégé, qui se trouve entre Narbonne et la mer Méditerranée. Mes élèves doivent, à travers la mise en œuvre de démarches d’investigation, de sorties sur le terrain dans des lieux du massif de La Clape ayant subi un incendie à des moments différents depuis ces 20 dernières années et d’un travail expérimental en salle de travaux pratiques, comprendre le fonctionnement de l’écosystème de la garrigue et sa régénération (Étude des caractéristiques de ce milieu, étude du sol, de la biodiversité et des adaptations des espèces, des interactions…). L’objectif final sera d’élaborer des stratégies pour protéger cet environnement fragile et le pérenniser pour les générations futures. La participation du Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée et de son réseau d’animateurs de la région permet d’apporter une expertise sur différents points de cette étude.

Vous ouvrez à l’international votre atelier. Quels échanges avec un collège guatémaltèque ? Pour quels objectifs ?

Cette idée de construire cet échange international est née d’une intervention bénévole que j’ai effectuée durant plus d’un mois dans cette école du Guatemala en 2018. A cette époque, j’avais pris un temps partiel annualisé pour découvrir durant six mois la culture dans les différents pays d’Amérique Latine.

Le collège « El Centro Educativo Pavarotti » de San Lucas Tolimán au Guatemala a été créé et est géré par la Fondation Rigoberta Menchú Tum, Prix Nobel de la Paix en 1992.

Cet échange franco-guatémaltèque s’étalera sur 3 années au minimum (2021-2024): la première année portera sur un échange culturel, linguistique et scientifique autour d’un thème inscrit dans le programme des enseignements de spécialité de SVT : le volcanisme des zones de subduction en prenant l’exemple de la géologie du Guatemala.

Au cours de la seconde année, les élèves travailleront et échangeront sur une autre thématique aux enjeux universels : la sauvegarde et la protection de la biodiversité des écosystèmes en prenant l’exemple de ceux qui nous entourent au Guatemala et en France.

Durant la troisième année, tout en poursuivant le travail sur la biodiversité, l’objectif sera de faire collaborer les élèves dans l’optique de mettre en place un atelier ou une salle scientifique dans le Centre Educatif Pavarotti en faisant soit le don notamment de matériel scientifique, soit en collectant des fonds dans le but d’acheter du matériel pédagogique comme des microscopes. L’objectif sera également de construire des séances de cours communes : un travail main dans la main à distance, la mise en place d’un véritable pont pédagogique entre nos deux établissements et nos deux pays !

A ce jour, nous avons déjà effectué 3 visioconférences en espagnol. La dernière avait pour objectif de présenter l’aspect culturel et historique de nos pays respectifs. Mon rêve serait à terme que les élèves guatémaltèques puissent venir en France et réciproquement pour mes élèves de l’atelier scientifique afin qu’ils puissent se rencontrer réellement et travailler ensemble en présentiel.

Dans le cadre de ce partenariat international, nous travaillons également avec une association française, « le Club Quetzal, les amis de Rigoberta Menchú », qui œuvre, depuis sa création en 1998, pour le droit à l’éducation pour les jeunes Mayas au Guatemala.

Un projet qui dépasse à l’évidence le cadre scientifique ?

En effet, cet échange est un projet citoyen. La France et le Guatemala ont une culture, une histoire et une langue différentes mais un grand nombre de problématiques sont communes. Ce qui unit également nos 2 établissements est la volonté de faire réussir tous les élèves : garçons et filles. Ces valeurs ont été portées, en son temps, par Louise Michel dont notre établissement de Narbonne porte le nom. Ce combat est celui de la justice sociale et de donner une place aux femmes égale à celle des hommes dans l’école et la société. Au Guatemala et avec une portée universelle, Rigoberta Menchú Tum, Prix Nobel de la Paix en 1992 et fondatrice du Centre Educatif Pavarotti, œuvre pour pacifier les rapports dans la société et permettre aux femmes d’avoir accès au même statut que les hommes.

A travers les actions de l’atelier scientifique, très humblement, nous perpétuons ces valeurs avec un groupe constitué actuellement de plus de 80 % de filles. L’objectif principal de ce projet international, basé sur le concept de citoyenneté du monde, est donc de travailler et de construire ensemble, main dans la main, pour un avenir meilleur.

Propos recueillis par Julien Cabioch

Site internet sur l’atelier scientifique

Vidéo de l’atelier scientifique

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