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« La Maison des enfants » est une jolie maison au centre du bourg de Buzet en Belgique. Une maison pas comme les autres, une maison où 105 enfants expérimentent le monde au quotidien. Une maison où l’erreur est un « chemin intéressant », où l’on voit des enfants de six et douze ans rédiger un texte ensemble, une maison où Jean-François Manil exerce ses talents « d’artisan enseignant » depuis près de vingt-six ans. Cet enseignant, par ailleurs docteur en sciences de l’éducation, partage des moments de classe dans son livre « Apprendre de et avec ses élèves. Savourer le métier d’enseignant ». Un livre qui fait du bien, surtout en ce moment…

Qu’est-ce que la Maison des enfants ?

La Maison des enfants est une école où l’élève n’efface pas l’enfant, où apprendre c’est expérimenter, c’est rechercher. La Maison des enfants est un lieu où les enfants vivent, explorent et s’expriment. Tout cela en apprenant. Elle a été créée en 1992 à l’initiative de Charles Pepinster, alors inspecteur de l’Éducation Nationale. La commune de Buzet l’avait sollicité pour l’ouverture d’une école communale publique. Il a sauté sur l’occasion et a proposé d’en faire l’école de ses rêves. Une école de la solidarité, de l’expérimentation et de la valorisation des enfants. À l’époque, j’étais un étudiant de Charles Pepinster et j’habitais le village. Et comme j’avais toujours rêvé de vivre un peu comme dans les romans de Marcel Pagnol, j’ai postulé. J’y enseigne depuis vingt-six ans maintenant. Au départ, nous étions trois enseignants et enseignantes, aujourd’hui, nous sommes dix.

Quel en est le projet pédagogique ?

Nous sommes clairement des héritiers du mouvement d’éducation nouvelle de 1921. C’est l’idée que l’école publique, alimentée par des fonds publics n’a pas pour rôle de sélectionner. Ce n’est écrit nulle part, ni en France, ni en Italie, ni ici… Pourtant les enseignants le font. Nous ne sommes pas là pour mettre en compétition les enfants, pour en sélectionner quelques-uns. Nous sommes là pour les faire grandir.

Je pense, depuis toujours et la réalité me le confirme, que les enfants, adultes de demain, seront confrontés à un monde dans lequel il faudra être solidaire, créatif, tenace, débrouillard, persistant et c’est là l’utilité de l’école. Elle ne peut servir à sélectionner les meilleurs pour diriger les moins meilleurs. Le rôle de l’école publique, ce n’est pas cela. Son rôle est de faire réussir les enfants. Réussir au sens d’apprendre, grandir, s’éveiller, s’émerveiller, être heureux avec les autres. Elle est aussi là pour développer l’intelligence, un outil nécessaire à la compréhension de notre environnement. Les enfants doivent s’impliquer et entrer en résonnance avec le monde qui les entoure.

Quel enjeu d’une telle pédagogique ?

Il s’agit d’offrir aux enfants un espace de sécurité, de bienveillance, d’audace, de débrouillardise afin qu’ils osent des choses pour oser après, à l’âge adulte. C’est aussi faire en sorte que la société de demain ne soit plus basée sur la compétition et l’ultra consommation mais sur la solidarité. Chaque génération nouvelle est l’occasion d’avoir une société meilleure demain.

La Maison des enfants fonctionne-t-elle comme une école classique ?

Oui plus ou moins. En Belgique, les parents choisissent l’école de leur enfant, ici les écoles sont déjà en compétition. Nous accueillons 105 enfants, certains qui vivent dans le village, d’autres dont les parents sont intéressés par notre pédagogie. Nous recevons aussi des enfants en souffrance, maltraités par le système scolaire classique.

Les enfants ont entre cinq et douze ans. Après un passage par la classe de maternelle, ils passent en primaire à six ans. Pendant trois mois, ils ne se mélangent pas aux autres et sont avec trois adultes. C’est un moment nécessaire pour les sécuriser. Après ces trois mois, ils se retrouvent avec le reste de leurs camarades. Dans notre école, on veut que les enfants se côtoient, collaborent tout le temps, même si nous avons conscience de leur différence d’âge.

Les enfants sont libres de se déplacer, ils ont des zones de liberté. Beaucoup se sont inquiétés de la sécurité des élèves dans notre maison. Je leur réponds que nous sommes l’une des écoles où il y a eu le moins d’accident. Nous travaillons sur la confiance, la confiance en eux, c’est la clé de la sécurité.

Nos enfants apprennent la débrouillardise, ils apprennent à être capable de trouver des solutions à de petits problèmes du quotidien, c’est fondamental. Ils apprennent à gérer des incertitudes, dans un contexte maîtrisé. On ne peut, et on ne doit pas, tout anticiper pour eux. Les éduquer, c’est les confronter au risque, c’est leur apprendre à prendre des risques. Par exemple, une petite fille très timide vient me voir et m’explique qu’elle n’a plus de crayon noir. Je lui demande d’aller en demander dans la salle d’à côté, je sais que c’est difficile pour elle mais elle le fait car elle n’a pas d’autre alternative, c’est une prise de risque. Et à l’autre bout de l’échelle du risque, j’ai un élève qui prend la boite à outils pour réparer le babyfoot…

Finalement, quel est le rôle de l’enseignant ?

L’adulte a une importance fondamentale, il suscite le questionnement, il apporte la culture ce qui provoque des réactions chez les enfants, riches de leur propre culture et savoirs. Par ailleurs, l’enseignant a pour objectif de se rendre aimable, les enfants doivent avoir envie de lui ressembler. Il doit aussi offrir des activités d’apprentissage de très grande qualité. L’enseignant est un artisan – il faut arrêter de croire que les manuels scolaires sont suffisants pour apprendre – qui rend désirable ce qui est obligatoire. Tolstoï disait « l’école n’est pas dans les écoles ».

Vos élèves terminent leur scolarité par un chef d’œuvre pédagogique, qu’est-ce c’est ?

Au début de la sixième année de l’école primaire, les enfants doivent choisir un sujet, le développer et l’explorer. C’est un travail sur toute l’année scolaire. Ils doivent ensuite en faire une présentation devant un large public – beaucoup d’adultes y assistent. C’est une sorte de rite d’initiation, de passage. On quitte l’enfance pour aller vers l’adolescence.

C’est un travail long et solitaire. L’un des objectifs du chef d’œuvre est de valoriser l’enfant qui a choisi le sujet en fonction de ce qui lui fait plaisir afin de montrer ce dont il est capable.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Jean-François Manil, Apprendre de et avec ses élèves. Chronique sociale éditeur. ISBN 978-2-36717-848-6. 8,00 € TTC